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Comment lutter contre le déboisement en Amazonie ?

Dossier
Paru le 03.05.2022
Réparer le monde

Comment lutter contre le déboisement en Amazonie ?

25.09.2019, par
Mis à jour le 21.11.2019
La géographe Ludivine Eloy nous livre son décryptage sur l'intensification des incendies en Amazonie et apporte des pistes de réflexion contre le déboisement qui affaiblit la plus grande forêt du monde.

Ces dernières semaines, l’Amazonie a été au centre de l'attention planétaire, avec les nouvelles d’incendies incontrôlables couplées aux déclarations polémiques du président brésilien. Cette crise symbolise les défis posés aux engagements internationaux pour lutter contre les changements climatiques et la perte de biodiversité. Elle témoigne également de l’escalade de la violence et des dégradations environnementales auxquelles font face les populations amérindiennes, traditionnelles et petits agriculteurs du Brésil. Mais la médiatisation des feux élude souvent l’histoire sociale de cet espace et la complexité du problème. En quoi cette crise représente-t-elle de nouveaux enjeux ? Comment la coopération scientifique internationale peut-elle permettre d'appréhender ces questions et d'identifier des solutions ?

Photo aérienne publiée par Greenpeace, montrant la fumée s'échappant de feux de forêt près d'Altamira, au Brésil, le 23 août 2019.
Photo aérienne publiée par Greenpeace, montrant la fumée s'échappant de feux de forêt près d'Altamira, au Brésil, le 23 août 2019.

Revenons au problème. Le Brésil connait la plus grande quantité de départs de feux de ces neuf dernières années, couplée à l’accélération du déboisement en Amazonie (+15 % entre juillet 2018 et août 2019 par rapport à l’année antérieure1), totalisant près de 20 % de sa superficie originelle. Les feux se concentrent dans l’« arc du déboisement », qui borde le sud et l’est de la forêt. En pleine saison sèche, la plupart sont des brûlis de troncs secs accumulés dans des parcelles défrichées, mais certains se sont transformés en incendies incontrôlables, en raison notamment d’actions criminelles concertées.
 

Si le déboisement dépasse les 40 %, la forêt atteindra un point de rupture au-delà duquel elle ne pourra plus se régénérer.

Au-delà de l’identification des auteurs de ces crimes, il faut saisir les dimensions spatiales et temporelles du problème. Ce n’est pas forcément l’usage du feu en soi qui est problématique : le feu est utilisé comme moyen de gestion par les populations amazoniennes depuis 2000 ans et n’a jamais causé de pareils incendies. C'est davantage le fait que le feu en Amazonie a tendance à se comporter différemment à cause du déboisement et des incendies qui modifient le climat et la structure de la forêt.

Cette dernière devient plus sèche et plus sujette à de nouveaux incendies, qui s’étendent plus facilement dans les zones dégradées, modifiant encore la structure de la forêt et le climat local. Ainsi, le feu pénètre dans des zones de forêts ou il ne pénétrait pas avant, comme dans les aires protégées. Si le déboisement dépasse les 40 %, la forêt atteindra un point de rupture au-delà duquel elle ne pourra plus se régénérer2. En d’autres termes, pas besoin de déboiser toute l’Amazonie pour qu’elle perde ses fonctions écologiques.

Les conséquences de ces changements sont considérables. En plus des émissions de gaz à effet de serre et de la perte de biodiversité, la destruction de l’Amazonie représente un risque pour la régulation du climat à l’échelle continentale, dont dépend la production agricole et d’énergie hydraulique. La migration des fumées vers le ciel de São Paulo, devenu obscur en plein après-midi le 19 août dernier, a démontré les interdépendances écologiques entre l’Amazonie et les autres régions latino-américaines. Enfin, les conséquences du changement du régime de feux retombent directement sur les populations amérindiennes et traditionnelles, qui pourtant ne contribuent pas au déboisement. Par exemple, dans le territoire indigène du Xingu (TIX), encerclé par les monocultures de soja et de pâturages, les zones touchées par les feux de forêt sont dix fois plus étendues que dans les années 1980, avec de graves conséquences pour la sécurité alimentaire et la vie culturelle des habitants.  
 

Les pratiques agricoles amérindiennes, qui impliquent l'usage contrôlé du feu, jouent un rôle dans la dynamique des paysages agroforestiers. Ici, une parcelle de forêt secondaire ou "capoeira".
Les pratiques agricoles amérindiennes, qui impliquent l'usage contrôlé du feu, jouent un rôle dans la dynamique des paysages agroforestiers. Ici, une parcelle de forêt secondaire ou "capoeira".

Retour sur les causes

La dégradation environnementale de l’Amazonie a des racines profondes. Le déboisement a commencé dans les années 1970 : il est le résultat de politiques publiques qui ont facilité l’avancée de la frontière agroindustrielle (colonies agricoles, crédit, routes, mines, grands barrages), « grignotant » la forêt de toutes parts. Au début des années 2000, le gouvernement a mis en place des programmes coordonnés de lutte contre le déboisement en partenariat avec la société civile et supportés par des financements internationaux : délimitation d’aires protégées, contrôle du déboisement illégal, et accords commerciaux. Malgré le « report » de la frontière agricole vers le Cerrado, le rythme de déboisement en Amazonie a sensiblement diminué à partir de 2004. Mais le taux de déboisement est reparti à la hausse depuis 2012, en raison de la pression du lobby de l’« agribusiness » qui a abouti à une flexibilisation de la législation fédérale et à la fragilisation des instruments de surveillance. Même si cette reprise date de 2012, il est difficile de ne pas blâmer le gouvernement actuel, car l'augmentation des incendies et du déboisement durant les derniers mois ne peut pas être déconnectée du démantèlement des politiques environnementales (affaiblissement institutionnel et budgétaire du Fonds Amazonie, des institutions publiques et des ONG environnementales), et des déclarations publiques qui légitiment la réduction et l’invasion des aires protégées au nom du développement économique.
 

Culture du soja dans l'État de Roraima.
Culture du soja dans l'État de Roraima.

On entre donc dans une nouvelle phase d'expansion du secteur agroindustriel et minier qui touche le centre de l'Amazonie, et plus seulement ses marges, comme par le passé. Par exemple, l'État du Roraima (à la frontière avec le Venezuela) compte déjà près de 40 000 hectares de soja, et cette production augmente d’année en année, repoussant la frontière de l’exploitation forestière et de l’élevage vers les aires protégées. Parallèlement, durant ces dernières années, l’agribusiness « durable » est présenté comme un secteur intensif et moderne, indispensable au développement du pays et pour nourrir le monde.
 

La délimitation de territoires amérindiens et  traditionnels est l’instrument le plus efficace pour contrer le déboisement.

Appuyée par le discours scientifique dominant, cette image a permis au secteur de gagner de nouveaux marchés européens, mais ne correspond pas à la réalité de l’avancée de la frontière agricole sur les espaces naturels, avec son lot de conflits et dégradations. De plus, ce modèle disqualifie d’autres systèmes de production agroécologiques plus diversifiés, qui sont pourtant bien présents mais menacés. Or, la délimitation de territoires amérindiens et traditionnels est l’instrument le plus efficace pour contrer le déboisement, pour peu qu’on investisse dans le développement durable de ces territoires3

Quel rôle pour la recherche ?

Dans le contexte de l’affaiblissement des structures publiques de recherche brésiliennes, certaines formes de coopération scientifique semblent prioritaires. Il faut collaborer avec des institutions de recherche et ONG régionales qui font un travail sérieux de documentation des systèmes traditionnels de gestion de la biodiversité, de suivi des changements environnementaux et des conflits, en impliquant et en soutenant les organisations locales. La recherche en coopération alimente les débats sur les modèles de développement en Amazonie (scénarios, outils de concertation et de surveillance, traçage des produits etc.). Enfin, les approches interdisciplinaires contribuent aux politiques de gestion des aires protégées. Les récents changements dans le régime du feu en Amazonie montrent qu’il ne sert à rien d’interdire son usage mais qu’il faut travailler à la prévention des incendies grâce à la gestion collective des espaces inflammables. 

Plus que jamais, la mise en œuvre de stratégies de contention du déboisement en Amazonie dépendra des relations entre l’Etat et la société civile, mais aussi de la capacité des chercheurs à dialoguer avec différents groupes sociaux et à prendre au sérieux les aspirations et les connaissances de ceux qui savent protéger la forêt.
 

Pour en savoir plus

Une publication (en anglais) de Ludivine Eloy sur ce sujet

  
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes

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