Vous êtes ici
À Pau, les scientifiques veulent accélérer la transition écologique
« Se nourrir », « se déplacer », « acheter responsable », « valoriser et recycler », « produire de l’énergie », « échanger et coopérer », sont quelques-unes des rubriques présentes sur la carte de la transition écologique et des initiatives pour le développement durable de l’agglomération de Pau. Y sont localisés les bornes électriques, les containers, les attache vélos, les boutiques de seconde main, les déchetteries… Ce sont ainsi plusieurs centaines de services, de commerces, de structures et d’équipements qui sont répertoriés. Un travail de plusieurs mois qui s’inscrit dans le projet Décideurs et citoyens dans un contexte urbain de signaux faibles (DéCiSif), un programme de recherche sur les enjeux de la transition écologique. L’objectif vise à développer des connaissances sur l’évolution des pratiques sociales en explorant la façon dont les citoyens et les acteurs économiques ou politiques s’approprient la question du changement climatique et des transitions dans des espaces urbains où ses impacts sont peu perceptibles.
L’étude porte sur l’agglomération de Pau, un territoire de 162 000 habitants, réputé pour sa qualité de vie et peu marqué au quotidien par des problèmes environnementaux. Elle est financée par l’agence de la transition écologique (Ademe) et réunit la communauté d'agglomération Pau Béarn Pyrénées, le centre technologique en environnement et maîtrise des risques (Apesa) et l’association d’éducation à l’environnement, Écocène.
Valoriser pour conscientiser
« L’idée du projet DéCiSif est née d’un échange avec des agents en charge du plan action climat de l’agglomération, qui m’avaient fait part de leurs difficultés à mobiliser les citoyens, leurs collègues des autres services et les élus sur la question de la transition écologique, détaille Christine Bouisset, maître de conférences au laboratoire Transitions énergétiques et environnementales (Tree)1 et coordonnatrice du projet. Ils manquaient d’outils et de modes d’action incitatifs pour modifier les pratiques ». Comment en effet trouver des leviers pour inciter le public à se saisir du sujet alors même qu’il ne sent pas personnellement affecté au quotidien par les conséquences du changement climatique ?
« L’objectif de la cartographie est de mettre en mettre en lumière tout ce que la société invente pour accompagner le changement climatique, explique Xavier Arnauld de Sartre, directeur de recherche au CNRS et directeur du laboratoire Tree. On assiste actuellement à un foisonnement d’expériences publiques et privées, mais souvent menées de manière dispersée, sans cohérence ni visibilité ce qui freine l’appropriation des enjeux du changement climatique ». En créant cet outil expérimental à l’échelle de l’agglomération, les chercheurs espèrent favoriser la prise de conscience des habitants à la question, mais aussi leur fournir les clés du changement en montrant qu’il est possible d’agir au quotidien.
Partager et diffuser les connaissances
La première étape a consisté à dresser un état des lieux de toutes les initiatives existantes sur le territoire. Près de deux ans ont été nécessaires pour collecter les données dispersées et souvent incomplètes provenant de la collectivité et des acteurs privés et associatifs, pour vérifier leur localisation et les compléter sur le terrain. Le projet palois de cartographie réunissant autant d’items n’ayant pas d’équivalent en France, la composition d’un groupe de travail avec des agents de l’agglomération et les membres de l’association Écocène a été nécessaire pour élaborer collectivement le contenu. La question de la définition d’une initiative durable s’est posée à plusieurs reprises : peut-on par exemple faire figurer les rayons bios des supermarchés, symboles de la société de consommation ? « Il ne s’agit pas de concurrencer les Pages jaunes ou Google, mais de donner plus de visibilité à des initiatives et des démarches exemplaires », note Christine Bouisset. L’intitulé des rubriques a également fait l’objet de plusieurs réunions avec les partenaires du projet : « La carte est construite autour des verbes d’action afin d’inciter les citoyens à modifier leurs habitudes. Ensemble, ils montrent ce que recouvrent la transition écologique et ses différentes facettes », explique la géographe.
Les entretiens avec les habitants réalisés dans le cadre du deuxième volet du projet révèlent en effet une méconnaissance du sujet, et notamment de la diversité des impacts du changement climatique. Les répercussions systémiques à la fois globales et locales, plus graduelles et difficilement perceptibles, par exemple le lien entre la sécheresse, le manque d’eau, l’agriculture et l’alimentation, ne sont pas toujours appréhendés, ce qui constitue un obstacle à la prise de conscience et au changement de comportement du public. « En identifiant des initiatives que les citoyens ne perçoivent pas spontanément comme relevant de la transition écologique, la carte permet de matérialiser tous ses enjeux », précise Christine Bouisset.
Le choix de la science ouverte
Pour cartographier l’ensemble des données, les chercheurs se sont appuyés sur OpenStreetmap (OSM), la carte collaborative mondiale en accès libre utilisée depuis plusieurs années dans la recherche. « Choisir OSM dans un projet sur la transition, de surcroît co-construit avec des acteurs locaux, était dans la continuité thématique », souligne Xavier Arnauld de Sartre. La plateforme avait également l’avantage d’offrir de nombreuses données en libre accès sur la transition. En ajoutant les données du projet, ce travail s’inscrit dans le mouvement de la science ouverte qui vise à rendre les résultats de la recherche scientifique accessible au plus grand nombre. « Cette production scientifique n’a pas vocation à être gérée par le laboratoire, ajoute-t-il. C’est avant tout un outil d’information libre et partagé au service des décideurs et des citoyens. Chacun pouvant consulter, ajouter des données ou les extraire à des fins diverses. Cette cartographie a aussi l’avantage d’être transposable à d’autres territoires. »
Accessible depuis le site institutionnel du laboratoire, cette carte devrait être confiée à l’association partenaire du projet Écocène qui l’utilise déjà comme outil de médiation et se chargera de l’actualiser. « En communiquant sur des lieux, des services, des équipements de proximité avec les habitants, les associations d’éducation à l’environnement ont plus de prises pour faire évoluer les comportements au quotidien et renouvellent leur public », souligne Christine Bouisset.
Une géographie de la transition
La carte est aussi un précieux outil scientifique. Elle a déjà ainsi permis de mettre en exergue de fortes disparités selon les quartiers et les communes. De manière générale, si le centre-ville et la périphérie avec ses zones commerciales concentrent le plus d’équipements, de boutiques et de services durables avec des « hotspots » autour de certains secteurs, à l’inverse, des quartiers péricentraux sont bien moins dotés et peuvent, dans certains cas, s’apparenter à des « déserts de la transition ». Cette inégale répartition n’est pas sans incidence. Les résultats de l’enquête menée auprès des habitants montrent que dans certains quartiers, l’absence de transports en commun, de pistes cyclables sécurisées ou de points de collecte de recyclage à proximité est vécue comme un obstacle au changement de pratique. « Certains, très engagés éprouvent même un sentiment de culpabilité à devoir utiliser leur voiture pour trouver un conteneur à verre ou une boutique bio, raconte Christine Bouisset. Ces freins structurels contribuent à limiter la motivation du public à changer ses habitudes. Ils pourraient être levés via des actions publiques ciblées par quartier et type d’habitat ». La cartographie de la transition pourrait alors s’avérer une précieuse aide à la décision. ♦
Pour en savoir plus
Carte de la transition écologique et des initiatives pour le développement durable dans l’agglomération de Pau
Le projet DeCiSiF
- 1. Unité CNRS/Université de Pau Pays de l’Adour.
Mots-clés
Partager cet article
Auteur
Journaliste et auteur, Carina Louart est spécialisée dans les domaines du développement durable, des questions sociales et des sciences de la vie. Elle est notamment l’auteur de La Franc-maçonnerie au féminin, paru chez Belfond, et de trois ouvrages parus chez Actes Sud Junior : Filles et garçons, la parité à petits pas ; La Planète en partage à petits pas ; C’...
Commentaires
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS