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La science d’un côté, l’art de l’autre : incompatibles ces deux-là ? La froideur cartésienne de la recherche de vérité s’oppose-t-elle forcement à la quête du beau, du rêve, de la transformation du réel ? Ce serait oublier que c’est précisément ce réel que la photographie et la science ont en commun, et qu’elles gagnent à se nourrir l’une de l’autre pour peu qu’on les fasse dialoguer subtilement.
Un programme tourné vers les enjeux du monde contemporain
C’est justement l’ambition de la Résidence 1+2 « Photographie & Sciences », programme multiforme ancré à Toulouse dont le CNRS est partenaire. Il rassemble photographes et chercheurs autour de projets mêlant leurs univers, leurs méthodes, leurs regards. Avec un objectif simple : donner à voir et comprendre les grands enjeux du monde contemporain. Valoriser le travail parfois méconnu ou mal compris des scientifiques et infuser de science la démarche artistique du photographe, telles seraient les deux faces de cette même pièce qu’est le réel.
Pour ce faire, le programme, né il y a cinq ans, attribue à un photographe de renom et à deux photographes émergents un financement lié à une résidence d’artiste de deux mois dans la région de Toulouse. Lors de celle-ci, ils sont appelés à réaliser un projet associant les photos et les sciences (au pluriel car toutes les disciplines sont convoquées) en partenariat avec des chercheurs de leur choix. Les photos issues de cette résidence édition 2021, que les lauréats ont effectuée au printemps dernier, font à présent l'objet d’une exposition à Toulouse, du 30 octobre au 28 novembre.
Les lauréats de la résidence d'artiste s'exposent à Toulouse
Le photographe de renom sélectionné cette année, également lauréat du prestigieux prix Nièpce Gens d’Images 2021, est Grégoire Eloy. Photographe documentaire depuis près de 20 ans, il a notamment bâti sa renommée grâce à ses pérégrinations imagées dans l’ex-URSS, sur des territoires affectés tant par les guerres que par la dislocation du Bloc de l’Est.
Mais Grégoire Eloy n’est pas un novice en matière de science. Depuis de longues années déjà, il collabore avec des scientifiques sur des projets consacrés aux sciences de la matière. Résultat : une trilogie d’ouvrages dont le dernier, en cours d’élaboration, s’intéresse plus spécifiquement à la glaciologie, qu’il explore aux côtés d’Étienne Berthier, chercheur au CNRS et glaciologue au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales1/Observatoire Midi-Pyrénées (LEGOS/OMP).
Saisi par les images satellites de l’inexorable fonte des glaciers, Grégoire Eloy s’est élancé sur les pentes du glacier d’Ossoue, dans le massif du Vignemale, dans les Pyrénées, pour réaliser un travail à multiples échelles associant images venues du ciel et clichés saisis au plus près du terrain.
On ne s’étonnera pas que le climat, enjeu critique du monde contemporain, soit évoqué dans les œuvres de Myriem Karim et Laure Winants, les deux photographes “émergentes” retenues aux côtés de Gégoire Eloy pour cette édition 2021. Cette dernière a ainsi collaboré avec l’Observatoire Midi-Pyrénées pour explorer les fluctuations climatiques au pic du Midi de Bigorre.
Le prix « Photographie & Sciences » vient d'être attribué
La Résidence 1+2 vient par ailleurs de créer, en partenariat avec le CNRS, l’ADAGP, Fisheye Magazine et Sciences & Avenir - La Recherche, un prix Photographie & Sciences doté de 7.000 euros. Il vient d’être décerné à Richard Pak pour son projet intitulé « Les Îles du Désir - chap. II », deuxième chapitre d’un cycle anthologique sur l’insularité, après « La Firme », consacré à l’île Tristan Da Cunha, dans l’océan Atlantique. Dans ce deuxième volet, Richard Pak s’intéresse à l’île de Nauru, dans le Pacifique Sud, dont l’histoire contemporaine singulière lui inspire un véritable conte photographique.
« Ce qui m’intéresse, et qui donne une forte dimension photographique au projet, c’est que l’histoire de cette île est intimement liée au phosphate, explique-t-il. Toute sa destinée y est liée. Après son indépendance en 1968, la république de Nauru nationalise sa mine de phosphate qui constitue une ressource extraordinaire, et le pays, d’à peine 21 km2, devient rapidement l’un des plus riches du monde, avec de forts mécanismes de redistribution assurant la prospérité de ses 12.000 habitants. Mais lorsque le phosphate se tarit dans les années 1990, tout s’effondre et en dix ans le pays devient l’un des plus pauvres au monde. »
Richard Pak veut documenter la nouvelle réalité de l’île, dont l’intérieur est désormais un désert, à la manière d’un conte qui finit mal. Il s’y rendra en mars 2022 à l’occasion de l’élection de Miss Nauru et des championnats d’haltérophilie, une spécialité locale. « Il y aurait une symbolique forte, avec d’un côté les princesses d’une île en déclin, et de l’autre ces chevaliers tout en muscles soulevant les haltères comme autant d’épées de Damoclès au-dessus de leurs têtes », explique-t-il.
Afin de donner une dimension plus forte à son travail, Richard Pak souhaite faire appel à des chimistes du CNRS pour explorer des dérivés du phosphate. « Grâce à ma sœur, agrégée de chimie, j’ai déjà pu plonger certains de mes clichés dans des bains de dérivés de phosphate. Ils en sont ressortis irrémédiablement abîmés, à l’image de l’île, commente le photographe. Mais j’aimerais aussi confier cette histoire à des géographes, des économistes, des anthropologues, pour leur demander s’il s’agit d’un cas particulier ou plutôt d’une allégorie de la Terre… de ce qui nous menace tous. »
Le prix Photographie & Sciences a été pour Richard Pak l’occasion d’interroger ses projets artistiques au prisme de la science, et de voir comment les articuler ensemble pour rendre compte au mieux d’une réalité que ni l’une ni l’autre ne peut saisir totalement. Et pour les scientifiques, le dialogue avec les photographes est aussi une manière d’attirer l’œil du public sur ces pans parfois invisibles de notre monde dont les soubresauts sont pourtant si importants. Espérons donc que ce dialogue se poursuive et que ces initiatives se multiplient, loin des oppositions dépassées.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de la Résidence 1+2 « Photographie & Sciences ».
- 1. Unité CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier/Cnes/IRD.
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