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Le phénomène physique derrière l’effet thermoélectrique permet de créer du froid en appliquant un courant électrique à certains matériaux particuliers. Les scientifiques du projet NanoBiPelt tentent de synthétiser des nanocomposites présentant de telles propriétés thermoélectriques.
Produire du froid est essentiel aux besoins de notre société moderne. De nos jours, la plupart des systèmes de réfrigération et de climatisation sont basés sur l’utilisation de fluides réfrigérants. Mais il existe une autre manière pour créer du froid grâce à l’effet Peltier. « Lorsque deux matériaux de conductivité différente sont en contact, il se produit un courant électrique qui va transférer de la chaleur d’un matériau vers l’autre. En conséquence, une des jonctions se refroidit tandis que l’autre se réchauffe. Ce phénomène est d’ailleurs réversible : en appliquant un courant à ces matériaux, il est possible de générer une différence de températures entre eux », explique Romain Viennois, chargé de recherche CNRS à l’institut Charles Gerhardt de Montpellier1.
Cet effet thermoélectrique, dit « Peltier», du nom du physicien français qui l’a mis en évidence en 1834, est toutefois assez peu exploité pour la réfrigération, à part pour des systèmes embarqués, comme les glacières électriques. « L’efficacité et la puissance thermique des réfrigérateurs Peltier sont trop faibles et leur coût encore trop élevé pour être compétitifs », admet le physicien. Pourtant, depuis la fin du XXe siècle, l’effet Peltier suscite à nouveau l’intérêt de la recherche, notamment pour des applications de haute technologie telles que le refroidissement de composants électroniques comme les microprocesseurs et les capteurs photographiques qui équipent nos smartphones. Ce phénomène physique est aussi utilisé pour refroidir des dispositifs optoélectroniques, les diodes lasers et les détecteurs infrarouges par exemple, et pourrait être employé pour maintenir à température des composants supraconducteurs. « Les modules Peltier sont en effet compacts, fiables, durables et ne produisent pas de vibrations car ils ne nécessitent pas de pièces mobiles comme les systèmes de réfrigération classique. » Et ces dispositifs se passent de liquides réfrigérants qui ont un très haut potentiel de réchauffement global2.
Développer de nouveaux matériaux thermoélectriques
À l’heure actuelle, seule une poignée de matériaux présentent des propriétés thermoélectriques suffisantes pour être exploitées en vue de ces applications. Outre cette capacité à générer un courant en présence d’une différence de température, ces matériaux sont en effet tenus de respecter deux conditions essentielles pour engendrer un bon rendement de conversion thermoélectrique. « Ils doivent, ce qui peut paraître paradoxal, présenter à la fois une mauvaise conductivité thermique pour maintenir la différence de température entre les jonctions et une bonne conductivité électrique pour réduire l’effet Joule3 qui limite la puissante disponible pour le refroidissement », explique Romain Viennois. Exit donc les métaux qui sont de bons conducteurs thermiques mais aussi tous les isolants qui ne conduisent pas le courant. « Les matériaux les plus performants aujourd’hui sont des semi-conducteurs, tel que le Bi2Te3 ou tellurure de bismuth et ses alliages avec le tellurure d’antimoine de formule Sb2Te3 », précise le chercheur. Pour autant, leurs propriétés thermoélectriques diminuent fortement à très basses températures.
C’est pour développer de nouveaux matériaux thermoélectriques, notamment capables d’opérer à basses températures, que Romain Viennois a lancé le projet NanoBiPelt.
Pour atteindre son but, le chercheur compte sur la structuration à l’échelle nanométrique de matériaux composites semi-conducteurs. « Il y a une vingtaine d’années, des calculs théoriques ont montré que des nanofils de bismuth pur mais aussi d’alliages de bismuth et d’antimoine devraient présenter de bonnes propriétés thermoélectriques. Des travaux expérimentaux ont depuis permis de synthétiser, grâce à une technique par dépôt de vapeur, de tels nanofils de 50 nanomètres qui exhibent bien des propriétés semi-condutrices et thermoélectriques mais dont la résistivité est trop importante », explique le physicien qui a poursuivi une autre piste pour le projet NanoBiPelt. « Notre but était de synthétiser des nanofils beaucoup plus fins, de l’ordre de quelques nanomètres, en intercalant du bismuth liquide sous haute pression et haute température dans des matériaux isolants poreux comme des zéolithes4 ou des sílices mésoporeuses. L’idée est de maximiser le confinement quantique des électrons du bismuth dans de fins nanofils afin d’améliorer les propriétés thermoélectriques et conductrices de courant de ces matériaux tout en minimisant leur conductivité thermique. » Avant le lancement du projet, des résultats encourageants avaient en effet déjà été obtenus lors de la thèse de Yixuan Zhao encadrée par Romain Viennois. « Nous avons entre autres démontré qu’il est possible d’intercaler du bismuth liquide dans de la poudre de silice mésoporeuse et de zéolithes.5»
Echantillon composite de nanofils de Bi intercalés dans une matrice de verre de silicoborate vycor nanoporeuse préparée avec des contacts électriques pour les expériences de transport électrique. ©Marco Fabbiani
Cependant la synthèse de cristaux de nanomatériaux composites s’est révélée plus ardue que prévue. « Les monolithes de silice que nous avons obtenus ne présentent pas seulement des pores de quelques nanomètres mais aussi de la macroporosité », regrette le chercheur. Quant aux zéolithes, la plupart ne supportent pas la pression nécessaire à l’intercalation du bismuth liquide dans leur squelette. « Nous avons toutefois réussi à intercaler du bismuth liquide dans des monocristaux de zéolithe dont le réseau de pores est tridimensionnel mais nous n’avons pas pu isoler le matériau obtenu du bismuth pur qui, après réaction à haute température, s’est figé en surface. » Son équipe travaille aujourd’hui à développer un protocole qui permettrait d’extraire le cristal obtenu par attaque chimique sans altérer les nanofils de bismuth qu’il contient. Le chercheur s’est alors replié sur d’autres matériaux nanoporeux comme des verres de silicoborate et l’alumine. Malheureusement les nanofils de bismuth formés dans le verre présentent une résistivité trop importante. Son équipe s’attache aujourd’hui à mesurer les propriétés thermoélectriques des nanofils présent dans l’alumine tout en explorant d’autres voies de synthèse de ces matériaux composites, par frittage par exemple, et des compositions différentes des nanofils en y intégrant de petites quantités d’antimoine. Affaire à suivre.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR NANOBIPELT- AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).
- 1. ICGM - Unité CNRS / Université de Montpellier / Ecole nationale supérieure de chimie de Montpellier
- 2. Un kilogramme de R32, un liquide réfirgérant très utilisé actuellement, a ainsi un potentiel réchauffant 675 fois élevé que celui d’un kilogramme de CO2
- 3. L’effet Joule correspond à la production de chaleur lorsqu’un courant électrique traverse un matériau
- 4. Les zéolithes sont des cristaux formés d'un squelette microporeux d’aluminosilicate
- 5. Yixuan Zhao et al. Solid State Sciences (2019) 97:106001 et Solid State Sciences (2020) 101:106125
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du journal CNRS