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L’effet placebo en toute transparence
L’effet placebo est un phénomène bien réel qui illustre le pouvoir du cerveau sur le corps. À partir de la simple conviction qu’il va soulager nos symptômes, un médicament ne contenant aucun principe actif, appelé « placebo » (par exemple, des gélules de sucre ou une solution saline), peut s’avérer néanmoins efficace chez 30 à 60 % des gens ! Un peu comme le baiser d’une mère peut apaiser la douleur liée à une chute chez un jeune enfant, ou la perspective de guérison améliorer l’état général d’un patient.
Médicaments, mais aussi massages, chirurgie, etc. : étudié depuis plusieurs décennies, l’effet placebo se manifeste pour différents types de traitements. Il a ainsi montré son efficacité contre divers symptômes : douleurs, insomnies, dépression, anxiété, migraines, mal de dos… Problème, son utilisation courante en clinique est limitée par des aspects éthiques, puisqu’elle implique de mentir au patient en lui faisant croire qu’on lui administre un vrai médicament. Mais les choses pourraient changer ; et ce, en partie grâce à des résultats obtenus par des chercheurs de l'équipe Techniques pour l'évaluation et la modélisation des actions de la santé (ThEMAS), du laboratoire Recherche translationnelle et innovation en médecine et complexité1 (TIMC), près de Grenoble.
Le placebo « honnête », ça fonctionne aussi...
« Menés dans le cadre de la thèse de doctorat de Léo Druart (en cours de publication), nos travaux montrent que l’effet placebo ne perd rien de son efficacité si, à la place de placebos classiques, “mensongers”, on utilise des placebos “honnêtes”, dits aussi “ouverts”, dont la vraie nature est révélée au patient et si, point très important, on prend une certaine précaution au préalable... », développe Nicolas Pinsault, responsable de l’équipe ThEMAS.
De fait, les chercheurs savaient déjà qu’un placebo pouvait s’avérer efficace même une fois le patient informé de la supercherie. Et ce, depuis des travaux publiés en 2010 par l’équipe de Ted Kaptchuk, de l’université de médecine de Harvard, aux États-Unis2. Auprès de 80 patients souffrant du syndrome du côlon irritable – un trouble du tube digestif qui provoque des douleurs abdominales, une constipation ou une diarrhée – les chercheurs ont testé l’efficacité d’un placebo ouvert versus l’absence de tout traitement. Résultat : l’équipe a noté une réduction « significative » des douleurs pour 59 % des patients sous placebo ouvert. Ce résultat a conduit à une révolution conceptuelle, en mettant fin à l’idée selon laquelle l’effet placebo nécessite forcément « une ignorance intentionnelle ».
...mais moins bien
Toutefois, par la suite, d’autres travaux ont permis de comparer l’efficacité d’un placebo mensonger à celle d’un placebo ouvert et ont montré que ce dernier était moins efficace. Ainsi, lors d’une recherche qui a porté sur 160 volontaires3, Cosima Locher et ses collègues de l’université de Bâle, en Suisse, ont comparé la capacité d’un placebo mensonger (une crème présentée comme un « vrai » anti-douleur) et celle d’un placebo ouvert (le même produit mais présenté cette fois comme un placebo) à réduire la perception d’une stimulation douloureuse. Au final, il apparaît que le placebo ouvert avait une efficacité diminuée de 7 % par rapport au placebo classique.
C’est à la suite de ce constat que Nicolas Pinsault et ses collègues, Léo Druart et SaraEve Graham-Longsworth, ont eu l’idée de leur étude. « Nous avons alors émis l’hypothèse que l’on pouvait peut-être regagner la partie d’efficacité perdue lorsque l’on révèle qu’un traitement est un placebo, si avant d’administrer celui-ci... on expliquait au patient les mécanismes neurophysiologiques à l’origine de l’effet placebo ! » révèle le chercheur grenoblois.
Précisons ici que ces mécanismes sont désormais bien établis : grâce à plusieurs travaux menés ces dernières décennies, il est apparu que la conviction du patient que le placebo va améliorer son état peut déclencher diverses modifications cérébrales et physiologiques, susceptibles effectivement de soulager ses symptômes : stimulation de l’immunité, modification de la pression artérielle ou variation de la sécrétion de certaines molécules biologiques, telles que le cortisol (hormone du stress), les endorphines et les enképhalines (des neuromodulateurs produits naturellement par notre cerveau)
Le placebo « éduqué », une solution idéale
« Notre idée était que la connaissance et la compréhension de ces mécanismes par le patient pouvaient l’amener à mieux intégrer le fait que, malgré l’absence de substance active dans sa composition, un placebo peut avoir une action thérapeutique. Et que ce faisant, elles augmenteraient l'intensité de la réponse du placebo ouvert pour la rapprocher de celle d’un placebo mensonger », reprend Nicolas Pinsault. D’où l’idée de tester cette hypothèse, en évaluant l’efficacité d’un placebo mensonger, versus celle d’un placebo ouvert « éduqué », administré après avoir donné aux participants des explications. « À notre connaissance, notre étude est la première à tester la “non-infériorité” de l’efficacité d’un placebo éduqué par rapport à celle d’un placebo trompeur », souligne le scientifique.
Concrètement, ces travaux – dont la méthodologie est précisée dans un article publié en 20204 – ont porté sur 60 personnes saines qui ont été soumises à une stimulation douloureuse aiguë (en trempant une main dans une eau à 0 °C pendant 1 à 1,5 minute en moyenne). La moitié des participants a reçu un placebo conventionnel (mensonger) et l’autre, un placebo éduqué. Dans les deux cas, le placebo consistait en une crème neutre sans substance active. Cependant, dans le groupe « placebo classique », ce produit a été présenté comme un « vrai » antalgique ; alors que dans le groupe « placebo éduqué », il a été décrit comme une crème placebo sans principe actif.
Un outil de démocratie médicale ?
Tous les participants ont commencé par visionner une vidéo : pour le groupe « placebo éduqué », un film expliquant les mécanismes de l’effet placebo, et pour le second groupe, une vidéo « contrôle » sur le lavage des mains. Puis chacun a été soumis à la stimulation douloureuse, suivie d’une application du produit testé avant d’auto-évaluer l’intensité de la douleur ressentie. Les chercheurs ont alors noté que la différence de l’intensité douloureuse moyenne rapportée par les deux groupes était de 0,7 mm sur une échelle allant jusqu’à… 100 mm ! Bref : un niveau d’efficacité équivalent.
« Nos résultats réhabilitent la possibilité d’administrer un placebo dans des conditions éthiques », se réjouit Nicolas Pinsault. Par ailleurs, « ils pourraient contribuer à plus de démocratie médicale, sachant que de plus en plus de patients sont désireux de comprendre comment fonctionnent les traitements qu’on leur propose, pour pouvoir participer aux prises de décisions concernant leur santé ». En effet, depuis les années 1990, le modèle de soin paternaliste traditionnel, où le soignant décide seul des traitements à prescrire à un patient, perd du terrain au profit d’une autre conception appelée « décision médicale partagée ». Selon la Haute autorité de santé, ce nouveau modèle implique « l’échange d’informations et la délibération en vue d’une prise de décision acceptée d’un commun accord concernant la santé individuelle d’un patient ». Or, poursuit Nicolas Pinsault, « en expliquant au patient ce qu’est l’effet placebo et comment il fonctionne, le placebo éduqué répond totalement à ces nouvelles attentes ».
Reste toutefois à vérifier ces premiers résultats chez des patients affectés par de vraies pathologies, et non plus chez des personnes souffrant d’une douleur artificielle. Une nouvelle recherche que les chercheurs grenoblois espèrent démarrer dans environ un an. ♦
- 1. Unité CNRS/Université Grenoble-Alpes.
- 2. Ted J Kaptchuk et al., PLoS One, 22 décembre 2010. doi: 10.1371/journal.pone.0015591.
- 3. Cosima Locher et al., Pain, Décembre 2017. doi: 10.1097/j.pain.0000000000001012.
- 4. Léo Druart et al., Medicines (Basel), 2 janvier 2020. doi: 10.3390/medicines7010003.
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Auteur
Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.