Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »
Donner du sens à la science

A propos

De l’atome au matériau, la chimie donne matière(s) à penser. Qu'ils touchent aux nanomédicaments, aux téléphones mobiles, aux véhicules à hydrogène ou à l’utilisation de la biomasse, des chimistes explorent de nouvelles pistes en tenant compte des enjeux environnementaux et sociétaux. Lancé à l'occasion de l'année de la chimie, ce blog est une invitation à découvrir leurs travaux et leurs réflexions.
 

A la une

En quête de la forme et des mouvements des molécules
27.05.2019, par Marc Baaden
Pourquoi est-il si important d'identifier la forme des molécules ? Comment la réalité virtuelle peut-elle y contribuer ? Les réponses du chimiste Marc Baaden dans ce nouveau billet du blog « Matières à penser ».

Lors des dernières journées portes ouvertes de l’Institut de biologie physico-chimique (IPBC), haut lieu de science qui inspira Jean Perrin pour fonder le CNRS, nous avons présenté notre toute récente plateforme de visualisation moléculaire. Nous avons alors été questionnés par un visiteur : « mais pourquoi cherchez-vous à identifier la forme des molécules ? quelle est son importance ? ». Si ce point est une évidence pour les chercheurs qui se consacrent à cette étude, il mérite un éclairage pour les profanes.

La reconnaissance des formes des molécules est un principe fondamental en chimie et en biologie. On parle souvent du modèle clé-serrure, proposé par Emil Fischer en 1894, qui décrit comment une molécule dite substrat (la clé) enclenche une réaction dite enzymatique (comme la digestion) en complétant la forme d’une protéine partenaire (la serrure). La complémentarité des formes est très répandue en biologie : beaucoup de molécules se reconnaissent et s’emboitent spontanément pour former un nouvel ensemble qui jouera ainsi un rôle spécifique dans notre corps. Pour comprendre le fonctionnement de nos organismes, les chercheurs doivent donc disposer d’outils comme cette plateforme pour visualiser la forme et manipuler ces structures tridimensionnelles qui n’ont rien en commun avec les objets que nous observons dans la vie de tous les jours à l’œil nu. Il s’agit de rendre palpables, réelles, ces molécules pour les inspecter, tourner autour et pourquoi pas, passer sa tête à l’intérieur.

Photomontage illustrant l'assemblage de deux protéines en réalité virtuelle avec un casque immersif avec le logiciel UnityMol développé à l'IBPC.
Photomontage illustrant l'assemblage de deux protéines en réalité virtuelle avec un casque immersif avec le logiciel UnityMol développé à l'IBPC.

Ce besoin de voir la forme tridimensionnelle des molécules dans l’espace remonte à Louis Pasteur, qui avait montré en 1849, un effet de l’acide tartrique qui provenait du fait que cette molécule est chirale. C’est-à-dire que cette molécule existe sous deux formes, à la structure identique mais l’une étant l’image de l’autre dans un miroir. La stéréochimie était née et, avec elle, le besoin d’examiner cet aspect 3D des molécules.

L’acide tartrique ne comporte que 16 atomes, mais la plupart des molécules biologiques, comme les machines moléculaires, sont infiniment plus complexes et sont composées de centaines de milliers d’atomes dont il faut appréhender la structure tridimensionnelle. On doit donc passer à une toute autre échelle si l’on veut examiner les machines à l’œuvre dans nos cellules. Les mécanismes mis en jeu dans ces machines sont souvent gouvernés par la complémentarité de forme entre les molécules en interaction. C’est le cas par exemple des mécanismes qui permettent de copier ou de réparer le code génétique (1). Ces machines réalisent de savants équilibres entre attractions et répulsions, comme si on avait placé de minuscules aimants juste au bon endroit pour que tous les engrenages s’enclenchent à l’image d’une horloge suisse.
 
Au-delà de la forme elle-même, les propriétés de ces objets moléculaires, comme leur déformabilité, sont tout aussi importantes : la molécule ressemble-t-elle plutôt à une peluche, un bout de bois, un bloc d’acier ? Se déforme-t-elle à certains endroits plutôt qu’à d’autres ? Les molécules ne sont pas statiques du tout. Certaines s’ouvrent ou se ferment. D’autres transportent des « colis » à travers la cellule ou transmettent des messages, des molécules dites « de construction » modifient continuellement des zones de la cellule comme dans les mitochondries, etc. 

Discussion autour de la visualisation 3D de la structure d'une protéine membranaire sur le grand mur d'image de l’IBPC.
Discussion autour de la visualisation 3D de la structure d'une protéine membranaire sur le grand mur d'image de l’IBPC.

Cette dynamique réactionnelle reste en partie mal comprise, car elle est difficile à observer. C’est le calcul numérique qui va permettre d’interpréter les données expérimentales, voire de prédire ces comportements de dynamique moléculaire, à partir de simulations sur ordinateur. Aujourd’hui, ces simulations peuvent être interactives et le scientifique peut manipuler, déformer et agencer les molécules au gré de son imagination, tout en ressentant de manière tactile, les forces mises en jeu entre les molécules. En pratique, nous utilisons en particulier des bras haptiques, qui sont motorisés et peuvent exercer une résistance à la déformation.
 
Évidemment toutes ces opérations, qu’il s’agisse simplement de voir les molécules ou de maîtriser leurs mouvements et de les sculpter à façon, nécessitent des outils de pointe. La vision en trois dimensions fait partie depuis longtemps de l’arsenal des chimistes et biologistes. Dans les années 80, bien avant les télévisions 3D, des appareils de diaporama stéréoscopique étaient déjà utilisés pour l’enseignement de la forme des molécules. De nos jours, il est possible de visualiser ces objets sur son smartphone ou de les imprimer en 3D à la manière de puzzles qui représentent de réels casse-têtes. Un jeu sérieux nommé « FoldIt » en a d’ailleurs fait sa marque de fabrique.
 
À l’IPBC, on côtoie des chercheurs plongeant dans le monde des molécules avec des casques de réalité virtuelle sur la tête, ou encore discutant devant un écran 3D géant à haute résolution représentant des vues détaillées des objets moléculaires. Cette immersion dans le monde féérique des molécules apporte une compréhension plus intuitive des propriétés de ces objets à travers l’expérience sensorielle unique qu’elle procure.
 
Une raison plus profonde encore guide cette quête des formes moléculaires. Le raisonnement scientifique est en grande partie basée sur un traitement visuel de l’information. Ce traitement va de la visualisation des premières données brutes alimentant la réflexion, à la génération d’hypothèses souvent étayées d’un raisonnement autour d’un modèle moléculaire, jusqu’à la communication des idées sous forme d’images qui en résument l’essentiel. Les visuels agissent comme un prolongement de notre cerveau, une extension de notre bureau de travail, permettant un partage et un affichage collectif de nos idées. Le but primordial de ces visualisations n’est pas de produire de jolies images, mais de nourrir la clairvoyance des scientifiques (2).
 
 
L’auteur :
Après une thèse en chimie physique et théorique, Marc Baaden s’est tourné vers les systèmes biologiques qu’il étudie actuellement comme directeur de recherche au CNRS à l’Institut de biologie physico-chimique (IPBC). Pour mieux comprendre les propriétés de systèmes membranaires avec l'appui d'une plateforme technologique dédiée, il conçoit des outils de réalité virtuelle et de visualisation scientifique.

(1) Voici trois vidéos pour approfondir ce point :
https://www.ted.com/talks/drew_berry_animations_of_unseeable_biology
https://topoftheprots.com
https://youtu.be/8JBCRBd3_Ec
(2) Traduit librement de la citation "The purpose of visualization is insight, not pictures" de Ben Shneiderman
 
 

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS