A la une
Élaborer un principe actif, le structurer à l’échelle moléculaire pour optimiser son relargage dans l’organisme, synthétiser un catalyseur qui absorbe efficacement l’énergie de la lumière sur toute l’étendue du spectre solaire, ou encore mélanger très finement les différents composés d’un supraconducteur ou d’une électrode de batterie pour augmenter son rendement...Tels sont quelques-uns des défis relevés par les procédés de synthèse par spray flash. Certains de ces procédés, à l’image des procédés de brumisation flash de spray (SFE) et de synthèse par brumisation flash (SFS), sortent actuellement des laboratoires de recherche, prêts à être commercialisés.
Prenez un composé et dissolvez-le dans un solvant, chauffez cette solution sous pression (40 fois la pression atmosphérique) et injectez-la dans une chambre d’atomisation elle-même sous vide (dix millième d’atmosphère)… La chute soudaine de pression provoque l’évaporation quasi instantanée du solvant et la solidification des composés dissous sous forme de particules très fines. Le principe du procédé SFS est de ne pas se limiter à la formulation de ces produits, mais de les faire réagir sous forme de sprays pour synthétiser un matériau nouveau qui sera sous forme de particules nanométriques ou submicrométriques.
Le SFE pour des médicaments plus efficaces
Un médicament est toujours caractérisé par une certaine biodisponibilité qui correspond à sa durée d’action dans le corps humain avant sa métabolisation. Augmenter son activité biologique tout en diminuant son dosage, c'est le défi relevé par les scientifiques du laboratoire Nanomatériaux pour systèmes sous sollicitations extrêmes1 (NS3E) qui développent les procédés SFE et SFS. En mélangeant différentes molécules (principes actifs, excipients…), le procédé SFE permet d’élaborer en continu un matériau nanocomposite sous différentes formes : particules dissociées, particules de type cœur-coquille, dispersions solides amorphes ou encore cocristaux.
Afin d’assurer le développement industriel de ce procédé, j'ai décidé, en 2018, de créer la société Spinofrin, qui est aujourd’hui la seule entreprise au monde à savoir produire en quantités industrielles les constituants de médicaments sous forme de particules de dimensions submicrométriques. Cette innovation fait naître de grands espoirs pour améliorer l’efficacité des médicaments tout en diminuant leurs effets secondaires.
Le SFS, un procédé révolutionnaire
Le caractère révolutionnaire du procédé de synthèse en continu SFS tient aux types de matériaux qu’il permet d’obtenir mais aussi à la manière de les préparer. Synthétiser sous vide, en continu, et en quantités bientôt industrielles, de la matière structurée à l’échelle submicrométrique ou nanométrique, constitue un bond scientifique et technique majeur. La nouveauté de ce procédé tient aussi à l’utilisation des gouttes de spray extrêmement fines dans ces conditions (environ un micron) comme microréacteurs. Ce procédé qui permet de contrôler et d’optimiser les paramètres réactionnels à l’échelle de la microgoutte est actuellement utilisé pour synthétiser des matériaux inorganiques tels que des oxydes, des céramiques, ou des composés supraconducteurs.
Des mélanges de matière plus intimes
Qu’il s’agisse de supraconducteurs, de piles à combustibles ou de batteries, pour envisager une production industrielle, il est nécessaire de disposer de matériaux qui fonctionnent de manière optimale à une température aussi proche que possible de l’ambiante. Dans le domaine de la transition énergétique, beaucoup de matériaux composites ont atteint leur limite d’efficacité ou présentent une évolution incrémentale de leurs performances, car ils ont été obtenus par des techniques qui n’ont pas permis de mélanger de manière assez intime leurs constituants. Ainsi, la performance des électrolytes, des électrodes des piles à combustibles ou des batteries, est limitée par les échanges de courant qui ne peuvent être optimaux dans des matériaux comportant des défauts de tailles micrométriques ou des inhomogénéités de composition. Certains catalyseurs, ou matériaux d’éléments photovoltaïques, lorsqu’ils ne sont pas finement dopés par d’autres éléments, n’arrivent pas à absorber une largeur suffisante du spectre solaire, ce qui limite également leurs performances.
Le procédé SFS peut apporter des solutions à ces limitations puisqu’il permet d’ores et déjà la synthèse de matériaux composites inorganiques dont les différents constituants sont mélangés à l’échelle moléculaire. L’amélioration remarquable de certaines propriétés catalytiques grâce à l’utilisation de ces matériaux préparés par le procédé SFS a déjà été démontrée. Les procédés SFS devraient permettre de relancer l’intérêt pour certains matériaux connus comme les supraconducteurs ou les oxydes pour les batteries, voire d’obtenir dans ces domaines de véritables ruptures technologiques. Le mélange à l’échelle la plus intime des constituants de ces matériaux devrait tout simplement permettre de pulvériser le plafond de verre qui limite leurs performances depuis de nombreuses années.
Des procédés de chimie verte raisonnée et intégrée
Tous les procédés industriels discontinus mis en œuvre pour élaborer des matériaux en quantités importantes sont potentiellement dangereux. En raison de leur fonctionnement en continu, les procédés SFE et SFS permettent la production de quantités industrielles tout en limitant, à un instant donné, la quantité de matière en réaction, donc le danger ! L’usage à grande échelle de tels procédés ferait diminuer le nombre de sites industriels à hauts risques (type Seveso). De plus, la synthèse étant contrôlée à l’échelle locale, il est possible d’ajuster finement et en continu les conditions expérimentales comme la nature et la concentration des réactifs, la température et la pression. On économise ainsi la matière et on réduit la consommation d’énergie au strict nécessaire. L’optimisation des rendements de synthèse en déplaçant les équilibres chimiques limite la formation de sous-produits et donc la quantité de déchets à traiter. Les procédés SFE et SFS s’inscrivent totalement dans le contexte de la transition énergétique. ♦
Denis Spitzer, directeur de recherche à l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL), est actuellement directeur du laboratoire Nanomatériaux pour systèmes sous sollicitations extrêmes (NS3E).
- 1. Unité CNRS/Univ. de Strasbourg/Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis.