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Quand les plantes sortirent de l’eau !
14.12.2023, par Hugues Renault (IBMP, CNRS) et Sophie Le Ray (CNRS Délégation Alsace)
Mis à jour le 14.12.2023

« Les plantes sont aujourd’hui partout où notre regard se porte, omniprésentes dans notre quotidien. Pouvez-vous imaginer qu’il n’en a pas toujours été ainsi ? », nous interroge Hugues Renault, chercheur à l’Institut de biologie moléculaire des plantes de Strasbourg. Il a en effet existé un temps, pas si lointain, où les plantes ne prospéraient qu'au sein d'environnements aquatiques tels que les océans, les rivières ou encore les lacs.

Ce n’est qu’il y a environ 500 millions d’années, une bagatelle à l’échelle des temps géologiques, que les premières plantes ont commencé à coloniser les habitats terrestres lors d’un processus appelé « terrestrialisation ». Cette étape a été décisive dans l’histoire évolutive des plantes, mais pas seulement ; elle constitue une des conditions majeures à l’essor des écosystèmes terrestres tels que nous les connaissons aujourd'hui, et à l’apparition de nouvelles formes de vie, parmi lesquelles l’Homme. Face au défi qu’a représenté la vie hors de l’eau, de nombreuses adaptations sont apparues chez les plantes terrestres pionnières, leur permettant de survivre puis de prospérer dans ce nouvel environnement.   

Les premiers végétaux à avoir colonisé les terres émergées ont été des plantes sans fleurs ni graines, qui s'apparentent à nos mousses et hépatiques1 actuelles. 
Modèle de mousse Physcomitrium patens. © Hugues Renault, IBMP, CNRS
Figure 1- Modèle de mousse Physcomitrium patens. © Hugues Renault, IBMP, CNRS 

Modèle de plante hépatique Marchantia polymorpha. © Hugues Renault, IBMP, CNRS
Figure 2 – Modèle de plante hépatique Marchantia polymorpha. © Hugues Renault, IBMP, CNRS 

En s’affranchissant du milieu aquatique pour s’établir hors de l’eau, ces végétaux ont été soumis à un bouleversement majeur de leur environnement, s’accompagnant de nouvelles contraintes. Ils ont ainsi dû se prémunir face à la sécheresse, à des variations importantes de températures, à des rayonnements solaires intenses, ou encore à l’exposition à de nouveaux organismes, parfois pathogènes. 

Les mécanismes d’évolution ayant conduit les plantes à acquérir les adaptations nécessaires à la vie hors de l’eau demeurent très difficiles à étudier ; ces anciennes plantes, dépourvues de structures rigides, n’ont en effet laissé que très peu de traces derrière elles, comme des fossiles.    
La stratégie retenue par les chercheurs du projet EVOBAR, dirigé par Hugues Renault, consiste à comparer des plantes actuelles appartenant à différents groupes taxonomiques2. « Cela nous permettra de déterminer quelles sont les adaptations qui ont été conservées au cours de l’évolution et qui sont donc essentielles, et à quel moment de l’évolution elles sont apparues. » précise ce dernier. « C’est ainsi que nous nous sommes aperçus qu’un élément majeur de l’adaptation des plantes à la vie hors de l’eau a été la formation de “barrières extracellulaires” hydrophobes, autrement dit, imperméables à l’eau. Elles permettent notamment aux cellules végétales de se protéger des UV, de se rigidifier, ou encore de conserver leur eau ». 

L’apparition de ces mêmes barrières a constitué une étape indispensable au développement des plantes vasculaires3 qui dominent aujourd’hui les écosystèmes terrestres. 
Quatre macromolécules4 permettent la formation de ces structures : la cutine, la subérine, la sporopollénine et la lignine. C’est l’évolution de ces macromolécules qui intéresse plus particulièrement Hugues Renault et son équipe. Chacune d’entre elle présente en effet un rôle spécifique dans la survie de la plante en milieu terrestre : la cutine permet ainsi la formation de la cuticule, une couche imperméable recouvrant les organes aériens des plantes et les protégeant des agressions extérieures et de la perte d’eau passive. La subérine, le constituant principal du liège, aide à contrôler les flux d’eau tout en formant un obstacle aux organismes pathogènes. La sporopollénine imprègne les parois des spores et du pollen afin de les soustraire aux effets délétères des radiations UV et de la dessication. Enfin, la lignine imperméabilise et rigidifie les parois cellulaires pour permettre à la plante d’adopter une croissance érigée et de développer un système vasculaire pour le transport efficace de l’eau et des nutriments.  

Ces macromolécules se retrouvent aujourd’hui uniquement chez les plantes terrestres, mais des données récentes issues de l’analyse des génomes suggèrent une origine potentiellement plus ancienne, en particulier chez des algues d’eau douce appartenant au groupe des charophytes. La capacité à fabriquer des barrières extracellulaires protectrices, une adaptation à la vie hors de l’eau, serait donc potentiellement apparue avant même l’émergence des premières plantes terrestres à proprement dit ; le phénomène de terrestrialisation  pourrait donc avoir débuté bien en amont de ce que les données laissaient à penser jusqu’à présent.

Les résultats d’EVOBAR pourraient permettre, à terme, de mieux comprendre comment ces barrières protectrices se sont formées au fil du temps, et la manière dont elles ont contribué à l’évolution des plantes sur terre. Une compréhension fine de ces processus nous renseignerait sur les moyens de défense développés par les plantes pour conquérir le milieu terrestre, et permettrait d’envisager une amélioration de la résistance des plantes face aux aléas environnementaux actuels et futurs.
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L’institut de biologie moléculaire des plantes (IBMP) est une unité propre du CNRS.  
 
Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR - EVOBAR - AAPG 2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société – Culture Scientifique Technique et Industrielle AAPG 2019 JCJC et du projet ANR AActus.

Notes
  • 1. Hépatique : Petite plante aplatie dont la forme rappelle celle d’un foie, d’où son nom emprunté au latin « hepaticus », relatif au foie.
  • 2. Groupes taxonomiques : Catégories utilisées par les scientifiques pour classer les différentes espèces selon leurs similarités. Ces groupes, tels que les classes, ordres et familles, permettent de regrouper les organismes partageant des caractéristiques communes.
  • 3. Plantes vasculaires : Plantes qui présentent des structures spécialisées pour le transport de l’eau et des nutriments. Synonyme : trachéophyte
  • 4. Macromolécule : Grande molécule, généralement constituée d’un grand nombre d'atomes ou de groupes d'atomes répétés.

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