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À la frontière du visible, des physiciens mesurent l'interaction d'un seul photon avec un nanofil. Cette prouesse ouvre la voie à de nouvelles applications en optomécanique et en optique quantique.
L’optomécanique est un domaine de recherche qui mesure les interactions entre la lumière et les systèmes mécaniques déformables. Les régimes d’interaction aujourd’hui atteints, permettent de faire émerger et d’exploiter la nature quantique de la lumière et des vibrations des résonateurs mécaniques. Au croisement de ces deux approches, les scientifiques effectuent des mesures de force, non plus aux échelles macroscopiques habituelles, mais avec des objets de taille comparable à la longueur d’onde de la lumière.
Ce régime quantique implique souvent l’utilisation de cavités optiques de très petites dimensions, comparables à la longueur d’onde, dans lesquelles vont être piégés quelques photons. Grâce au couplage (l’association) de ces cavités avec des résonateurs mécaniques ultrasensibles, les scientifiques peuvent non seulement observer et mesurer les infimes mouvements de la lumière (la force produite par quelques photons), mais aussi chercher à explorer le rôle de fluctuations quantiques sur le comportement mécanique du résonateur.
Mettre la lumière au régime quantique
Dans le détail, l’optomécanique quantique fournit à des physiciennes et des physiciens comme Olivier Arcizet (CNRS, Institut Néel - CNRS) un cadre novateur pour « étudier les limites ultimes des mesures fondamentales de la lumière » et, par extension, exploiter et générer des états non classiques de ce rayonnement. Autrement dit, les scientifiques effectuent des mesures de très faibles forces « à l’aide de nanofils semi-conducteurs suspendus, des nano-pendules extrêmement sensibles et légers » détaille le physicien grenoblois. Ce procédé leur permet d’étudier le couplage lumière/nanofil avec des puissances optiques extrêmement faibles jusqu’à être capables de mesurer la force que génère un seul photon piégé dans la microcavité.
Un nanofil © Olivier Arcizet, Institut Neel
Les expériences existantes en optomécanique avaient jusqu’alors été réalisées avec un grand nombre de photons parce qu’elles mettaient en œuvre des oscillateurs moins sensibles. Avec ce nouveau procédé, Olivier Arcizet y voit l’occasion « de tester les théories dans de nouveaux régimes et de générer des états non classiques de la lumière ».
Un piège à photon où résonne un nanofil
Cette expérience exploite une microcavité développée dans le groupe de Jakob Reichel du laboratoire Kastler Brossel (LKB - CNRS / École normale supérieure / Sorbonne Université / Collège de France), où deux fibres optiques recouvertes de miroirs très réfléchissants se font face. Entre eux, les photons rebondissent avant de s’échapper. Au cœur de ce « piège à photons », Olivier Arcizet et ses collègues ont suspendu « un nanofil (ou nanorésonateur) d’un diamètre inférieur à la longueur d’onde, ce qui va permettre d’imager l’onde lumineuse stationnaire piégée entre les miroirs. Le couplage optomécanique, entre les vibrations du nanofil et le champ intracavité est dual : le nanofil perturbe le champ intracavité, ce qui permet de mesurer sa structure et les vibrations du nanofil. Réciproquement le champ intracavité agit sur nanofil via les forces optiques qu'il génère, en modifiant sa fréquence de vibration. »
Une autre approche a exploité des cavités à cristaux photoniques linéaires produits dans le groupe de Rémy Braive au Centre de nanosciences et de nanotechnologie (C2N - CNRS / Université Paris-Saclay). Le physicien décrit ce second type de cavité comme « des ponts suspendus parsemés de trous nanométriques qui piègent la lumière dans les interstices et dans lesquels nous plongeons l’extrémité vibrante des nanofils ». Dans les deux cas, ils ont pu mesurer la perturbation induite par le nanofil sur le champ intracavité, mais aussi cartographier le champ de force produit par les quelques photons peuplant la cavité.
Le champ lumineux est confiné entre les miroirs d’une microcavité optique fibrée (a) et au sein d’un cristal photonique (b), deux microcavités de grande finesse confinant fortement la lumière. Ce champ de cavité, peuplé de quelques photons uniquement est cartographié grâce à la force qu’il exerce sur une sonde nano-mécanique ultrasensible, des nanofils suspendus de carbure de silicium de diamètre inférieur à la longueur d’onde. Cette carte (a) représente l'intensité lumineuse diffusée hors de la cavité en fonction de la position du nanofil et permet d’identifier les endroits dans la cavité où l'action de la lumière sur le nanofil sera maximale. © Olivier Arcizet, Institut Neel
Quel que soit le dispositif, plus la taille de la cavité est réduite, plus le champ électrique par photon est important. L’objectif des physiciens est de bénéficier de ces conditions pour « atteindre un régime de couplage ultra-fort », où un seul photon est capable de déplacer l’oscillateur au-delà de ses fluctuations de point zéro (vibrations quantiques résiduelles à température nulle). La combinaison de ces nanorésonateurs mécaniques ultrasensibles et de ces microcavités optiques de grande finesse a permis de mesurer pour la première fois l’action optomécanique à l’échelle du photon unique. Pour ce faire il est nécessaire de positionner le nanofil très précisément dans l’onde stationnaire, aux endroits d’interaction maximale, ce qui nécessite au préalable de cartographier finement la structure du champ lumineux et de l’interaction optomécanique au sein de la cavité.
Vers des états non-classiques de la lumière
Cette avancée, que les scientifiques ont publié dans la revue Physical Review X, démontre que le régime de couplage ultra-fort est à portée de main. Cependant, « la manipulation reste complexe », tempère le physicien. Les vibrations du nanofil sont encore dominées par son agitation thermique, aussi appelées mouvement brownien, qui masque les vibrations induites par les fluctuations quantiques de la lumière, dont l’observation à très petit nombre de photons serait une avancée majeure dans le domaine.
Pour atteindre ce but, il faudra « abaisser la température du dispositif jusqu’à 4 kelvins », un défi de taille pour les chercheurs bien qu’ils aient déjà fait fonctionner des nanofils à 20 millikelvin (mK).
Dans ce régime exotique, le couplage optomécanique permettrait alors de générer une non linéarité optique à très faible nombre de photons, permettant de générer des états non-classiques de la lumière ressortant de ces dispositifs. De tels états « sont déjà utilisés en optique et cryptographie quantique, précise le chercheur, et pourraient donc être produits par des systèmes optomécaniques en forte interaction ».
Enfin, ces nouveaux régimes d’interaction dans lesquels les fluctuations quantiques jouent un rôle prépondérant, sont encore peu décrits théoriquement. En particulier les expériences pourraient permettre de faire le lien entre l’optomécanique - où l’on s’intéresse aux forces produites par les fluctuations quantiques du seul mode de la cavité - et les forces dites de Casimir, produites par les fluctuations quantiques de tous les modes du champ électromagnétique environnant le nanofil.
En développant ces expériences d’optomécanique en cavité à faible nombre de photons, les physiciens ont aussi pu sonder différemment l’interaction lumière-matière à l’échelle nanométrique via la force ressentie par le nanofil, et permettre ainsi la cartographie fine des champs lumineux confinés.
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Ces recherches (projet SinPhoCOM) et cet article ont été financés tout ou partie par l’Agence nationale de la recherche.