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Des spermatozoïdes humains fabriqués in vitro
Depuis quinze ans, plusieurs équipes dans le monde tentent d’obtenir des spermatozoïdes à partir de tissus prélevés sur le corps d’hommes infertiles souhaitant avoir un enfant biologique. Ce jeudi 17 septembre, des chercheurs de la start-up Kallistem1 ont annoncé officiellement y être parvenus ! « Pour la première fois, nous avons réussi à obtenir en cultures cellulaires des spermatozoïdes humains complètement formés, à partir de biopsies testiculaires d’hommes stériles », se réjouit Marie-Hélène Perrard, chercheuse à l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon et cofondatrice de Kallistem.
« Nous avons accompli cette avancée grâce à un dispositif né d’une longue réflexion et de la combinaison de deux expertises, en culture cellulaire et en biomatériaux : le système Artistem. Ce dispositif permet de réaliser l’intégralité du processus naturel produisant les spermatozoïdes, aussi appelé spermatogenèse », précise la biologiste. Un brevet a été déposé par Kallistem et ses partenaires, le CNRS, l’ENS de Lyon, l’université Claude-Bernard Lyon-I et l’Inra, le 25 juin 2015.
Un processus physiologique compliqué à reproduire
La spermatogenèse humaine se réalise en 72 jours et constitue l’un des processus physiologiques les plus complexes de la nature. Elle débute avec les cellules germinales immatures, les spermatogonies, nichées dans les tubes séminifères des testicules. Lors de trois grandes étapes successives (mitose, étape méiotique et spermiogenèse), ces cellules rondes riches de 46 chromosomes subissent une série de multiplications et de transformations pour aboutir aux spermatozoïdes, des cellules allongées à 23 chromosomes2.
C’est au début des années 1990 que l’équipe Inserm (U418) et Inra (Nouzilly) dirigée par Philippe Durand (actuellement directeur scientifique de Kallistem), et comprenant Marie-Hélène Perrard, se lance dans le grand projet de reproduire la spermatogenèse in vitro. À la fin des années 1990, ils parviennent à un premier système de culture. Lequel leur permet, en 2000, de réaliser toute l’étape méiotique de la spermatogenèse in vitro chez le rat. Ce système a été ensuite validé d’un point de vue physiologique par une vingtaine de publications.
Principale difficulté : obtenir une solution de confinement stable
Problème : dans ce dispositif, la spermatogenèse ne s’accomplit qu’à 80 % et reste bloquée au début de son étape finale, la spermiogenèse. « Nous n’arrivions pas à obtenir une solution de confinement suffisamment efficace et stable pour que nos cultures de tubes séminifères fonctionnent pendant toute la durée de spermatogenèse », explique Marie-Hélène Perrard.
Pour lever ce verrou biotechnologique, en 2011, Philippe Durand fait appel à Laurent David, professeur à l’université lyonnaise Claude-Bernard3 et spécialiste des hydrogels, des biomatériaux constitués à plus de 90 % d’eau et conçus pour la culture cellulaire. « J’espérais qu’en combinant nos deux expertises, en culture cellulaire et en biomatériaux, nous arriverions enfin à concevoir un dispositif capable de mimer le confinement des tissus dans les testicules », raconte le biologiste. Son vœu est exaucé : de cette rencontre naîtra le dispositif Artistem, présenté aujourd’hui officiellement par les chercheurs.
assure un
confinement
parfait des tubes
séminifères,
propice à une
spermatogenèse
intégrale.
Concrètement, des portions de tubes séminifères prélevés chez l’homme sont introduites dans un tube de deux millimètres de diamètre fabriqué à partir d’un hydrogel en chitosane, une molécule présente naturellement dans la paroi de certains champignons. L’ensemble baigne dans un milieu de culture adapté contenant tous les éléments nécessaires à la multiplication et à la croissance des cellules germinales : nutriments, oxygène, hormones, etc. « Ce bioréacteur assure un confinement parfait des tubes séminifères, propice à une spermatogénèse intégrale. Sa paroi en hydrogel permet la diffusion des éléments nutritifs du milieu de culture vers l’intérieur des tubes séminifères et maintient une concentration suffisante en hormones à l’intérieur des tubes », se réjouit Laurent David.
Un véritable exploit biotechnologique
L’équipe a d’abord testé son dispositif sur des tissus de rats et de singes. Résultat : « Après ouverture du bioréacteur et fragmentation des tubes séminifères, on a observé au microscope des spermatozoïdes », raconte Marie-Hélène Perrard. Les chercheurs ont ensuite travaillé avec des biopsies testiculaires de transsexuels. « Comme ces hommes désireux de devenir des femmes subissent un traitement hormonal qui stoppe leur spermatogenèse, ils se rapprochent du cas des jeunes garçons prépubères n’ayant que des spermatogonies ou des hommes infertiles à cause d’un blocage de la spermatogenèse », précise la biologiste. Dans ce cas aussi, « au bout de 72 jours, nous avons obtenu des spermatozoïdes », indique la chercheuse.
de la totalité de
la spermatogenèse
in vitro chez
trois espèces
montre une méthodologie solide.
« La réalisation de la totalité de la spermatogenèse in vitro non pas chez une, mais trois espèces, montre combien la méthodologie de Kallistem est solide. Leur système de culture est un véritable exploit biotechnologique », souligne Hervé Lejeune, endocrinologue4 et membre du comité scientifique de Kallistem. « Si ces travaux sont confirmés par une publication dans une revue scientifique à comité de lecture, ils auraient un intérêt immense en procréation médicalement assistée (PMA) », commente Pierre Jouannet, biologiste de la reproduction, ancien responsable du service de Biologie de la reproduction de l’hôpital Cochin, à Paris.
Un outil précieux pour la recherche
Le dispositif de l’équipe lyonnaise pourrait aider deux types de patients. « D’une part, les garçons atteints d’un cancer, qui subissent avant leur puberté une radio ou une chimiothérapie pouvant altérer le fonctionnement de leurs testicules après la puberté. D’autre part, les hommes infertiles à cause d’un blocage de leur spermatogenèse (azoospermie sécrétoire), à condition cependant que leurs tubes séminifères contiennent des cellules germinales et des cellules de Sertoli (cellules nourricières des cellules germinales) », précise le biologiste. Soit plus de 15 000 jeunes patients atteints de cancer et plus de 120 000 hommes adultes au niveau mondial.
Au-delà de la procréation médicale assistée, le dispositif pourrait devenir un précieux outil pour la recherche. « Un système permettant de réaliser totalement la spermatogenèse in vitro permettrait d’étudier les événements cellulaires et moléculaires de ce processus, encore relativement peu compris, ainsi que les pathologies liées à son mauvais fonctionnement », poursuit Pierre Jouannet.
Reste qu’« avant d’arriver à une possible utilisation de cette technique en clinique ou en recherche, d’autres études sont nécessaires », insistent les biologistes lyonnais, soucieux de ne pas donner de faux espoirs aux patients. Il faut notamment vérifier chez les rats que les spermatozoïdes obtenus in vitro sont en bon état biochimique, génétique et épigénétique (expression des gènes), qu’ils sont bien fécondants et qu’ils donnent naissance à des ratons avec des organes et un comportement complètement normaux. « Si tout se passe bien et que nous obtenons assez de financements pour continuer nos travaux, nous pourrions commercialiser notre système dans deux à quatre ans », espère Marie-Hélène Perrard.
- 1. Start-up de biotechnologie lyonnaise issue de l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (CNRS/ENS de Lyon/UCBL/Inra).
- 2. Les spermatozoïdes n’apportent que la moitié du matériel génétique paternel, de sorte que leur fusion avec un ovocyte – 23 chromosomes lui aussi – donne une cellule-œuf de 46 chromosomes.
- 3. Département Ingénierie des matériaux polymères.
- 4. Hôpital Femme-Mère-Enfant (Bron, 69).
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Auteur
Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.