Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Pour en savoir plus, lire l'édito.

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Par le réseau de communicants du CNRS

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Sel et matériau poreux : des enjeux cachés
28.04.2025, par Pierre Henriquet, Délégation Rhône Auvergne
Mis à jour le 28.04.2025

Bois, béton, roches, ciments, les matières poreuses sont tout autour de nous et constituent une part importante des matériaux de construction que nous utilisons. Ces matériaux poreux sont particulièrement sensibles à la présence d’eau dans le milieu environnant. Mais cette eau est rarement pure et contient souvent du sel, issu de processus naturels (embruns marin) ou artificiels (salage des routes en hiver). Mais comment ces matériaux poreux réagissent-ils à l’eau salée ?

Cristaux de NaCl (chlorure de sodium, le sel de table classique) obtenus par évaporation lente d’une goutte d’eau salée © J. Trosseille / ILMCristaux de NaCl (chlorure de sodium, le sel de table classique) obtenus par évaporation lente d’une goutte d’eau salée © J. Trosseille / ILM

Beaucoup de matériaux sont poreux (béton, brique, carton, ciment, bois). Cela signifie qu’ils sont composés de minuscules anfractuosités, de trous dans lesquels l’eau peut s’infiltrer. Si l’eau salée s’évapore alors qu’elle est confinée dans ces pores, le sel se concentre et peut même cristalliser quand la concentration est trop élevée, endommageant le matériau de manière esthétique (traces blanches) ou, plus grave encore, structurelle (fractures).
La compréhension de l’impact des variations d’humidité sur le comportement de l’eau salée dans les matériaux poreux est donc un sujet fondamental, tant pour le génie civil que les efforts de conservation du patrimoine (bâtiments, statues, fresques, mosaïques…).

Influence de l'humidité de l'air

Influence de l'humidité de l'air sur le comportement d'un liquide salé dans un matériau poreux. © Emilie Josse

Ce travail est particulièrement difficile en raison de son caractère multi-échelle. Les phénomènes étudiés vont de la taille des molécules d’eau (moins d’un nanomètre, soit un milliardième de mètre) jusqu’à celle du matériau dans lequel l’eau est infiltrée (de l’ordre du mètre), mais aussi par le grand nombre de disciplines impliquées (physique, chimie, thermodynamique, cristallographie…). « Beaucoup de paramètres physiques jouent sur l’évaporation ou la condensation de l’eau salée dans les matériaux poreux » nous dit Olivier Vincent, physicien CNRS à l’Institut Lumière Matière1. « Pour étudier ce phénomène, il nous faut donc simplifier le système et créer des dispositifs expérimentaux qui permettent de se concentrer sur quelques grandeurs clés qu’on va faire varier, comme par exemple l’humidité de l’air ou la taille des pores des matériaux. »

Ces matériaux étudiés sont dits « nano-poreux ». La taille de leurs pores est parfaitement déterminée, et varie de quelques nanomètres (1 milliardième de mètres) à quelques dizaines de nanomètres. Une fois ces matériaux imbibés d’eau salée, l’objectif sera d’observer, à température constante, l’influence de la variation d’humidité de l’air sur le comportement de cette eau salée. Lorsque l’humidité de l’air diminue, l’eau s’évapore, si elle augmente, elle s’y condense. Mais parce que le sel est hygroscopique (il a des affinités avec l’eau), sa présence dans ces nano-pores va aussi influencer le comportement de l’eau, qui aura moins tendance à s’évaporer que si elle était pure.
De même, la taille des pores dans lesquels est confinée cette eau salée joue un rôle très important sur son évaporation (ou sa condensation). Lorsque l’eau remplit un nano-pore, un ménisque se forme entre la solution et l’atmosphère (l’équivalent de la surface courbe d’un liquide lorsqu’il est placé dans une éprouvette). À cause de la tension de surface, cette courbure de l’interface air/eau vers l’intérieur du pore est d’autant plus marquée que ce dernier est petit. Elle provoque une différence de pression entre l’intérieur et l’extérieur du pore, qui change les équilibres physiques entre le liquide et l’atmosphère. La dynamique des processus étudiés (cristallisation, évaporation, condensation) est ainsi fortement influencée par la taille des pores.

Influence de la taille des pores

Influence de la taille des pores sur l'évaporation du liquide qu'ils contiennent. © Emilie Josse

« Les conditions physiques au sein de ces nano-pores sont uniques » dit Joachim Trosselle : chercheur post-doctorant dans l’équipe d’Olivier Vincent. « La courbure de l’interface air-eau, et donc la différence de pression entre l’intérieur et l’extérieur, est très grande. Ainsi, la capillarité (le même phénomène que celui qui fait monter le café dans un sucre ndrl.) est si importante qu’elle pourrait, en théorie, faire monter de l’eau contre la gravité jusqu’à une hauteur de l’ordre de la dizaine de kilomètres ! »
Tous ces phénomènes font qu’en pratique, plus les pores du matériau sont petits, plus la solution va s’évaporer à des humidités faibles. Réduire la taille des pores diminue donc la possibilité de cristallisation du sel dans le matériau. Mais il y a une autre conséquence : des matériaux nano-poreux vont aussi s’humidifier à des seuils d’humidité bien plus faibles que normalement.
Si ce résultat n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les matériaux de constructions nano-poreux, qui auront donc tendance à s’humidifier très (trop) facilement, il permet par contre d’entrevoir la fabrication de nouveaux matériaux destinés, par exemple, à récolter l’eau à partir de l’atmosphère dans des milieux arides, en favorisant la condensation de l’humidité dans le matériau.

Des perspectives très intéressantes qui feront probablement l’objet d’études ultérieures. Ainsi, loin de n’éclairer que les problématiques actuelles de génie civil, ces recherches laissent entrevoir la possibilité de développer de nouveaux matériaux aux propriétés inédites, optiques ou mécaniques. On peut ainsi envisager des matériaux dont la cristallisation du sel à l’intérieur leur permet de se déformer de manière déterminée, les transformant en minuscules actionneurs contrôlés par l’humidité. Une autre piste est la conception de matériaux dont la transparence optique change en fonction de l’humidité, pour les utiliser en tant que capteurs environnementaux.

 

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-SINCS-AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018/2019 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18/19).

Notes
  • 1. Unité CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1