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Aux origines du langage
Enfant, il était « du genre à rester des heures devant des nids de fourmis » dans les collines d’Aubagne. Lycéen, il a pris « une grande claque existentielle » en regardant sur Arte un documentaire consacré au bonobo Kanzi1 et en découvrant que « l’homme n’était pas aussi unique que ce qu’on apprenait en classe de philo ». Étudiant, il a « bondi de joie tel un marsupilami » en apprenant que le psychologue Jacques Vauclair, auteur de L’Intelligence de l’animal, « le livre qui ne quittait pas (sa) table de chevet », acceptait de le prendre en stage de maîtrise.
Des babouins comme « camarades de recherches »
Une thèse, un séjour doctoral d’un an suivi d’un post-doc avec le primatologue Bill Hopkins au Yerkes National Research Primate Center d’Atlanta, aux États-Unis, et une étude de terrain au Sénégal plus tard, la passion d’Adrien Meguerditchian pour l’éthologie animale en général, et les primates non humains en particulier, est manifestement intacte. Et communicative. Passez quelques heures avec ce jeune chercheur de 32 ans sur le point d’intégrer le Laboratoire de psychologie cognitive2, à Marseille, dans l’équipe Cognition comparée, dirigée par Joël Fagot, et vous partagerez sa passion pour ses « camarades de recherches babouinesques ».
En ce matin brûlant de juillet, lesdits « camarades » à l’arrière-train rubicond saluent son arrivée devant leur enclos de la Station de primatologie de Rousset-sur-Arc à grand renfort de claquements de bouche, comme s’il était l’un des leurs. Le site de Rousset, à la lisière d’Aix-en-Provence, « cherche à reproduire certaines conditions importantes de la vie en milieu naturel, explique le chercheur, après avoir rendu son salut à Marius, un impressionnant babouin mâle de 15 ans et l’un des 600 pensionnaires du lieu. Ici, les animaux sont élevés en groupes pour leur permettre d’avoir une vraie vie sociale, laquelle est très hiérarchisée avec un, voire deux mâles dominants. Tous les singes ont accès à des parcs extérieurs au soleil et enrichis physiquement de structures en bois pour qu’ils puissent se percher, se cacher, jouer, trouver de l’ombre… Les soigneurs, par ailleurs, fractionnent la distribution de nourriture tout le long de la journée et cherchent des moyens d’obliger les singes à fourrager. Dans la nature, les babouins passent jusqu’à 70 % de leur temps à rechercher de quoi manger en creusant, en grattant le sol, en enfonçant leurs doigts dans la terre… »
Une thèse qui fait son chemin
Autant de dispositifs qui visent à limiter au minimum l’ennui des animaux et offrent à notre chercheur, qui dispense depuis 2009 des formations en matière de bien-être et d’expérimentation animale à Marseille pour le CNRS, les meilleures conditions pour étudier la communication gestuelle des primates et sonder la question des origines du langage parlé. Faire appel à des singes pour tenter de remonter jusqu’aux sources de la parole humaine ? L’idée a de quoi surprendre… La thèse dominante ne stipule-t-elle pas que le langage articulé a émergé d’un bloc lors de l’éclosion de notre espèce, il y a environ 170 000 ans ?
caractéristiques
clés du langage
humain se
retrouvent dans
le système de
communication
des primates.
La contribution des primatologues à la problématique du langage « reste marginale, concède Adrien Meguerditchian, mais commence à gagner du terrain ». C’est que certaines caractéristiques clés du langage humain telles que la capacité à transmettre un message à un individu en particulier (ce que l’on appelle l’intentionnalité), la capacité à orienter l’attention d’autrui vers un lieu ou un objet extérieur grâce à des signaux dits référentiels, ou encore la possibilité d’apprendre en permanence de nouveaux signaux (c’est-à-dire la flexibilité d’apprentissage) se retrouvent dans le système de communication, et en particulier les gestes des primates, nos plus proches voisins dans l’arbre de l’évolution. Dès lors, pourquoi ne pas imaginer, quitte à faire grimper aux arbres quelques distingués linguistes, que le système de communication articulée si riche et si efficace dont nous nous enorgueillissons n’est pas apparu tardivement et soudainement avec Homo sapiens sapiens, mais plonge ses racines dans la communication gestuelle des primates ?
Aujourd’hui, le chercheur teste cette hypothèse sur les babouins de Rousset en collectant des données comportementales sur leur système de communication, puis en scannant leur cerveau par IRM anatomique, une technique d'imagerie non invasive. « Chez l’homme, l’hémisphère gauche du cerveau – notamment l’aire de Broca et l’aire de Wernicke – contrôle la plupart des fonctions de la parole, détaille-t-il. Par ailleurs, tout ce qui a trait dans notre espèce à la communication gestuelle, qu’il s’agisse des mouvements des mains pendant les échanges verbaux, du langage des signes chez les sourds, des gestes de pointage chez le jeune enfant, etc., semble activer les mêmes zones cérébrales et témoigne de la même asymétrie hémisphérique qui favorise l’usage de la main droite pour les gestes, même chez les gauchers. » Quant aux primates non humains, leur système de communication gestuelle (taper au sol pour menacer, tendre les bras pour jouer, se gratter une partie du corps pour être épouillé par un congénère…) implique lui aussi davantage la main droite et semble donc associé à l’hémisphère gauche, tout comme les quelques vocalisations « intentionnelles » émises par certains chimpanzés et synchronisées avec des gestes.
D’où le scénario défendu par Adrien Meguerditchian : d’abord purement gestuel et piloté par l’hémisphère gauche, le premier système de communication « intentionnelle » de l’ancêtre commun au babouin, au chimpanzé et à l’homme, il y a environ de 30 à 40 millions d’années, serait devenu bimodal (c’est-à-dire associant des gestes et des vocalisations) à l’époque de l’ancêtre commun au chimpanzé et à l’homme, voilà de 4 à 7 millions d’années. Vu les avantages présentés par le contrôle volontaire de la voix (la possibilité de communiquer avec un congénère sans le voir, de nuit, à d’assez longues distances…), ce système « deux-en-un » se serait complexifié au profit du langage articulé au fil de l’évolution des hominidés. Les gestes associés à la parole dans notre espèce constitueraient par conséquent un héritage du système bimodal de nos très lointains ancêtres.
Prochain objectif : retourner en Afrique
Sur le plan technique, décrypter les bases neuronales de la communication des primates et rechercher des preuves de l’origine gestuelle de certaines propriétés du langage humain relève de la gageure. Difficile, en effet, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, de convaincre (sans recourir à la contrainte) un singe de se glisser dans l’étroit et bruyant boyau d’une machine IRM et de produire sur commande des signaux vocaux ou gestuels. « C’est pourquoi nous utilisons l’IRM anatomique (IRMa), explique Adrien Meguerditchian. Cette technologie non invasive ne permet pas de visualiser le cerveau en action, contrairement à l’IRM fonctionnelle (IRMf), mais de photographier des structures cérébrales d’un sujet endormi et de mesurer, par exemple, leur taille et leurs liens avec certains comportements. » Surtout, l’espoir est grand d’équiper un jour prochain des primates d’un bandeau de tête enserrant un dispositif de spectroscopie proche infrarouge (Spir)3. Léger et relativement peu coûteux, cet outil d’imagerie cérébrale testé avec succès sur des primates au Japon offrirait l’avantage de mesurer l’activation cérébrale de singes en situation de communication sans avoir à leur faire quitter leur enclos.
Un objectif aussi stimulant que celui que nourrit Adrien Meguerditchian de retourner en Afrique. À l’évocation des trois mois de recherche passés en 2011 dans la région de Kédougou (au sud-est du Sénégal), où la primatologue américaine Jill Pruetz a habitué des chimpanzés de savane à la présence de chercheurs, son regard s’illumine. « Il fallait se lever au milieu de la nuit, marcher pendant des heures pour rejoindre les chimpanzés avant le lever du soleil et pouvoir ensuite les suivre toute la journée. La première semaine, j’ai cru que j’allais mourir tellement c’était physique. Mais quelle aventure extraordinaire ! Un vrai rêve éveillé… » Un ange, velu, passe en tapant dans ses mains.
- 1. Ce bonobo avait appris à communiquer avec l’homme en utilisant un clavier composé de différents symboles abstraits, chaque symbole étant associé à un mot.
- 2. Unité CNRS/Aix-Marseille Univ.
- 3. Cette technique évalue l’oxygénation des tissus cérébraux par l’application d’un rayonnement de lumière infrarouge proche.
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Auteur
Philippe Testard-Vaillant est journaliste. Il vit et travaille dans le Sud-Est de la France. Il est également auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, dont Le Guide du Paris savant (éd. Belin), et Mon corps, la première merveille du monde (éd. JC Lattès).
Commentaires
Je suis déçu du comportement
QUINQUIN le 31 Décembre 2016 à 16h26Connectez-vous, rejoignez la communauté
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