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Aujourd’hui, l’augmentation de la demande en électricité est telle que les besoins en systèmes de stockage explosent. Cependant, les ressources en métaux sont limitées et coûteuses, tant sur le plan énergétique qu’environnemental. Dans ce contexte, utiliser des matériaux organiques pourrait constituer une alternative prometteuse, sur laquelle travaille une équipe CNRS des Hauts-de-France.

Un complexe à transfert de charge, l’un des matériaux d’électrode organique testés dans le cadre du projet Comets. © Manon Mignon
Apparues il y a 35 ans, les batteries représentent aujourd’hui un enjeu stratégique majeur en raison de l’électrification massive de nos modes de vie, et notamment du développement des voitures électriques. Cependant, l’exploitation du lithium, du cobalt ou du nickel pose des questions de disponibilité ainsi que de souveraineté, ces ressources étant rares sur le continent européen. Dès lors, ne pourrait-on pas créer des batteries à partir de matériaux organiques ? Le carbone, l’azote, l’oxygène, le soufre et l’hydrogène sont en effet présents en quantité, partout dans le monde. Les utiliser permettrait de s’affranchir non seulement du sujet des métaux critiques, mais aussi des problèmes de réactivité de ces métaux, qui peuvent conduire à courts-circuits. Sans compter que les matériaux organiques offrent également l’avantage d’être potentiellement issus de la biomasse, en plus d’être faciles à recycler.
Persuadée du potentiel de ce domaine émergent, une petite communauté de chercheurs s’y intéresse. Parmi eux, Matthieu Becuwe, professeur des universités à l’Université de Picardie Jules Verne. Depuis le début de sa carrière, ce chercheur est passé de la chimie organique à la synthèse des nanomatériaux, en passant par la chimie analytique, de greffage ou des matériaux hybrides. Une transversalité qu’il met désormais à profit au sein du Laboratoire de Réactivité et Chimie des Solides (LRCS[1]) d’Amiens pour dit-il, « explorer de nouveaux sentiers », et les batteries organiques en font partie.
Le manque de conductivité : un défi à surmonter
Si elles laissent entrevoir des perspectives attrayantes, les batteries organiques présentent un inconvénient de taille : leur faible conductivité. Pour y remédier, les chimistes ajoutent un additif conducteur carboné mais « la proportion est telle que l’on diminue de 30 à 40 % la capacité de stockage de la batterie », observe Matthieu Becuwe. En effet, en plus d’occuper une partie de l’espace, le carbone est aussi le siège de réactions parasites qui entravent parfois l’activité de la batterie. Alors que l’amélioration de la conductivité est très peu explorée, les récentes recherches du groupe laissent penser qu’il est possible de trouver de nouveaux matériaux, nécessitant moins d’additif conducteur, qui permettraient de fabriquer des batteries organiques plus performantes. Reste à confirmer cette intuition : c’est ainsi que démarre le projet COMETS (Matériaux organiques conducteurs pour le stockage électrochimique de l'énergie), retenu par l’Agence Nationale de la Recherche et financé de 2023 à 2026[2].
Coordinateur du projet, Matthieu Becuwe fait appel à l’Institut des sciences chimiques de Rennes (ISCR[3], groupe de la professeure Dominique Lorcy), spécialiste des matériaux organiques conducteurs, qui s’associe donc au LRCS : dans chaque laboratoire, un doctorant (Hugo Bevan, ISCR) et une doctorante (Manon Mignon, LRCS) réalisent les manipulations, sur lesquelles travaille au total une dizaine de scientifiques.
Au départ, l’équipe identifie trente matériaux potentiellement intéressants : certains existent déjà, tandis que d’autres sont conçus pour avoir des propriétés électrochimiques bien définies. « Il s’agit toujours de composés de carbone, d’hydrogène et de soufre, mais l’organisation des atomes change, explique Matthieu Becuwe. L’expertise de l’ISCR permet de contrôler techniquement cette organisation à l’échelle moléculaire, et donc de créer des chemins qui vont conduire les électrons. »
Le laboratoire rennais synthétise alors les matériaux et envoie à Amiens des échantillons de diverses nature (poudre ou cristaux très fins), dont le poids va de quelques milligrammes à quelques centaines de milligrammes. De son côté, le LRCS se charge de la caractérisation et réalise des tests électrochimiques pour observer la performance des batteries.

Cristaux de TMTTF (tétraméthyltétrathiofulvalène), utilisé dans la fabrication de sels radicalaires conducteurs. © Manon Mignon
Des expérimentations aux premiers résultats
Trois méthodes sont utilisées : la diffraction des rayons X (avec Jean-Noël Chotard, Maître de conférences au LRCS) permet de déterminer l’agencement des molécules à l’échelle nanométrique, tandis que la microscopie électronique en transmission donne à voir la morphologie des particules et l’organisation de la matière à l’échelle nanométrique (avec Carine Davoisne, Maîtresse de conférences au LRCS). Basée sur les vibrations des différentes liaisons, la spectroscopie infrarouge, quant à elle, fournit des informations sur l’évolution de la molécule d’un point de vue « fonction » chimique, en identifiant l’apparition, la disparition ou la modification de certaines liaisons.
Grâce à ces approches complémentaires, les scientifiques parviennent non seulement à analyser la composition exacte du matériau, mais aussi à comprendre précisément comment celui-ci réagit et évolue. « À condition, cependant, de prendre le temps, insiste Matthieu Becuwe. Car étudier un matériau en profondeur nécessite plusieurs mois d’expérimentations pour optimiser les différents paramètres. Par exemple, la vitesse de charge est essentielle : si l’on veut tester le matériau sur 100 cycles, à raison de 10 heures par charge, il faut 2 000 heures pour obtenir un résultat final », calcule le chimiste. L’objectif étant de développer une batterie qui conserve la même capacité de stockage d’énergie au début et à la fin de son utilisation.

Structure cristalline d’un sel radicalaire © Manon Mignon
Les complexes à transfert de charge font partie des matériaux testés : composés de deux molécules, l’une donnant des électrons et l’autre en acceptant, ils sont connus pour leur bonne conductivité et utilisés en électronique. En parallèle, les scientifiques du projet COMETS se concentrent également sur un autre type de matériaux : les sels radicalaires, qui contiennent des ions et des molécules comportant un électron non apparié, appelé « radical libre ». « Nous voulions être les premiers à étudier ces matériaux qui font l’objet de très peu de recherches », explique Matthieu Becuwe.
La stratégie, et la persévérance, se révèlent payantes. Après deux ans de tests sans tendance claire, l’équipe obtient des résultats tangibles au printemps 2025 : elle met au point et analyse des composés qui s’organisent efficacement pour créer des chemins de conduction performants. « Nous avons montré que des électrodes composites contenant seulement 10 % d’additif carboné ont des capacités de stockage en constante augmentation et qui s’approchent de plus en plus des standards dans le domaine », se réjouit le coordinateur de COMETS, qui espère encore des progrès dans les mois qui viennent : l’équipe a en effet ciblé cinq autres matériaux qui devraient être « au moins aussi performants » et souhaite en identifier une dizaine qui fonctionnent bien à l’issue du projet. « Maintenant que la machine est lancée, nous sommes dans une sorte d’urgence, avec de nombreuses pistes possibles, indique le chercheur. Nous devons définir les priorités pour la dernière année du projet ANR. Ensuite, il faudra trouver de nouveaux financements. »
La commercialisation de ces nouvelles batteries reste, quant à elle, une perspective assez lointaine. L’une des difficultés tient au fait que le matériau se dissout progressivement dans l’électrolyte liquide, ce qui réduit la capacité de stockage. Pour y remédier, il faudrait basculer vers des batteries tout solide, qui connaissent un fort engouement aujourd’hui. Or, il n’existe pas aujourd’hui d’électrolyte solide adapté aux batteries organiques. Mais moins qu’un obstacle, Matthieu Becuwe y voit « un nouveau champ à défricher ».
[1] Unité CNRS et UPJV
[2] Partenaires du projet COMETS : - Laboratoire de Réactivité et Chimie des Solides (LRCS) : UMR CNRS/Université de Picardie Jules Verne - Institut des sciences chimiques de Rennes (ISCR) : UMR CNRS/Université de Rennes/École Nationale Supérieure de Chimie de Rennes/INSA Rennes
[3] Unité CNRS, Université de Rennes, INSA
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR - COMETS - AAPG22. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2022 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 22).
