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Grâce aux zoologistes du XIXe siècle qui ont installé les premières stations marines littorales à Roscoff en Bretagne, à Banyuls-sur-Mer au sud de Perpignan, ou encore à Villefranche-sur-Mer près de Nice, les scientifiques du CNRS et de Sorbonne Université bénéficient d’un accès privilégié aux organismes modèles marins faisant l’objet de leurs travaux.
Ces stations biologiques forment un archipel. Comme les îles, « elles sont un peu isolées, loin des campus universitaires, et disposent d’équipements qui leur permettent de vivre en quasi-autarcie. Elles réunissent chacune de nombreux et nombreuses chercheurs, chercheuses, ingénieurs et ingénieures de disciplines différentes, avec des compétences diverses et complémentaires, et des profils variés. Les biologistes échangent quotidiennement avec des spécialistes d’autres thématiques, notamment des sciences de l’Univers ou de l’environnement, car ils travaillent au même endroit, sur des sujets d’intérêt commun. Ces stations mènent de front des activités de recherche, de formation, d’observation et de diffusion des savoirs. Elles accueillent également des équipes de l’étranger pour des séjours de quelques jours à plusieurs mois. Ce sont des lieux de créativité unique et d’échanges permanents », décrit Stéphane Egée, enseignant-chercheur à la station biologique de Roscoff.
Légende : Algue brune filamenteuse Ectocarpus siliculosus observée en microscopie à champ clair. Cette algue est utilisée comme modèle car elle se cultive facilement et se reproduit rapidement en laboratoire. Elle se prête également bien à l’observation et à l’expérimentation. © W. Thomas / UPMC / CNRS
Des algues et des huîtres
Fondé en 1872 par Henri de Lacaze-Duthiers, le Laboratoire de zoologie expérimentale de Roscoff était considéré comme la deuxième station marine de France, après celle de Concarneau. Un siècle et demi plus tard, cette station de réputation internationale s’attache toujours à mieux comprendre l’évolution. « 90 % des formes de vie et des embranchements de l’arbre du vivant sont représentés dans la mer. Les océans sont un vivier pour découvrir de nouvelles choses et faire des liens entre le passé et le présent », s’enthousiasme Stéphane Egée. Ainsi, les biologistes roscovites ont été les premiers à séquencer entièrement le génome de l’algue brune Ectocarpus. L’algue rouge Chondrus crispus a subi le même sort. Si les macro-algues sont un peu la spécialité du Laboratoire de biologie intégrative des modèles marins (LBI2M) dirigé par Stéphane Egée, d’autres organismes y sont aussi scrutés, comme les phages, des virus qui traquent les vibrio, bactéries infectant les huîtres. L’étude des interactions entre phages et bactéries pourrait déboucher sur l’utilisation de phages comme alternative aux antibiotiques dans les élevages aquacoles, voire en santé humaine.
Légende : Amphioxus Branchiostoma lanceolatum observé dans son environnement naturel (à gauche) et au microscope confocal (à droite). Dépourvu de squelette et de tête, ce petit animal marin du sous-embranchement des céphalochordés est anatomiquement proche des vertébrés. Il est utilisé pour élucider les mécanismes de développement embryonnaire et leur évolution. © L. Subinara / BIOM
Des modèles biologiques atypiques
À Banyuls-sur-Mer, l’équipe Eco/Evo/Devo (ecological evolutionary developmental biology) du laboratoire de Biologie intégrative des organismes marins (BIOM) s’est penchée sur la métamorphose d’Amphiprion ocellaris, le poisson clown popularisé sous le nom de Némo par le célèbre film d’animation des studios Pixar. C’est à cette étape particulière de son développement qu’il change de couleur et acquiert progressivement les bandes blanches qui le caractérisent. Les scientifiques analysent la formation de ces bandes qui varie en fonction de l’environnement, notamment de l’anémone de mer qui abrite le poisson. La plupart de leurs collègues ont opté pour des modèles de recherche moins exotiques, s’appuyant sur les navires et les plongeurs du Laboratoire Arago, nom historique de l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer. Ils travaillent sur la vaste famille des chordés, un des embranchements les plus intéressants du règne animal qui comprend, outre le lointain Némo, l’Homme, mais aussi les ascidies (des animaux benthiques), les amphioxus (des céphalochordés anatomiquement proches des vertébrés), les lamproies (des vertébrés sans mâchoires) et les roussettes, espèces présentes dans les eaux de la réserve naturelle marine de Cerbère-Banyuls. « Nos travaux ont des objectifs de biologie fondamentale. Ils portent essentiellement sur l’étude des mécanismes qui contrôlent le développement embryonnaire et leur évolution, même si nous étudions également les relations entre les microalgues et les virus, les poissons et leurs parasites », décrit Hector Escriva, directeur du BIOM. Son unité accueillera bientôt une équipe dédiée aux cnidaires, famille comprenant les méduses.
Légende : Méduses Clytia hemisphaerica maintenues en laboratoire. Ces organismes transparents sont de la famille des cnidaires. Les chercheurs s’intéressent aux mécanismes de leur développement, à leur ovogénèse et leur cycle de vie. © E. Houliston et T. Momose / LBDV
Mystérieuses méduses
L’abondance de plancton et en particulier de méduses dans la rade de Villefranche-sur-Mer a largement contribué à la création, en 1881, du laboratoire marin sur le site de l’ancien arsenal maritime. Ces créatures fascinantes restent au cœur des recherches du Laboratoire de biologie du développement de Villefranche-sur-Mer (LBDV). Le cycle de vie des méduses passe par deux formes remarquables, l’une benthique1, le polype, un organisme qui se fixe aux algues ou aux rochers, l’autre pélagique2, la méduse, capable de se propulser et de nous piquer. « Comment un même génome peut-il aboutir à deux organismes aussi différents d’un point de vue morphologique ? », s’interroge le directeur de recherche Alex McDougall. Pour aider à répondre à cette question, nombre de ces organismes ont le bon goût d’être transparents : leur ovogénèse, processus biologique aboutissant à la formation des gamètes, peut s’observer in vitro, sous les microscopes du laboratoire. « Nous travaillons également sur les oursins et les ascidies, sur lesquels il est possible de facilement faire de l’imagerie, jusqu’à observer le développement du système nerveux et la manière dont il est affecté par des polluants plastiques », détaille Alex McDougall, passionné par cet organisme benthique, proche des vertébrés, avec un génome simple et le plus petit cerveau du règne animal.
Légende : Embryon précoce d’ascidie Phallusia mammillata observé au microscope confocale. Chez cet organisme, la position des cellules détermine la forme des embryons. Il fait l’objet d’études sur le développement embryonnaire, la division cellulaire et la toxicologie. © E. Houliston et T. Momose / LBDV
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du journal CNRS