A la une
Découverts au début du XXe siècle, les plastiques ou polymères bruts1 ont d’abord révolutionné notre vie quotidienne et participé, entre autres, à l’amélioration de la sécurité sanitaire dans le domaine de l’emballage. Ils se sont développés au rythme d’une consommation et d’une économie en pleine croissance après la Seconde Guerre mondiale.
Leur faible coût, la simplicité de leurs procédés de fabrication et de leur mise en forme font qu’ils sont omniprésents dans tous les secteurs, dont l’emballage, les transports, le BTP, les installations électriques, l’électronique, le textile, etc. Ils utilisent 8 % de la production mondiale de pétrole (composés et consommation pour leur fabrication).
Il existe une très grande diversité de plastiques. Par exemple, ceux « de commodité », notamment le caoutchouc synthétique, le polyéthylène, le polypropylène et d’autres connus comme le PVC, le Plexiglas®, les Nylon®, le Téflon®, le Kevlar®, etc. Les plastiques de « spécialité » visent, eux, une application plus ciblée. Leur production est moins volumineuse et implique des structures macromoléculaires très bien définies et contrôlées, voire de haute précision, pour atteindre des propriétés optimales. Ils permettent des combinaisons de fonctionnalités (barrière aux gaz, résistance à la déchirure et fabrication de formes complexes, par exemple pour des films protégeant les aliments). Plus chers car plus difficiles à fabriquer, on peut trouver ces polymères en cosmétique, dans le domaine aéronautique ou médical. Certains d’entre eux, grâce à leurs propriétés spécifiques par rapport à d’autres matériaux, visent la durabilité comme dans l’automobile où les polymères conduisent à un allègement des véhicules (donc à une réduction de l’émission de C02 et de la consommation en carburant) ou débouchent sur des revêtements sans composé toxique. Si les plastiques ont pu nous rendre bien des services, nous faisons face aujourd’hui aux dommages générés par la présence de certains d’entre eux (notamment les plastiques de commodité) dans nos écosystèmes.
Le devenir des plastiques : une préoccupation planétaire
La communauté internationale se mobilise pour faire face de manière durable aux problématiques liées à la demande et donc à la production croissante de matière plastique : les citoyens, gouvernements, organismes et associations questionnent ainsi le temps d’utilisation souvent très court de ces plastiques (dont les emballages) et leur devenir après utilisation. L’évolution et l’usage de plastiques « responsables » sont de plus en plus requis par des institutions telles que la Communauté européenne. L’ambition du gouvernement français est d’atteindre 100 % de plastiques recyclés en 2025. Au-delà de tels règlements, la responsabilité et l’engagement dans le respect de l’environnement de chacun des acteurs, producteurs et consommateurs, ouvrent la voie à une nouvelle ère où les plastiques devront être plus vertueux et contribuer au bien-être de la société et à la préservation de notre planète.
Pour 6,3 milliards de tonnes de plastiques produits sur la période 1950-2015, seulement 9 % sont recyclés et 12 % incinérés. Quid des 79 % restants en circulation ? Un cercle vertueux doit être mis en place afin d’éviter la « fuite » des plastiques dans les milieux naturels (rivières, océans, mise en décharge, etc.), en optimisant leur cycle de vie dans le cadre d’une économie circulaire, responsable et durable. Scientifiques et industriels se penchent sur des réponses innovantes en termes de production, dégradation, recyclage, réutilisation et valorisation des déchets plastiques. De réelles ruptures sont attendues à grande échelle et, sans la recherche, celles-ci ne pourront avoir lieu.
La recherche contribue aux nouveaux plastiques écoresponsables
De nombreuses communautés scientifiques concentrent leurs recherches sur des alternatives comme l’élaboration de nouveaux plastiques écoresponsables. Les scientifiques contribuent fortement à ce travail interdisciplinaire à travers des groupements de recherche CNRS ou encore le Groupe français d’études et d’applications des polymères.
La collecte et le tri des déchets plastiques, c’est-à-dire le recyclage physique, apportent une solution écocitoyenne et écoresponsable au fait de simplement « jeter » : de nombreuses actions locales, régionales et nationales visent ainsi à favoriser la récupération des déchets. Ce recyclage est ensuite optimisé sur la base d’études scientifiques visant à mieux séparer les plastiques selon leur propre famille par tri optique, densimétrique ou par flottaison, pour ensuite mieux les traiter et valoriser. Une autre avancée scientifique en matière de recyclage vise à réutiliser les déchets de polymères dans une seconde vie pour générer de nouveaux matériaux à plus faible valeur ajoutée, une voie appelée « downcycling ». Enfin, des efforts sont consacrés en amont au design moléculaire de polymères « à façon », offrant des propriétés optimales de recyclage par pyrolyse ou par recyclage chimique. Cela revient à introduire le long du squelette du polymère des fonctions sensibles à par exemple une enzyme, aux rayonnements UV ou à l’exposition à la température, fonctions qui vont pouvoir briser, lorsqu’elles sont stimulées, la chaîne macromoléculaire en petits fragments, voire en briques élémentaires du polymère initial. Cette approche, qui consiste à dépolymériser les polymères en les transformant en leurs monomères de départ, représente une voie économiquement pertinente. On peut en effet recycler ces monomères via leur polymérisation pour former à nouveau un matériau possédant les mêmes propriétés que celui initial. Connue sous le nom d’« up-cycling », cette démarche tend vers l’application industrielle, pour pratiquement tous les types de polymères pétro-sourcés ou biosourcés et illustre parfaitement la mise en place d’une économie circulaire.
Il convient également de faire ici la distinction entre « bioplastique » qui désigne un polymère naturel ou fabriqué à partir de ressources naturelles renouvelables, et un « plastique biodégradable » qui se réfère à l’aptitude du matériau à pouvoir se dégrader sous l’action de microorganismes naturels. Ainsi, tous les plastiques biosourcés ne sont pas biodégradables et certains polymères pétrosourcés le sont.
Par ailleurs, une recherche amont porte sur l’élaboration et la production de ces matières plastiques aux performances au moins égales à celles des mêmes polymères pétrosourcés par valorisation de la biomasse, c’est-à-dire grâce à de la matière organique issue de végétaux, d’animaux, de bactéries ou de champignons et des ressources naturelles renouvelables non comestibles. Les chercheurs sont de plus en plus en quête de procédés verts et respectueux de l’Homme et de l’environnement pour remplacer des polymères bannis par les recommandations de REACH2pour leur toxicité. C’est le cas des polyuréthanes que des scientifiques sont parvenus à concevoir sans isocyanates, composés indésirables. De nombreux travaux utilisent également des huiles végétales (tournesol, ricin), des sucres (glucose, fructose) voire des déchets alimentaires ou des polymères naturels modifiés3 tels que la cellulose, la caséine ou l’amidon, pour remplacer les polymères actuels issus du pétrole. Des solutions proches de certaines développées au début du XXe siècle pour fabriquer des objets à partir de galalithe, substitut d’ivoire ou de corne, issu de la caséine du lait. En 1941, Ford présentait la Hemp Body Car, une voiture avec une carrosserie entièrement conçue à partir d’un plastique à base de chanvre et de soja renforcé par des fibres de sisal et de paille de blé. Récemment, un physicien américain a conçu lui-même avec une imprimante 3D sa voiture, en grande partie composée de tels plastiques.
Mimer la nature au plus près, notamment avec des polypeptides (issus des acides aminés : leucine, glycine, cystéine, etc.) ou des polymères bactériens (polyesters produits par des micro-organismes naturels comme par exemple certaines micro-algues4) permet aujourd’hui de proposer des polymères synthétiques alternatifs plus compétitifs que leurs analogues naturels. Ces polymères peuvent aussi être innovants, ouvrant la voie à de nouvelles applications, notamment dans le domaine de l’emballage et du médical, du fait de leur biocompatibilité. Le CO2 capturé, source de carbone renouvelable, peut également servir de matière première dans la conception de nouveaux polymères comme les polycarbonates (présents dans les verres optiques, CD/DVD).
La catalyse représente en polymérisation un enjeu majeur pour l’efficacité des réactions de transformation chimique en termes de productivité et d’activité. Les efforts visent à remplacer les systèmes catalytiques traditionnellement métalliques, parfois toxiques, par des analogues organiques et enzymatiques aux résultats prometteurs.
La communauté des polyméristes sur le territoire français, au sein d’organismes comme le CNRS, les universités ou des industries, cible l’amélioration continue des méthodologies de synthèse et procédés de fabrication en prenant en compte le cycle de vie global du plastique. C’est-à-dire que les scientifiques considèrent depuis l’origine biosourcée des réactifs employés, jusqu’à l’élaboration de nouveaux polymères fonctionnels avec des propriétés améliorées dont leur durabilité et/ou recyclabilité, en passant par les procédés eux-mêmes qui doivent être plus rapides, plus propres et plus économes en matière d’énergie. Les appels à projets nationaux et internationaux sur le sujet soutiennent une recherche de pointe très interdisciplinaire : biochimie et bioprocédés pour l’extraction de briques d’intérêt de la biomasse, catalyse de polymérisation plus propre sans métaux lourds et sans usage de solvants organiques, design de polymères « réversibles », procédés de dépolymérisation et de recyclage.
Aucune problématique n’est mise de côté pour parvenir à des polymères écoresponsables inédits.
Les auteurs
Sophie Guillaume, directrice de recherche au CNRS à l’Institut des sciences chimiques de Rennes (ISCR), présidente du Groupement français d’études & d’applications des polymères (GFP), spécialisée dans la catalyse et l’ingénierie de polymérisation, les polymères biosourcés, fonctionnels et réactifs.
Jean-François Gérard, professeur à l’Université de Lyon et au sein du laboratoire Ingénierie des matériaux polymères (IMP- Unité CNRS /Université de Lyon/INSA Lyon), directeur-adjoint scientifique à l’Institut de chimie du CNRS, travaille dans le design à différentes échelles des polymères pour leur conférer des propriétés spécifiques, ainsi que dans les procédés d’élaboration et de mise en forme.
Cette année 2020 sera celle des 50 ans du GFP avec de nombreux événements (conférences grand public, etc.) à découvrir sur www.gfp.asso.fr
Reference:
Plastics – the Facts 2018, Plastics Europe https://www.plasticseurope.org/application/files/6315/4510/9658/Plastics_the_facts_2018_AF_web.pdf
- 1. formulés à partir de résine(s) de base obtenue(s) à partir d’unités de répétition appelées monomère + additifs + charges + plastifiants
- 2. Règlement de l'Union européenne (règlement n°1907/2006) entré en vigueur en 2007 pour sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne afin de protéger la santé humaine et l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques, tout en favorisant la compétitivité de l'industrie chimique.
- 3. Les polymères naturels n’ont pas toujours les propriétés thermiques, mécaniques recherchées ; il faut dans certains cas les modifier chimiquement pour améliorer leurs propriétés physiques notamment.
- 4. Surtout des appels à projets nationaux et ANR 2019 : Polymères, composites, physique et chimie de la matière molle