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De même qu’un Smartphone peut, grâce aux nouveaux matériaux qu’il contient, servir de téléphone, mais aussi d’appareil photo ou de calculateur pour gamer, bien plus puissant que ceux embarqués sur les missions lunaires, les générations de satellites à venir vont pouvoir bénéficier de nouvelles fonctionnalités. Trois tendances fortes apparaissent en la matière : l’autoréparabilité, l’adaptabilité et la multifonctionnalité.
Un système est autoréparable lorsqu’il dispose de la capacité à revenir de manière autonome à une situation initiale, exempte de défauts et parfaitement opérationnelle. Celai après un changement de mode opératoire mais sans effet extérieur, ni matière additionnelle ou dissipation d’énergie à l’endroit endommagé.
L’intelligence des matériaux
L’adaptabilité permet de reconfigurer un système vers d’autres régimes de fonctionnement ou vers d’autres environnements en utilisant peu de temps, d’énergie et de matière. La navette spatiale a ainsi été le premier véhicule à pouvoir évoluer à la fois dans l’atmosphère terrestre et dans l’espace. On a également vu apparaître il y a quelques années des bateaux volants qui sortent de l’eau lorsque les conditions le permettent, passant d’un mode de navigation conventionnel vers un mode de sustentation qui limite les frottements.
Vue des panneaux solaires de la sonde BepiColombo en route vers Mercure (Crédit: ESA/BepiColombo/MTM)
La capacité d’un système complexe à accomplir plusieurs tâches reposant sur des principes physiques différents définit la multifonctionnalité. Cela présente l’avantage majeur de diminuer spectaculairement la masse et la consommation en énergie des engins spatiaux. On pense par exemple aux cellules solaires, qui pourraient aussi servir de voiles solaires tout en assurant une protection efficace contre les radiations.
Ces différentes fonctionnalités nécessitent des matériaux « dynamiques », c’est-à-dire capables de modifier leurs propriétés surfaciques et volumiques à façon, soit spontanément, soit sous l’effet d’un stimulus externe que l’on voudra le plus faible possible. Si l’autoréparabilité des métaux, également capables de recouvrer la mémoire de leur forme originelle, a déjà été démontrée, on sait aujourd’hui qu’il est possible de retrouver cette propriété dans des matériaux dits « intelligents » fondés sur le graphène. Cela s’applique notamment en micro et en nanoélectronique, tant il est vrai qu’aujourd’hui les dispositifs embarqués constituent un élément essentiel de toute activité spatiale.
D’autres propriétés indispensables
Néanmoins, les trois fonctionnalités évoquées ci-dessus ne recouvrent pas à elles seules tous les avantages que les nouveaux matériaux offrent au développement des performances des engins spatiaux. D’autres propriétés sont en soi indispensables, à savoir : une extrême dureté, une résistance exceptionnelle à l’usure, une réflectivité (ou à l’inverse, une absorbance) aussi élevée que possible et enfin une résistance spécifique hors norme.
Cas d’un satellite avec des solutions utilisant des matériaux avancés. Comme le montre cette infographie, Il n'y a pratiquement pas une seule zone où l’usage de nouveaux matériaux ne pourrait aider à améliorer la conception, la fonctionnalité et les caractéristiques des satellites. D’après Levchenko et al. (2008). Reproduit avec la permission de Advanced Materials (Copyright, Wiley-VCH).
Prenons l’exemple de cette nouvelle génération de petits satellites – on parle de nanosatellites dont le poids se situe entre 1 et 10 kg –, les « CubeSat », appelés à démocratiser l’accès à l’espace, grâce à des solutions technologiques à très faible coût. L’électronique de ces dispositifs doit être parfaitement fiable de manière à éviter la redondance des systèmes qui, en dupliquant les fonctions, autorise une défaillance, mais reste rédhibitoire dans une course permanente au gain de masse. L’autoréparabilité d’éléments critiques des circuits électriques embarqués a été démontrée pour de nombreux composants comme les supercondensateurs – qui offrent une densité de puissance et une densité d'énergie intermédiaires entre les batteries et les condensateurs classiques –, les photodiodes, les transistors, etc. Il est donc parfaitement concevable aujourd’hui d’arriver rapidement à une électronique totalement autoréparable. De plus, une électronique ultralégère, fondée sur des structures de carbone de basses dimensionnalités (fullerènes, nanotubes, graphène, etc.) couplées aux nanotechnologies pour miniaturiser les dispositifs tout en améliorant leur efficacité, apparaît depuis peu.
Dans le cas des missions interplanétaires, la durée de vie des systèmes de puissance basés sur des cellules solaires doit recourir à des matériaux plus performants que ceux dont la sonde Juno, lancée par une fusée Atlas V le 5 août 2011, a pu bénéficier. En effet, les quelque 19 000 cellules solaires en arséniure de gallium (pourtant 50 % plus efficaces et plus résistantes aux radiations que des cellules conventionnelles en silicium) n’ont plus pu fournir que 4 % de la puissance nominale enregistrée au départ de la mission, lorsque la sonde a atteint l’orbite de Jupiter après sept années de voyage. Les dégâts d’irradiation ne peuvent être acceptés sur des activités d’aussi long terme. Des alternatives crédibles apparaissent aujourd’hui grâce aux nanotechnologies qui offrent des alternatives robustes pour des vols de plusieurs années.
La voie des composites
Enfin, la structure même des satellites et des sondes (le corps, les réservoirs, le châssis, et les autres parties mécaniquement sollicitées – voir l’illustration), faisant actuellement appel à des alliages essentiellement à base d’aluminium ou de titane, devrait évoluer vers des composites complexes, à la fois résistants et légers. Ils allieraient métaux et céramiques dans une matrice polymère, où les éléments de renforcement seraient essentiellement des nanostructures à base d’éléments légers (nanotubes de carbone, de nitrure de bore, lamelles de graphène, etc.). Ces matériaux dynamiques permettent de former des structures autoréparatrices, ayant intrinsèquement la possibilité de réduire la formation et d’éliminer la présence de fissures grâce à leur capacité à former de nouvelles liaisons chimiques, de mettre en jeu des forces supramoléculaires, plus faibles que les forces covalentes présentes dans les molécules.
Les évolutions spectaculaires que nous avons connues depuis quelques années rendent désormais accessibles une nouvelle classe de matériaux dynamiques, autoréparateurs, actifs et avancés. Maîtriser, sur tous les aspects évoqués et d’autres encore exposés dans un article de la revue Advanced Materials, les performances des dispositifs intégrant différents matériaux pour des missions de très longue durée dans l’espace, va nécessiter de mieux comprendre certains aspects fondamentaux. Ce sera d’autant plus vrai qu’il faudra un jour y ajouter un élément nouveau : l’Homme lui-même. ♦
Thierry Belmonte est directeur de recherche au CNRS et actuellement directeur de l’Institut Jean Lamour1, une unité mixte de recherche CNRS-Université de Lorraine dédiée aux matériaux et située à Nancy. Il est un spécialiste des décharges dans les liquides diélectriques dans l’objectif d’élaborer des nanoparticules hors équilibre thermodynamique pour des applications dans le domaine de l’énergie.
- 1. Unité CNRS/ Université de Lorraine.
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