A la une

Un des défis majeurs d’aujourd’hui ? Le stockage de l’énergie. Et là, toutes ses formes sont convoitées, qu’elle soit calorifique, chimique, électrique ou même… mécanique. Si les batteries chimiques sont bien connues, une autre piste, plus discrète et pleine de promesses, est explorée dans le projet MESAMM. Plongez dans ce monde nanométrique sous pression qui pourrait donner un jour naissance, pourquoi pas, à une nouvelle génération d’amortisseurs.
Dans le cadre du projet MESAMM, Andrey Ryzhikov, chercheur CNRS en science des matériaux à l’Institut de Science des Matériaux de Mulhouse1 et ses collègues étudient le potentiel de stockage d’énergie mécanique dans des matériaux microporeux. Ces solides possèdent une structure 3D qui révèle de très nombreuses cavités, en motifs répétés, appelées nanopores. Explorons ce monde subatomique.
Représentation 3D de la structure cristalline d’une zéolithe, révélant la présence de nanopores en motifs répétés © Den Bazin (medillus.com) pour le CNRS Alsace
Les zéolithes et les MOFs, des éponges high tech
Ce qui fait la valeur ajoutée d’une éponge ? Ses trous qui lui confèrent sa capacité d’absorption. C’est pareil pour la zéolithe, une « pierre » découverte en 1756 par le baron Axel Cronstedt, chimiste suédois. Au jeu du Lego atomique, sa structure révèle un réseau cristallin très ordonné de tétraèdres de silicium-oxygène (SiO4) et d’aluminium-oxygène (AlO4), ponctués de nombreux canaux. Des p’tits trous de moins de 2 nanomètres de diamètre, certes, mais avec un grand potentiel. Leurs secrets ? Ces pores sont de la taille des molécules, ce qui permet de les capturer, les filtrer et les séparer. Pour se représenter un pore de la taille d’un demi-nanomètre, imaginez un tunnel si minuscule qu’il ne laisserait passer qu’une seule molécule d’eau à la fois.
Représentation de la charpente d'une zéolithe et de sa structure atomique © Den Bazin (medillus.com) pour le CNRS Alsace
Une application bien connue des zéolithes par les industriels est celle du craquage catalytique du pétrole qui permet de casser les longues chaînes carbonées du diesel en chaînes plus courtes, celles de l’essence de nos voitures.
Il existe 70 variétés de zéolithes dans la nature. Mais depuis 1940, les chercheurs fabriquent des zéolithes de synthèse à façon en modifiant la taille, la forme des pores et même la composition chimique du cristal pour l’industrie. Leur inventivité ne s’arrête pas là…
Les MOFs, ou Metal-Organic Frameworks, sont la nouvelle génération d’éponges moléculaires de synthèse. Contrairement aux zéolithes, qui sont inorganiques (minérales), les MOFs sont des matériaux hybrides : organique (briques du vivant) et métallique. Un peu comme une structure de Meccano qui alterne des briques de métal et d’os. Résultat : ils offrent des pores souvent plus grands, une surface interne record et une incroyable diversité de formes et de fonctions. Là où la zéolithe agit comme un tamis ultra-précis, le MOF peut être "customisé" à volonté pour piéger des molécules plus volumineuses, stocker des gaz comme le CO2 ou encore servir de support à des réactions chimiques pointues. Leur modularité et leur surface spécifique dépassent largement celles des zéolithes, ouvrant la voie à des applications innovantes, même si leur stabilité reste parfois un défi pour l’industrie.
Des pores batteries
Comment stocker l’énergie mécanique ? Au cœur de ce projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche, des scientifiques du CNRS ont cherché à faire entrer de force de l’eau, par pression, dans ces pores microscopiques préalablement imperméabilisés pour stocker de l’énergie… et la restituer ensuite. Une idée simple en apparence, mais qui fait appel à des phénomènes physiques et chimiques complexes, encore peu connus, à l’échelle du milliardième de mètre.
En pratique, ça donne quoi ? L’énergie mécanique est appliquée par une pression d’un liquide à l’aide d’un piston sur le matériau poreux imperméabilisé. C’est le principe d’intrusion.
Principe de l'intrusion de solution saline dans des zéolithes pour stocker de l'énergie © Den Bazin (medillus.com) pour le CNRS Alsace
L’eau stockée dans les pores ressort et libère cette énergie quand le piston est relâché. C’est le principe d’extrusion.
Principe de l'extrusion de solution saline dans des zéolithes pour libérer de l'énergie © Den Bazin (medillus.com) pour le CNRS Alsace
Un matériau sous pression
Plus la pression appliquée sur le matériau poreux imperméable est forte et plus l’énergie mécanique stockée est importante. Alors tous les paramètres qui jouent sur cette pression sont passés au crible du projet MESAMM.
Le hic ? L’eau est absorbée passivement dans ces éponges high tech. Alors, la première manipulation consiste à les rendre imperméables, « hydrophobes » en modifiant la composition chimique des pores. Il faudra donc dorénavant appliquer cette fameuse pression d’intrusion pour faire entrer l’eau dans les canaux rendus hydrophobes. Autre paramètre testé : la taille et la forme des pores. « Plus les pores sont petits, plus la pression d’intrusion est élevée », indique Andrey Ryzhikov. Un scoop ; la forme des pores n’aurait en revanche que peu d’incidence sur cette dernière.
L’eau… salée, une alliée insoupçonnée
« Des effets intéressants ont été observés lors de cette étude », révèle Andrey Ryzhikov. Un des résultats les plus intéressants du projet MESAMM concerne l’utilisation de solutions salines. En remplaçant l’eau pure par de l’eau « salée », les pressions d’intrusion peuvent augmenter jusqu’à 400 MPa, soit 4 000 bars. C’est l’équivalent du poids d’un éléphant appliqué sur la pointe d’un crayon. Explication : la nature des ions dissous dans l’eau — comme le sodium ou le lithium — modifie les interactions entre les molécules d’eau et la surface du solide poreux, rajoutant en quelque sorte une « résistance » supplémentaire lors de l’intrusion.
Les chercheurs ont ainsi montré que plus la concentration en sel augmente, plus la pression d’intrusion tend à augmenter… sauf dans un cas surprenant. Avec des solutions de perchlorate de sodium (NaClO4), ils ont observé le phénomène inverse, un phénomène hors norme qualifié d’anti-osmotique « qui a été observé pour la première fois », précise le chercheur. Affaire à suivre…
Variations de la nature et de la concentration de différentes électrolytes dans l'eau : chlorure de lithium (LiCl) ou chlorure de sodium (NaCl) © Den Bazin (medillus.com) pour le CNRS Alsace
Des effets thermiques révélateurs
Attention, une énergie peut en cacher une autre ! En effet l’intrusion de ces solutions dans les matériaux microporeux ne libère pas seulement de l’énergie mécanique : elle peut aussi produire de la chaleur… ou en absorber.
Les chercheurs partenaires du projet de l’Institut Carnot de Bourgogne ont mis au point un équipement sur mesure pour étudier ces effets thermiques. Résultat : selon la nature du sel dissous dans l’eau, l’intrusion peut dégager de la chaleur ou en absorber. Ainsi, une solution de chlorure de lithium (LiCl) ne se comporte pas du tout comme une solution de chlorure de sodium (NaCl), alors même que les deux sels semblent proches.
En parallèle, les équipes de l’École nationale supérieure et de l’Institut de recherche de chimie Paris ont mis au point une méthode de simulation numérique capable de prédire la pression d’intrusion d’une solution donnée, en fonction de la nature des ions qu’elle contient.
Des applications concrètes en perspective
Fondamental, vous avez dit fondamental ? Et pourtant les applications des matériaux microporeux ne sont pas si lointaines. En jouant sur leur capacité à stocker puis restituer de l’énergie mécanique, des amortisseurs intelligents très compacts pourraient, par exemple, être mis au point. Avantages : une suspension encore plus confortable et une réutilisation potentielle de l’énergie mécanique de freinage pour une meilleure efficacité énergétique des véhicules.
Les performances atteintes sont prometteuses : certains matériaux testés dans le cadre du projet MESAMM permettent de stocker plus de 100 joules par gramme. Même si cette densité de puissance est inférieure à celle des batteries électrochimiques classiques, ces derniers sont nettement plus rapides et réactifs pour le stockage et la restitution d’énergie. Autre avantage, leur structure est robuste. Ils peuvent fonctionner dans des conditions extrêmes de température et de pression.
En mobilisant la physique, la chimie et les sciences des matériaux, le projet MESAMM offre un bel exemple de la manière dont la recherche fondamentale peut jeter les bases d’innovations à fort impact. Et montre, une fois de plus, que l’énergie de demain pourrait bien se cacher… dans les plus petits recoins de la matière.
Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR MESAMM AAPG-PRC 2019. Cet article rédigé par Sophie Germette-Nicaud et toutes les illustrations de Den Bazin (medillus.com) ont été financés dans le cadre de l’appel à projet Science avec et pour la société - Culture scientifique technique et industrielle et du projet ANR AActus porté par le CNRS Alsace.
- 1. Unité CNRS/Université de Haute Alsace (UHA)