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Recyclage du plastique, une solution contre-productive

Au terme des deux semaines du sommet de Genève sur la pollution plastique, du 5 au 14 août 2025, Agnès Pannier-Runacher, la ministre française de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche fustige l’échec de ce cinquième comité intergouvernemental de négociation à converger vers un traité international contraignant pour lutter contre la pollution plastique : « Les priorités identifiées par la science restent claires : il faut s’attaquer à l’ensemble du cycle de vie de la pollution plastique en commençant par reconnaître que les niveaux de production et de consommation actuels ne sont pas durables et que le recyclage et la gestion des déchets ne sont qu’un pis-aller, certes utile ponctuellement, mais qui n’apportera jamais une réponse dimensionnée à l’ampleur du fléau qu’est la pollution plastique ».
La ministre pointe là le dissensus au cœur des tractations suisses. D’un côté, les pays ayant rejoint la coalition dite de « la haute ambition » (dont le Canada, la France, l’Union européenne et bon nombre de pays africains, océaniens et sud-américains1) visent la fin de la pollution plastique d’ici à 2040 en réduisant la production de ces matériaux. De l’autre, les principaux pays producteurs de plastiques (au premier chef, les États-Unis et l’Arabie saoudite) se concentrent sur la seule gestion des déchets.

Moins de trois mois plus tôt, une expertise scientifique collective2 pilotée par le CNRS et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) restituait deux ans et demi de travail sur les plastiques utilisés dans l’agriculture et pour l’alimentation. Avec, au centre, la question du recyclage – et de ses limites.
« Chaque polymère a des propriétés spécifiques »
Recycler les plastiques se heurte à un problème de taille : leur formulation chimique. Pour composer des polymères (la base des matières plastiques), il faut d’abord assembler des monomères, des molécules quasi exclusivement issues du pétrole. Par la suite, on adjoint à ces polymères des additifs.
Il en résulte une formulation que l’on peut également combiner en réalisant soit des mélanges de polymères, soit des structures dites « multicouches » dans lesquelles « chaque polymère a des propriétés spécifiques, de sorte qu’aucun d’entre eux n’est substituable à l’autre », précise Sophie Duquesne, chimiste et copilote scientifique de l’expertise pour le CNRS.
Or, c’est là que le bât blesse. Ces formulations varient selon les usages et les fournisseurs. Et elles se complexifient lors de leur exposition à des facteurs environnementaux (UV, chaleur, etc.), et même durant les étapes du recyclage. Une grande diversité de situations qui compromet fortement l’aptitude au recyclage des plastiques.
Les limites du recyclage
Baptiste Monsaingeon, sociologue et autre copilote scientifique de cette expertise pour le CNRS, déplore « qu’on invente une grande diversité de plastiques, alors que seuls le PET (qu’on trouve notamment dans les bouteilles d’eau) et le PEHD (dans les bouteilles de lait et de shampoing) bénéficient d’une filière technique de recyclage fonctionnelle ».
II plaide pour réduire et simplifier le nombre et la formulation des plastiques, afin de faciliter leur recyclage, plutôt que pour le développement infini de filières pour chaque plastique. Sans compter que le recyclage mécanique (qui consiste à broyer les objets en plastique jusqu’à en obtenir une matière première recyclée, sans que soit modifiée la structure du polymère) a ses limites.
« La matière s’y dégrade à chaque cycle, de telle façon qu’on perd petit à petit les propriétés mécaniques des polymères », relève Sophie Duquesne.
Une collecte largement insuffisante
À ces problématiques de chimie s’ajoutent les difficultés de la collecte de matières à recycler. S’appuyant sur plus de 4500 articles scientifiques étudiés par une trentaine d’expertes et d’experts issus de 24 institutions de recherche à l’échelle européenne, l’expertise scientifique collective a pu estimer quelques ordres de grandeur. En 2023, la production plastique mondiale s’est élevée à plus de 400 millions de tonnes, quand moins de la moitié de ses déchets (soit 180 millions de tonnes) ont été collectés en 2016.
En Europe, l’Union européenne a sensiblement amélioré son taux de recyclage effectif ces dernières années, collectant en vue du recyclage jusqu’à un tiers de ses déchets en 2022. Mais elle souffre en parallèle d’une augmentation croissante de son volume de déchets.
D’autres recyclages sont-ils envisageables ?
Face aux résultats limités du recyclage mécanique, certains industriels avancent des solutions alternatives et complémentaires : les recyclages chimique et enzymatique. Ceux-ci décomposent des polymères en substances chimiques élémentaires, en vue de nouvelles applications. Promis depuis des années, ces types de recyclages ne sont, à ce jour, que très peu développés à l’échelle industrielle.
Cependant, leur modèle économique lui-même risquerait d’accroître la production de plastique et donc de déchets, avance Sophie Duquesne : « Pour rentabiliser les importants investissements initiaux, ces industries ont besoin d’un gros volume de polymères à recycler, incompatible avec une diminution de la production de plastiques vierges ».

En outre, ces recyclages (qui nécessiteraient également un premier tri pour purifier les flux) entreraient en concurrence avec les filières mécaniques fonctionnelles, comme pour le PET, ce qui énerve Baptiste Monsaingeon : « Est-ce que ça vaut le coup de mettre le paquet sur une filière chimique ou enzymatique très coûteuse, alors qu’il existe déjà une filière mécanique viable ? »
La priorité, réduire la production
Alignée sur les objectifs des pays de la haute ambition, l’expertise scientifique collective a rappelé l’unanimité de la littérature scientifique : une réduction de la production de plastiques vierges est indispensable, plutôt que tout miser sur la gestion de ses déchets, à travers le recyclage.
La promotion du recyclage – par les industriels ou les États – n’est en effet pas neutre. Elle répond notamment à des finalités économiques, en déchargeant sur les consommateurs la gestion des déchets. « Avec le recyclage, c’est le consommateur qui est considéré comme le producteur de déchets, et non l’industrie : c’est lui qui doit bien trier, c’est lui qui en est responsable », observe le sociologue. Et, en retour, il offre un blanc-seing aux pratiques consuméristes : « À l’échelle individuelle, le recyclage sert de mythe pour légitimer des pratiques de consommation ».
Des plastiques dans les corps, les eaux et les sols
Or, plus de plastiques déversés dans nos quotidiens implique encore plus de conséquences sanitaires et environnementales. Présente en août à Genève en tant que membre de la Coalition des scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques (un réseau mondial d’experts indépendants spécialistes de la pollution plastique), la toxicologue Muriel Mercier-Bonin, copilote scientifique de l’expertise scientifique pour l’Inrae, insiste sur l’importance d’intégrer au futur traité international sur les plastiques un article transversal portant sur la santé, notamment sur la santé humaine.
« Les plastiques impactent notre santé durant toute leur vie, de leur production à leur élimination », s’inquiète la scientifique.
Même s’ils ne composent qu’une petite partie des formulations, les plus de 16 000 substances chimiques comme les additifs, dont les fameux phtalates et bisphénol A, ont des effets avérés sur la santé humaine : troubles de la reproduction et du développement, maladies cardio-vasculaires, cancers, etc. Ces perturbateurs endocriniens pèsent de façon non négligeable sur les systèmes de santé.
Les phtalates et le bisphénol A figurent parmi les perturbateurs les plus étudiés dans la littérature. L’expertise scientifique collective a pu établir qu’ils coûtaient à eux seuls jusqu’à 130 milliards de dollars au Canada, aux États-Unis et dans l’Union européenne – en prenant en compte le traitement médical en lui-même, l’hospitalisation, la perte de productivité induite, etc.
Des travaux plus récents ont quant à eux prouvé une contamination par les micro- et nanoplastiques des aliments que l’on mange, de l’eau que l’on boit et de l’air que l’on respire – et ce, en de telles proportions que l’on en retrouve désormais jusque dans le corps humain, sans que l’on soit pour le moment capable d’établir des liens de causalité avec certaines maladies.
Des sols pollués
Si les images de plastiques dérivant dans l’océan sont mondialement connues, celles montrant la pollution des sols par ces dérivés du pétrole le sont nettement moins. Pourtant, les sols sont au moins aussi contaminés que les océans : on estime les contaminations supérieures à 10 millions de tonnes.
Et cette pollution ne connaît pas de frontières. Les milieux agricoles et urbains, les plus anthropisés, sont évidemment les plus touchés. Mais on a retrouvé des microplastiques (invisibles à l’œil nu) transportés par les vents jusqu’au fin fond des déserts asiatiques et sur les sommets himalayens. En France, une étude de 2024 menée sur une petite quarantaine de sols a dénombré pas moins de 250 kg de plastique par hectare.


Pour cette pollution méconnue, pas de consommateurs à incriminer. Comme le souligne Bruno Tassin, membre de l’expertise scientifique collective et directeur de recherche à l’École nationale des ponts et chaussées, cette pollution planétaire résulte « des multiples activités humaines, tant dans les zones urbaines – par exemple, la dégradation de nos textiles en plastique dans les machines à laver – que dans les milieux agricoles ».
En d’autres termes, la contamination va de la ferme à la fourchette. L’hydrologue se montre catégorique : « Extérieurs à tout cycle biogéochimique et, de fait, doués d’une vie presque infinie, les plastiques n’ont rien à faire dans l’environnement. La seule limite acceptable pour l’environnement, c’est zéro plastique ! » ♦
Consultez aussi
Du plastique au menu des goélands
La recherche sur la production de bioplastiques, catalyseur d’une chimie plus verte (blog Focus sciences)
Quand les fluides supercritiques facilitent le recyclage des déchets (vidéo)
- 1. Liste complète sur https://hactoendplasticpollution.org/fr/#
- 2. Voir aussi https://www.cnrs.fr/fr/actualite/plastiques-un-casse-tete-insoluble
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Auteur
Rédacteur à la direction de la communication du CNRS, Maxime Lerolle s’intéresse aussi bien aux questions environnementales (énergie et biodiversité) qu’à l’actualité culturelle (cinéma et jeux vidéo) éclairée par un regard scientifique.
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