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En septembre 1838, le ministre de l’intérieur Marthe-Camille de Montalivet confie à Eugène Delacroix (1798-1863) la décoration de la bibliothèque de l’Assemblée nationale, appelée aussi Palais Bourbon. Le projet comprend deux culs-de-four séparés par cinq coupoles, chacune reposant sur quatre pendentifs. Le tout forme un vaisseau de quarante-deux mètres de long et dix de large.
Une maquette a été réalisée en 1843 pour le projet de décor peint de l’une des deux demi-coupoles (cul-de-four), celle dédiée à la Paix. L'œuvre est particulièrement précieuse car il ne subsiste que très peu de maquettes. Le projet pour l’autre cul-de-four consacré à la guerre est conservé à Strasbourg mais la structure était en trop mauvais état. En 1880, le papier a été déposé de sa maquette et a été mis à plat.
Détenue par le Musée Delacroix, la maquette a été confiée au Centre de recherche et restauration des musées de France (C2RMF). L’objectif : étudier cette peinture-objet afin de la maintenir dans le meilleur état possible et ainsi conserver ce précieux témoignage de l’œuvre de Delacroix. Le travail du C2RMF est de faire un diagnostic de l’œuvre. Pour ce faire, Bruno Mottin, conservateur général du patrimoine, aura besoin de toute la batterie d’imagerie à sa disposition. Alexis Komenda, photographe, a pour mission de réaliser le dossier d’imagerie sur cette œuvre.
Photo : Le 26 avril 2018, à l’occasion du Live du CNRS au C2RMF, Alexis Komenda, photographe, a reconstitué le dispositif de prise de vue nécessaire à la réalisation du dossier d’imagerie d’une œuvre. Il a installé la maquette de Delacroix dans le laboratoire photo du Centre. On peut également voir les radiographies réalisées par Elsa Lambert de cette étonnante peinture-objet. (crédit : N. Lambert / CNRS Images)
Constitution du dossier d’imagerie d’une œuvre
Cette maquette est faite d’un socle de bois en arc de cercle et d’une armature de bois recouverte d’un entoilage pour éviter que l’humidité ne pénètre à l’arrière. L’intérieur de la maquette est recouvert d’une toile sur laquelle Delacroix a réalisé son esquisse du décor définitif représentant Orphée venant policer les Grecs et leur enseigner les arts de la paix. On s’aperçoit que la toile est déchirée, boursoufflée ou décollée par endroit.
Le simple fait d’examiner une œuvre en lumière directe, en lumière rasante, en infrarouge, en ultraviolet et en radiographie révèle une grande quantité d’informations qui sont invisibles à l’œil nu.
La photographie directe en lumière visible est la photographie que tout le monde connaît. Mais une attention particulière est portée à la neutralité des éclairages et du cadrage, à la reproduction des couleurs et à l’obtention d’une bonne définition des images.
Dans le cas de cet objet en trois dimensions, plusieurs angles ont été nécessaires afin d’enregistrer au mieux l’apparence de l’objet. Ces images servent de constat d’état.
Photo : La prise de vue d’œuvre est systématiquement faite avec des chartes de couleurs (ici à gauche). Ainsi, les couleurs sont reproduites le plus fidèlement possible et considérées comme exactes. L'image imprimée fournie peut ainsi servir de référence. (crédit : N. Lambert / CNRS Images)
La photographie en lumière rasante révèle l’état de surface d’une œuvre. Éclairée par un faisceau lumineux très dirigé formant un angle de 15° avec sa surface, les moindres reliefs d’une œuvre sont ainsi accentués par leurs ombres portées.
La couverture photographie en lumière rasante a dû être adaptée à la forme convexe de l'objet.
L’imagerie en ultraviolet (UV) enregistre la fluorescence des matériaux. Un matériau fluorescent a la propriété d'absorber certaines longueurs d'ondes pour les restituer dans le visible.
La fluorescence peut être caractéristique de certains matériaux du patrimoine et permet leur identification et leur localisation notamment les restaurations, retouches et vernis...
Photo : La photographie en fluorescence ultraviolet permet de voir que l’encadrement en bois doré, ainsi que quelques éléments de la peinture, ont été repris aux endroits visibles en bleu foncé. (crédit : Alexis Komenda / C2RMF)
La photographie infrarouge (IR) est faite avec le même appareil photographique que pour le visible, tirant partit du fait que les capteurs CCD sont sensibles de 400 à 1000nm. Une fois l'appareil photographique défiltré (du filtre par construction anti-IR), on place un autre filtre pour n'enregistrer que les radiations IR supérieures à 780nm. Le but est de déceler un dessin sous-jacent (préparatoire ou repentir).
Photos : En haut à gauche la photographie en lumière directe. En haut à droite la photographie en infrarouge (IR). En bas, l’image en fausses couleurs. En partie basse sous les pieds d’Orphée et de ses assistants, l’image en fausses couleurs permet de mettre en évidence des sortes d’éraflures qui ont été retouchées. (crédit : Alexis Komenda / C2RMF)
Afin de présenter au mieux cet examen et d'en faciliter la lecture des images sont créées en fausses couleurs. On superpose ensuite sur ordinateur la photographie en lumière directe, composée des couches de rouge, vert et bleu, et l’image infrarouge. On supprime la couche du bleu puis l’infrarouge devient la couche de rouge, l’image rouge remplace la couche de vert et l’image verte celle de bleu. Le résultat donne des indications sur la nature des pigments utilisés et permet de localiser plus facilement les changements de composition effectués par le peintre.
La réflectographie infrarouge est basée sur le même principe que la photographie IR mais utilise un système de détection différent, sensible jusqu’à 1700nm, permettant ainsi de traverser les couleurs les plus opaques et d’apporter plus d’informations sur le dessin sous-jacent.
Dans le cas de cette maquette, l’équipe a été confrontée aux problèmes techniques liés à cet objet en trois dimensions. Car la réflectographie infrarouge donne une image avec une faible profondeur de champ et il n’était pas possible d’avoir une bonne couverture de ce quart de sphère, en toute sécurité.
La radiographie en rayon X dans la connaissance des œuvres n'est plus à démontrer. Elle est aujourd’hui utilisée pour comprendre la structure des peintures et des objets.
Photos : Radiographie en rayon X de face (à gauche) et de dessus (à droite) de la maquette de Delacroix. Les vis visibles sur ces radiographies sont au nombre de sept et permettent de fixer les planches constituant la demi-coupole au socle semi-circulaire. (crédit : Elsa Lambert / C2RMF)
Pour la maquette de Delacroix, la radiographie permet de se rendre compte que l’objet n’est pas constitué d’un seul bloc de bois mais plutôt de tranches de bois un peu comme des quartiers (16) d’orange. Avec le temps, les pièces de bois travaillent, se décollent ou se désarticulent. À une certaine époque l’objet a été suspendu par deux crochets qui ont exercé une traction vers le haut, probablement à l’origine de la rupture des joints que l’on peut observer en partie haute.
Le diagnostic
L'imagerie scientifique a permis d'identifier les matériaux constitutifs et le mode de réalisation de cette œuvre. Cela va permettre aux restaurateurs et à l'équipe du musée Delacroix de définir comment lui assurer la meilleure conservation : les interventions à réaliser pour éviter qu'elle ne se dégrade, les intervention à éviter pour ne pas la dénaturer, le conditionnement nécessaire afin d'en assurer la plus grande longévité possible.
Billet écrit par Nathalie Lambert en collaboration avec Bruno Mottin et Alexis Komenda du C2RMF
Les expositions, à Paris, jusqu'au 23 juillet :
Delacroix (1798 – 1863) au Musée du Louvre
Delacroix à Saint-Sulpice au Musée nationale Eugène Delacroix
Pour en savoir plus :
- le site du C2RMF sur l’imagerie
- Carnets de science n°4 / Le dossier « La science révèle le patrimoine »