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À l’aube du XXe siècle, lors de l'avènement des Jeux olympiques modernes, les athlètes portaient des chaussures et des vêtements faits de cuir, de laine et de coton. Ils étaient munis d'équipements principalement conçus en bois (raquettes, skis, perches, arcs, etc.) ou en métal (vélos, etc.). À peine cinquante ans plus tard, le paysage de l'équipement sportif s’est métamorphosé suite à une véritable révolution : l'introduction des matériaux plastiques.
L’ère des plastiques et des fibres synthétiques
Les plastiques sont faits de polymères, dont le chimiste allemand Hermann Staudinger est le premier à comprendre la nature macromoléculaire, ce qui lui vaudra le prix Nobel de chimie en 1953. Constitués de longues chaînes d'unités répétitives appelées « monomères », ces matériaux polymères se distinguent non seulement par leur légèreté mais aussi par leur capacité à se déformer et par leur mise en forme avec des procédés relativement simples. Ces caractéristiques les opposent nettement aux matériaux métalliques ou céramiques, plus rigides mais également bien plus lourds.
Du point de vue industriel, la filière des plastiques est sans doute celle qui a connu la croissance la plus fulgurante, avec une production passant de 1,5 million de tonnes en 1950 à plus de 460 millions de tonnes en 2022 selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L'ère véritable des plastiques prend son envol au début du XXe siècle, avec l'avènement de la Bakélite. Très rapidement, cette innovation se substitue à des matériaux naturels comme l'écaille de tortue, la corne ou l'ivoire dans de nombreuses applications. Par la suite, une multitude de nouvelles matières plastiques voient le jour. Leur utilisation remplace celle des matières naturelles devenues rares, coûteuses ou inaccessibles, notamment durant les périodes de guerre mondiale.
Un exemple significatif de cette transition se produit en 1941, lorsque les États-Unis entrent en conflit avec le Japon, principal fournisseur de fibres de soie utilisées pour la fabrication des toiles de parachutes. Face à cette pénurie, le gouvernement américain charge la société DuPont de Nemours, un acteur majeur de l'industrie chimique américaine, de développer un matériau synthétique de remplacement. C'est ainsi que naît le Nylon, initialement employé pour la confection des parachutes utilisés lors du débarquement, puis rapidement intégré dans de nombreux vêtements et textiles destinés au sport après la Seconde Guerre mondiale.
Une autre fibre textile synthétique a marqué une révolution dans les tenues sportives : l’élasthanne. Cette fibre à base de polyuréthane est capable de s'étirer jusqu'à sept fois sa longueur, permettant la fabrication de vêtements ultra extensibles. En 1968, l'équipe olympique de ski française fait sensation en arborant fièrement les premières combinaisons avec de l’élasthanne, inaugurant ainsi une ère de nouvelles lignes aérodynamiques pour les skieurs, mais pas seulement. Du cyclisme au tir à l'arc en passant par le sprint, l’élasthanne et le Nylon s'imposent dans les tenues de tous les athlètes.
Le Polyester (1950, DuPont de Nemours), également utilisé pour la fabrication de bouteilles d'eau, est un autre polymère synthétique dont la fibre est très appréciée dans les activités sportives en extérieur pour sa grande résistance et son imperméabilité. Cette dernière propriété est aujourd’hui combinée à la respirabilité grâce aux fameuses membranes techniques « imper-respirantes » de type Gore-Tex®. Ces membranes que l’on combine à un tissu sont une couche extrêmement mince de polymère hydrophobe, le polytétrafluoroéthylène (ePTFE), parsemées de milliards de petits pores par centimètre carré. Ces pores font la force des tissus Gore-Tex®, leur permettant d’être à la fois imperméables, souples, respirants et coupe-vent.
Les matériaux composites : une démarche résolument biomimétique
Les grandes évolutions des matériaux pour le sport ne se cantonnent pas aux textiles. Depuis près de 50 ans, une approche biomimétique permet de sauter toujours plus haut, glisser toujours plus vite ou mettre toujours plus d’impact dans son coup droit. Un tour de force rendu possible grâce au développement des matériaux « composites » qui combinent plusieurs composés aux propriétés distinctes au sein d'une même structure. Tout l’art du chimiste réside alors dans l'exploitation d'une synergie entre un matériau principal plutôt léger, comme une matrice polymère, et un matériau de renfort, le plus souvent à base de fibres.
La nature excelle dans l'art d'associer des matériaux aux propriétés très diverses. Le bois, la nacre ou encore les carapaces de crustacés illustrent parfaitement cette stratégie de renforcement adoptée pour les matériaux composites modernes. La seconde moitié du XXe siècle a ainsi été marquée par d’intenses efforts de recherche interdisciplinaire entre chimistes, physiciens et ingénieurs pour imiter la nature et mettre au point des matériaux composites aux performances améliorées. Cela vaut particulièrement pour le sport, où les matériaux polymères ou époxy renforcés par des fibres de verre, de carbone ou d’aramide (Kevlar®) se sont invités dans pratiquement toutes les disciplines.
L’essence même des matériaux composites réside dans l'optimisation des propriétés recherchées tout en minimisant le poids total de l'objet. Les ingénieurs, véritables artisans de cette révolution, jonglent avec une variété de fibres, courtes ou longues, tissées ou non, pour créer des matrices polymères renforcées et atteindre des propriétés exceptionnelles dans la ou les directions réellement sollicitées par le geste du sportif. Prenons le saut à la perche : les limites de l'impossible ont été redéfinies grâce aux perches en fibre de verre et de carbone. Parfaitement élastiques, ces concentrés d'ingénierie se plient sans rompre pour propulser les athlètes vers de nouveaux sommets en restituant la quasi-totalité de l’énergie de cette déformation.
Archerie, cyclisme, nautisme, sports de glisse ou de balle, les matériaux composites ont révolutionné le sport et le handisport, rivalisant avec les métaux en termes de performance tout en allégeant la charge de manière conséquente. Chaque gramme compte lorsque chaque mouvement est minutieusement calculé. Derrière cette prouesse technologique se cache un défi de taille pour les chimistes : maîtriser les interfaces au sein de ces matériaux. Clés de voûte des composites, ces zones de transition sont soumises à des contraintes mécaniques extrêmes, exigeant une parfaite adhésion pour garantir la cohésion et la solidité du matériau mais aussi la synergie des propriétés. Sans elle, toute cette ingénierie serait vaine.
Quelle économie circulaire pour les matériaux et articles de sport ?
Équipements en matériaux composites, textiles techniques, balles et ballons, revêtements des salles de sport aux propriétés de surface et mécaniques essentielles… les polymères synthétiques ont progressivement envahi le monde du sport. Cependant, cette prolifération s'accompagne d'un revers moins reluisant : une montagne croissante de déchets difficilement recyclables car constitués de matières de différentes natures. Les articles de sport ne font pas exception à cette problématique mondiale. Certes, des initiatives existent pour prolonger la durée de vie de certains équipements. Des événements tels que les friperies et les foires locales offrent ainsi aux novices comme aux passionnés la possibilité de récupérer des articles de sport encore en bon état, peu utilisés ou abandonnés par des sportifs chevronnés en quête de matériel plus sophistiqué. Cependant, bien que ces actions contribuent à instaurer une économie circulaire, elles ne résolvent pas le défi ultime de la gestion de la fin de vie de ces produits.
En mai 2023, le CNRS a lancé un ambitieux programme de recherche et développement à l'échelle nationale, visant à fédérer la communauté scientifique et industrielle autour du recyclage. Avec un budget global de 40 millions d’euros sur 6 ans, ce Programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) baptisé Recyclage, recyclabilité, ré-utilisation des matières et financé par la stratégie nationale d’accélération France 2030, s’attaque à la gestion de tous types de déchets. Parmi les matériaux ciblés par ce programme se trouvent les fibres textiles synthétiques et les matériaux composites, directement impliqués dans la pratique sportive. L'objectif est de trouver des solutions innovantes pour recycler ou réutiliser ces matières et contribuer à une économie circulaire plus durable.
Pas facile, les textiles
Avec moins de 1 % de ses déchets recyclés en textile, cette industrie est plutôt en retard dans la course à l'économie circulaire. La complexité des textiles modernes, souvent tissés à partir de fils multi-composants, c’est-à-dire alliant plusieurs fibres de polymères différents à l’échelle microscopique, rend leur recyclage particulièrement ardu. Un exemple ? Les fils hybrides d’élasthanne et de nylon utilisées dans les collants et justaucorps et qui permettent d’allier robustesse et élasticité. Cette complexité est particulièrement prononcée pour les vêtements techniques de sport, qui peuvent en plus présenter des traitements de surface hydrophobes ou autres. Pour les recycler, il faut parvenir à séparer et récupérer les différentes fibres et les réutiliser pour une application textile à valeur identique voire supérieure (up-cycling), et non pour une application de moindre valeur (down-cycling).
Pour relever ce défi, les industriels s'allient à des laboratoires de recherche en chimie pour développer des procédés innovants permettant de récupérer chaque type de fibre de polymère distinct. Un exemple récent est le procédé Ecollant, fruit d'une collaboration entre des acteurs industriels de la mode et le laboratoire Ingénierie des matériaux polymères1. Cette méthode révolutionnaire permet de désassembler les fibres d'Élasthanne et de Nylon de manière économique et respectueuse de l'environnement, une première mondiale.
Passer de l’échelle du laboratoire à l’échelle industrielle et convaincre le monde de la mode d’adopter ces matières revalorisées : voilà les prochaines étapes de ce projet innovant qui illustre le rôle crucial de la chimie dans la proposition de solutions pour offrir une fin de vie respectueuse aux textiles.
Recycler ce qui n’est pas recyclable : une performance de chimiste
À l’instar des nombreux fils textiles synthétiques, les matériaux composites allient intimement des matériaux très différents. Leur recyclage s’apparente aussi à la performance sportive. Comment, en effet, affaiblir des interfaces dont la robustesse a été minutieusement optimisée pour absorber un maximum d'énergie mécanique ? Faire et défaire, telle est la vocation éternelle des chimistes qui, une fois de plus, ne sont pas à court d’idées.
Si la stratégie à court terme de brûler ou enterrer les déchets trop difficiles à recycler est encore trop largement répandue, une nouvelle ère dans la gestion de la fin de vie des matériaux composites a émergé en Aquitaine. À l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux2 (IMCB), une solution a vu le jour qui pourrait révolutionner leur recyclage : utiliser les fluides supercritiques pour fragiliser les interfaces entre les composants chimiquement distincts des matériaux composites.
Entre gaz et liquide, l’état supercritique est un état de la matière bien connu des chimistes et des physiciens. Dans des conditions spécifiques de pression et de température, les molécules deviennent schizophrènes : « suis-je un gaz ou un liquide ? » Incapables de choisir entre les deux, les molécules adoptent un comportement hybride. D’un côté, elles se comportent comme un gaz capable de diffuser dans les interstices les plus infimes et d'occuper tous les volumes disponibles, y compris aux interfaces dans un matériau composite. D’un autre côté, elles présentent les propriétés d’un liquide, pouvant solubiliser des molécules et potentiellement dissoudre le matériau ou la colle avec lesquels elles interagissent.
Exposée au CO2 à l’état supercritique dans un autoclave sous pression, une basket de sport composée de plusieurs couches (semelle externe, renfort, couche intermédiaire qui absorbe les chocs, chaussant tissé…) peut ainsi être délaminée en ses composants individuels. Chaque déchet plastique distinct peut ensuite rejoindre la filière de recyclage qui lui est propre. En jouant sur la bonne combinaison de co-solvant avec ces fluides schizophrènes, il est possible d’optimiser ce procédé pour démanteler toutes sortes de matériaux complexes. Skis, chaussures, raquettes mais aussi cartes de crédit, panneaux solaires ou pales d’éoliennes… rien ne résiste aux chimistes de la startup Idelam issue des recherches de l’ICMCB et dont le procédé s’est vu décerner le label « Solar Impulse Efficient Solution ». Attribué par la Fondation Solar Impulse, ce label récompense un haut niveau de rentabilité et de durabilité.
Le XXIe siècle ou l’ère de l’écoconception
Le recyclage est une étape cruciale, mais concevoir dès le départ des produits dont la fin de vie est intégrée dans leur design représente une approche encore plus avant-gardiste, bien que pas forcément nouvelle. Une fois de plus, la nature a surpassé les scientifiques, avec des matériaux naturels intrinsèquement biodégradables ou recyclables.
Dans une démarche d’écoconception affirmée, des chimistes de la société Arkema ont récemment conçu une basket entièrement recyclable composée chimiquement d’un seul polymère : le polyamide. Commercialisé par Arkema sous le nom de Rilsan® et déjà largement utilisé dans les skis, les chaussures de ski ou encore les casques et les lunettes de protection, ce polyamide est dérivé d'huile de graines de ricin. Cette plante pousse sur des zones arides non exploitées par l'industrie agroalimentaire et offre une ressource renouvelable et durable par rapport aux ressources fossiles dont sont issus la majorité des polymères synthétiques. La basket réalisée dans ce polyamide biosourcé est tout aussi performante qu’une basket multi-composants, mais peut être directement transformée en nouvelles fibres textiles en fin de vie.
Cette solution très attrayante devrait gagner en popularité dans de nombreux domaines. Elle implique cependant de nouvelles recherches en chimie des procédés et en science des matériaux pour diversifier les propriétés d'un même matériau de base, de préférence biosourcé. La chimie n’a pas fini de nous surprendre avec ses innovations au service d'une économie circulaire et respectueuse de l'environnement.
Au-delà des plastiques et textiles synthétiques, les chimie œuvre pour trouver des solutions à de nombreux autres problèmes liés aux déchets et à la pollution de l’air, l’eau et les sols. Le 6 mai 2024, CNRS Chimie lancera sa Cellule Développement durable. L’occasion de découvrir certaines de ces initiatives de recherche ainsi que des nouvelles façons durables et responsables de conduire la recherche.♦
Anne-Valérie Ruzette, chercheuse en physico-chimie des polymères, coordonne la cellule d’expertise de CNRS Chimie et conduit de nombreuses missions de diffusion des connaissances pour la chimie.
Jean-François Gérard est professeur à l’université de Lyon et au sein du laboratoire Ingénierie des matériaux polymères (IMP- Unité CNRS /Université de Lyon/INSA Lyon), directeur-adjoint scientifique de CNRS Chimie et directeur du PEPR Recyclage, recyclabilité, ré-utilisation des matières.
A voir
Quand les fluides supercritiques facilitent le recyclage des déchets (vidéo)
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