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Allergies respiratoires du printemps : quand le système immunitaire s’emballe

Qu’est-ce qu’une allergie ? Et pourquoi certaines personnes réagissent-elles à des éléments comme le pollen ?
Sophie Laffont1 L’allergie est une réaction excessive du système immunitaire face à des substances normalement inoffensives appelées « allergènes », comme les pollens, les acariens ou des aliments. En clair, c’est une réponse inflammatoire disproportionnée à des molécules qui, en principe, ne sont pas dangereuses. Ce déséquilibre provoque des symptômes comme des éternuements, des démangeaisons, ou encore de l’asthme allergique.
Pourquoi certaines personnes sont-elles allergiques et d’autres pas ?
S. L. Il existe une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux. Si un ou deux parents sont allergiques, le risque de développer une allergie est plus élevé. Il y a aussi l’hypothèse hygiéniste2, formulée en 1989 par David P. Strachan3 , qui suggère que notre mode de vie trop aseptisé empêcherait notre système immunitaire de bien s’entraîner, le rendant plus sensible aux substances inoffensives comme le pollen.

Ensuite, la pollution et l’exposition à des substances chimiques telles que les lessives ou les parfums4 altèrent nos barrières naturelles, comme la peau, et perturbent notre réponse immunitaire, aggravant encore les réactions allergiques. Il existe également un facteur environnemental, notamment lié au dérèglement climatique. Ce dernier favorise une prolongation et une intensification des périodes de pollinisation, l’émergence de nouvelles plantes allergisantes. Il exacerbe également la pollution de l’air et la prolifération de moisissures, contribuant ainsi à l’augmentation des allergies.
Que se passe-t-il dans notre corps lors d’une réaction allergique ?
S. L. Le système immunitaire réagit à un allergène en déclenchant une cascade inflammatoire. Des cellules immunitaires spécialisées, comme les mastocytes, libèrent des substances comme l’histamine, qui provoquent les symptômes : nez qui coule, yeux qui pleurent, difficultés à respirer…


Il apparaît que certaines réactions allergiques, comme celles associées au pollen, semblent en déclencher d’autres.
S. L. En effet, les allergies peuvent être aggravées par des réactions dites « croisées ». Le système immunitaire reconnaît des petits bouts de protéines5 communs entre différentes familles d’allergènes. Par exemple, une personne allergique au pollen de bouleau peut aussi réagir en mangeant une pomme ! En cause, des protéines de la même famille, ayant une forte similarité dans leur structure, présentes aussi bien dans le pollen de bouleau que dans des fruits comme la pomme, la poire ou la pêche. Lorsqu’une personne allergique au bouleau consomme ces fruits, son système immunitaire identifie ces protéines comme une menace et déclenche une réaction allergique similaire à celle provoquée par le pollen. Ce phénomène explique pourquoi on peut ressentir des picotements ou des gonflements dans la bouche après avoir mangé ce type d’aliments.
Heureusement pour les personnes allergiques, ces protéines sont généralement thermolabiles – ce qui signifie qu’elles perdent leurs propriétés au-delà d’une certaine température. Par conséquent, les aliments cuits sont souvent mieux tolérés par les personnes allergiques.
Les allergies varient-elles selon les régions ou les saisons ?
S. L. Oui, tout à fait. Les allergies saisonnières dépendent des types de pollens présents dans l’air à différents moments de l’année. Au printemps, on est davantage exposé aux pollens d’arbres comme le bouleau ou le chêne. En été, ce sont plutôt les graminées et les herbacées qui dominent, ce qui crée une sorte de calendrier naturel des allergies, qui évolue au fil des saisons.
Les allergies varient aussi selon les régions. Même à l’intérieur d’un pays comme la France, on ne retrouve pas les mêmes plantes partout. Par exemple, les allergies aux oliviers sont fréquentes dans le Sud, là où ces arbres sont nombreux, mais beaucoup plus rares dans le Nord.
En résumé, les symptômes allergiques peuvent changer en fonction du lieu et de la période de l’année, selon les plantes présentes et leur période de floraison.
Quels sont les traitements disponibles aujourd’hui ?
S. L. Les traitements classiques sont les antihistaminiques, qui bloquent l’action de l’histamine, et les bronchodilatateurs, comme la ventoline, qui soulagent l’asthme. Pour les cas plus sévères, il existe des anticorps monoclonaux ciblant des molécules clés de la réponse immunitaire, qui permettent de réduire l’inflammation de manière plus ciblée.
On peut aussi parler de l’immunothérapie allergénique (ou désensibilisation), qui consiste à exposer progressivement l’organisme à l’allergène en petites quantités, jusqu’à ce qu’il s’y habitue. Cela peut permettre, à terme, de ne plus être allergique ou de réduire fortement les symptômes.
D’autres traitements reposent sur des anticorps monoclonaux, c’est-à-dire des anticorps fabriqués en laboratoire pour être tous identiques et très spécifiques à leur cible. Par exemple, ils peuvent neutraliser les immunoglobulines de type e (ige) – ce sont ces molécules qui déclenchent l’allergie en reconnaissant les allergènes et en activant la libération d’histamine. Une autre piste de recherche consiste à bloquer les cytokines, de petites molécules messagères produites par le système immunitaire, qui orchestrent la réponse inflammatoire. En bloquant ces signaux, on peut calmer l’inflammation avant qu’elle ne devienne gênante.
Ces traitements de nouvelle génération montrent un réel potentiel. Mais leur coût élevé par rapport aux antihistaminiques les réserve pour l’instant aux cas les plus sévères.
Les réactions allergiques varient-elles en fonction du sexe des individus ?
S. L. Oui clairement, et les hormones sexuelles6 y jouent un rôle important. Par exemple, les garçons sont plus touchés par l’asthme allergique dans l’enfance, mais, après la puberté, ce sont les femmes adultes qui en souffrent davantage, avec souvent des formes plus sévères.
Les androgènes (hormone sexuelle mâle comme la testostérone) semblent avoir un effet protecteur, en freinant l’activité des cellules immunitaires impliquées dans l’inflammation allergique. Parmi ces cellules, on retrouve les cellules lymphoïdes innées de type 2, ou ilc2, un type de cellule immunitaire décrit pour la première fois au début des années 2000 qui joue un rôle clé dans l’inflammation des voies respiratoires lors des allergies. Les œstrogènes (hormone sexuelle femelle), en revanche, auraient tendance à amplifier cette réaction.
Développe-t-on des thérapies pour pallier ces différences de réaction entre homme et femme ?
S. L. Oui, on explore des pistes, notamment avec un précurseur des androgènes, qui pourrait aider les femmes sujettes à l’asthme allergique. Une autre solution consiste à cibler directement les cellules impliquées dans l’inflammation, toujours en faisant appel à l’immunothérapie, afin de mieux contrôler la maladie. On commence à mieux comprendre les effets hormonaux sur l’allergie et c’est une avancée majeure vers des traitements plus personnalisés. D’ici là, gardez vos antihistaminiques à portée de main… Et évitez les pommes crues si vous êtes allergique au bouleau ! ♦
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- 1. Directrice de recherche CNRS à l’Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires - INFINITy (CNRS/Inserm/Université de Toulouse).
- 2. Strachan DP. « Hay fever, hygiene, and household size », BMJ. 1989 Nov 18;299(6710):1259-60. doi: 10.1136/bmj.299.6710.1259. PMID: 2513902; PMCID: PMC1838109.
- 3. Épidémiologiste britannique et professeur émérite.
- 4. Laaidi, M., Chinet, T., & Aegerter, P. (2011). « Allergies au pollen, pollution et climat : revue de la littérature ». Revue française d’allergologie, 51(7), 622-628. https://doi.org/10.1016/j.reval.2011.05.004
- 5. Poncet, P., & Sénéchal, H. (2019). « Actualités des réactions croisées pollen-aliment », Revue française d’Allergologie, 59(8), 543-554. https://doi.org/10.1016/j.reval.2019.09.005
- 6. Anesi N, Calmels M, Guilleminault L, Abbas F, Cenac C, Villeneuve T, de Bonnecaze G, Laffont S, Guéry JC. « In Asthmatic Patients, Sexual Dimorphism Correlates With Androgen Receptor. Expression in ILC2s at Single Cell-Resolution », Clin Exp Allergy. 2025 Apr 3. doi: 10.1111/cea.70047. Epub ahead of print. PMID: 40177983