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Depuis le XIXe siècle, les eaux des sources du nord (drainées par l’aqueduc de Belleville à Paris) ont été déclarées impropres à la consommation. Le projet Huniwers s’intéresse à ce réseau, et à son équivalent au sud de Paris, récupérant naturellement l’eau de pluie afin de retracer l’évolution de la qualité de l’eau au cours du temps et des vagues d’urbanisation de la capitale.
Le réseau historique des aqueducs parisiens, comme celui du nord de Paris (Aqueduc de Belleville) ou du sud de Paris (aqueduc de Rungis Médicis) utilise astucieusement les nappes d’eau superficielles qui récupèrent les eaux de pluie. Cependant, la qualité de ces eaux a évolué au cours du temps, et elles ont été déclarées impropres à la consommation dès le XIXe siècle pour celles des sources du nord.
Le projet Huniwers1, coordonné par Edwige Pons-Branchu, professeur à l’UVSQ et rattachée au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement2, regroupe plus de 40 chercheurs et techniciens issus de 10 laboratoires3. Le consortium étudie d’une part la qualité des eaux actuelles des nappes superficielles, mais a développé une approche originale pour retracer la qualité des eaux du passé en étudiant les dépôts calcaires (similaires aux spéléothèmes des grottes) qu’elles ont laissés. Ces travaux sont financés par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.
Les scientifiques du projet utilisent les spéléothèmes comme des archives temporelles. En effet, le calcaire se dépose progressivement avec le temps et le passage de l’eau, formant des couches superposées, à l’image des cernes dans les arbres. Ces couches de calcaire présentent différentes concentrations de polluants, comme le plomb, le manganèse ou le soufre.
Afin de retracer et analyser précisément l’évolution temporelle de la qualité de l’eau, les chercheurs ont mis au point un modèle permettant de déterminer la date de dépôt du calcaire ainsi que la provenance de l’eau et les milieux qu’elle a traversés. Ils ont pour cela analysé la présence de traceurs présents dans les échantillons tels que le troncium, le plomb, ou encore différents isotopes.
Le projet a déjà pu mettre en évidence que les vagues d’urbanisation de Paris ont pollué les eaux juste avant le XXe siècle. Leurs analyses ont révélé d’importantes quantités de soufre dans l’eau, qui n’étaient pas présentes par le passé, et dont l’apparition coïncide avec la construction d’un quartier. Le soufre provient du gypse, présent dans des couches inférieures du sol, au-dessous de couches argileuses, imperméables. La construction du quartier a nécessité de remblayer et d’aplanir le terrain, et la terre utilisée provenait de couches plus profondes, contenant du gypse. Depuis, les eaux de pluie traversent cette couche de terre perméable contenant du soufre en surface, expliquant ainsi pourquoi on en retrouve dans l’eau recueillie par les aqueducs.
Autres impacts de l’urbanisation sur la qualité de l’eau
À l’heure actuelle, les scientifiques du projet analysent encore les résultats de leurs mesures, mais ils ont pu mettre en lumière d’autres effets de l’urbanisation. L’imperméabilisation des sols liés aux constructions et aménagements de surface ont notamment altéré le cycle de l’eau, et ce dès le milieu du XIXe siècle. Cela a également affecté la matière organique qui circule, et a participé à la dégradation de la qualité de ces eaux.
Au-delà de l’aspect historique et de compréhension des mécaniques en jeu, les chercheurs souhaitent utiliser ces travaux de manière concrète. « C’est un projet pour l’eau et pour Paris, soutient Edwige Pons-Branchu. L’eau sera très prochainement une ressource critique, et nos recherches explorent aussi des possibilités alternatives d’utilisation des eaux des aqueducs de Paris ».
En effet, en analysant la qualité de l’eau et sa composition en polluants, l’équipe cherche également s’il serait possible d’utiliser ces eaux pour arroser des plantes dans la ville, ou encore pour nettoyer les rues. Après avoir minutieusement créé un processus pour analyser la qualité et l’origine des eaux, les chercheurs prévoient d’étendre leur analyse à d’autres villes afin de les faire profiter de cette expertise et utiliser au mieux cette ressource précieuse qu’est l’eau.
Illustration des strates de calcaire déposées avec le temps dans les aqueducs parisiens. © Edwige Pons-Branchu
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1 HUNIWERS : Impact historique de l’urbanisation sur la qualité de l’eau: étude diachronique en région parisienne.
2 LSCE - CEA-CNRS-UVSQ à Saint-Aubin
3 10 laboratoires sont impliqués dans ce projet : LSCE (CEA-CNRS-UVSQ), le laboratoire Histoire des technosciences en société (CNAM), laboratoire Edytem (CNRS/ Université Savoie Mont Blanc), Cerema Ile-de-France, Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CNRS/Université de Lorraine), le laboratoire GEOPS (CNRS/Université Paris Saclay), le Laboratoire eau environnement et systèmes urbains (Université Paris-Est Créteil/ Ecole des Ponts ParisTech), le Laboratoire eau environnement (Université Gustave Eiffel), l’Institut d'écologie et des sciences de l'environnement de Paris (CNRS/INRAE/IRD/Sorbonne Université/Université Paris Cité/Université Paris-Est Créteil), l’UMR Milieux environnementaux, transferts et interactions dans les hydrosystèmes et les sols (CNRS/Sorbonne Université/EPHE - PSL).
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du journal CNRS