Comment La Réunion s’adapte aux crues
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Comment La Réunion s’adapte aux crues

Avec ses vents localement à plus de 230 km/h et ses pluies torrentielles, le cyclone Garance, qui a touché le département de La Réunion en février 20251, a fait 5 morts, 50 000 sinistrés, et a endommagé des centaines d’habitations, principalement dans le nord et l’est de l’île, touchés de plein fouet. Le quartier de la Colline, dans la ville de Saint-Denis, a payé le prix fort, voyant plusieurs de ses maisons anéanties par une crue aussi violente que soudaine.
« Ce quartier populaire est emblématique du développement exponentiel de l’île depuis la seconde moitié du XXe siècle, explique Gilles Arnaud-Fassetta, géographe au Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique2. Il est en effet établi pour partie dans le lit actif de la rivière Saint-Denis, l’un des 13 cours d’eau permanents de l’île, où des maisons ont commencé à s’édifier à partir de la fin des années 1930. »
Occupée dès le le XVIIe siècle, l'île de La Réunion a connu une croissance démographique lente, jusqu’à l’explosion qui a marqué la deuxième moitié du XXe siècle : de 255 000 habitants en 1950, la population réunionnaise a bondi à... 886 000 aujourd’hui.
Une enquête de terrain
Pour mieux comprendre la façon dont les Réunionnais ont occupé l’espace sur cette île volcanique, le géographe a entamé en 2024 une étude originale. Il s’est appuyé sur des centaines de cartes postales anciennes de l’île conservées aux archives départementales de La Réunion, afin de reconstituer la physionomie de divers villages et villes, ainsi que de leur environnement au fil des décennies. Accompagné du photographe Jean Larive, il est retourné sur les lieux pour fixer leur évolution sur la pellicule. En parallèle, il a mené une série d’entretiens avec des habitants des quartiers les plus exposés aux crues – celui de la Colline, notamment –, afin de mieux appréhender leur perception du risque.
Le géographe s’intéresse depuis toujours à la façon dont les populations cohabitent avec l’eau, et en particulier avec les rivières. « La Réunion m’a intéressé, car l’eau y est omniprésente, mais pas constante, témoigne Gilles Arnaud-Fassetta. Les précipitations annuelles vont de 250 millimètres (mm) sur la côte ouest à plus de 7 000 mm sur la côte est. La physionomie des rivières est, elle, dictée par la géomorphologie et le climat de l’île. »

À côté des cours d’eau temporaires qui apparaissent à la saison des pluies (les « ravines »), il existe 13 « rivières » permanentes (des fleuves, techniquement, puisqu’elles se jettent toutes dans l’océan) façonnées par le caractère montagneux de l’île. Les sommets y tutoient les 3 000 m et les pentes qui descendent vers l’étroite plaine littorale sont particulièrement raides.
Rivières torrentueuses
« Les rivières permanentes sont des rivières à blocs semblables à celles que l’on peut voir descendre de l’Himalaya [10], décrit le chercheur. Du fait des pentes très fortes qui caractérisent leurs bassins versants, elles sont extrêmement énergiques – raison pour laquelle elles ont pu charrier d’aussi gros rochers – et exposent l’île à un fort risque d’inondation. Elles sont aussi susceptibles de se déplacer latéralement dans le fond de vallée, au fil du temps et des événements météorologiques… »
Historiquement, les Réunionnais n’habitaient pas dans le fond des vallées, leur préférant les planèzes (les plateaux situés sur les flancs des volcans), les versants, ou la bande littorale. « Ils n’ont pas attendu le changement climatique [11] pour s’adapter au risque inondation », commente le chercheur.
C’est la pression démographique, conjuguée aux raisons économiques notamment, qui a poussé certains Réunionnais à s’établir dans le lit actif des rivières, dans des habitats informels. « On parle d’habitats informels car, si les habitants peuvent parfois être propriétaires des terrains, les maisons ont été construites sans permis de construire. Certaines sont de simples maisons en bois et tôle, quand beaucoup d’autres sont des habitations en dur. »
5 % d’habitat à haut risque
Aujourd’hui, l’habitat en fond de vallée héberge au moins 5 % de la population réunionnaise. Mais 5 % qui courent un risque de plus en plus grand, alors que le changement climatique tend à augmenter la violence – et parfois la fréquence – des cyclones touchant La Réunion.
Si la menace se fait de plus en plus pressante, la décision de quitter les ravines et les rivières est difficile pour leurs habitants, qui sont très attachés à leur mode de vie. « 364 jours de l’année, ces endroits sont de petits paradis, noyés dans la végétation, raconte Gilles Arnaud-Fassetta. Ce n’est qu’une fois par an, en moyenne, qu’ils se retrouvent sous l’eau. »
Le géographe note cependant que la perception des habitants commence à changer : « L’un de mes témoins raconte avoir perdu de vue sa famille pendant près de 20 minutes lors de la crue du 28 février 2025. Il avait de l’eau jusqu’au torse. Il a eu très peur et commence à parler de quitter le quartier. » Mais déménager implique bien souvent de devoir payer un loyer pour vivre en habitat collectif.
Des digues pas si protectrices
À La Réunion, six zones sont classées « territoire à risque important d’inondation » (TRI), ce qui en fait l’un des territoires français les plus exposés. Si des plans de délocalisation sont discutés avec les autorités, ils restent difficiles à appliquer, notamment pour les habitants des quartiers populaires qui n’ont pas les moyens de se reloger ailleurs. De plus, le problème n’est pas cantonné aux seuls fonds de vallées.
« À La Réunion, des digues ont été construites pour protéger certains quartiers riverains des cours d’eau, parfois dès le XVIIIe siècle, ou pour permettre l’extension urbaine comme c’est le cas pour les ouvrages érigés dans les années 1960-1980. Une grande partie des habitants de la ville de Saint-Denis vivent ainsi utopiquement en sécurité derrière une digue. »
« Mais, avec le changement climatique, ces digues elles-mêmes risquent de se retrouver fragilisées, voire submergées », alerte le géographe, qui a partagé ses travaux avec la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) de La Réunion. Réduire la vulnérabilité des Réunionnais face aux risques de crue s’avère donc primordial.
Consultez aussi
L’obscurité en danger [14] (vidéo à La Réunion)
Dans le ventre de la Fournaise [15] (diaporama)
Comment savoir si un épisode extrême est dû au dérèglement climatique ? [16]
Les eaux de La Réunion face au changement climatique [17] (reportage CNRS Images)
- 1. Voir « Alerte cyclonique : le cyclone Garance a touché l’île de La Réunion » : https://tinyurl.com/cyclone-garance [18]
- 2. Prodig, unité CNRS/AgroParisTech-Paris Saclay/IRD/Université Panthéon-Sorbonne/Université Paris Cité.