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Expériences dans l’espace : à bord du labo ISS

Expériences dans l’espace : à bord du labo ISS

03.03.2025, par
Temps de lecture : 7 minutes
Plusieurs centaines d'expériences sont réalisées chaque année au sein du laboratoire européen Columbus (module situé à droite) de la Station spatiale internationale (ISS).
Métabolisme des astronautes, comportement des plantes, réaction du vivant aux rayonnements et des mousses à l’apesanteur… Dans l’espace, on n’observe pas que l’espace. La preuve en 4 expériences menées à bord de la Station spatiale internationale.

1. Le métabolisme humain en microgravité

Les séjours dans l’espace mettent le corps des astronautes à rude épreuve. « En condition de microgravité, les astronautes n’ont plus besoin des muscles pour se tenir debout, cela conduit notamment à une atrophie musculaire », explique Audrey Bergouignan, de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien1. La chercheuse et son équipe étudient plus précisément les modifications métaboliques induites par la microgravité. Car celle-ci peut engendrer des troubles similaires à ceux observés chez des personnes atteintes de maladies métaboliques comme le diabète de type 2.
 

L’astronaute Tim Peake sur le Muscle Atrophy Research and Exercise System (MARES), qui permet d’étudier les effets de la microgravité sur le système musculaire.
L’astronaute Tim Peake sur le Muscle Atrophy Research and Exercise System (MARES), qui permet d’étudier les effets de la microgravité sur le système musculaire.

Entre 2011 et 2017, Audrey Bergouignan et son équipe ont mesuré la dépense énergétique totale chez 11 astronautes de la Station spatiale internationale (ISS), dont Thomas Pesquet. « Nous avons utilisé la méthode de l’eau doublement marquée . Les astronautes ont bu une eau contenant des isotopes stables comme le deutérium et l’oxygène 18. Plus on dépense d’énergie, et plus ces traceurs sont éliminés du corps. Et, en mesurant leur vitesse de disparition dans les urines, nous déduisons la dépense énergétique journalière », précise la chercheuse. Les astronautes sont également équipés d’accéléromètres pour collecter des données sur leurs activités physiques quotidiennes.

« Nos résultats ont révélé que, dans l’espace, les mécanismes de régulation du poids deviennent inopérants. Les astronautes ne parviennent pas à conserver une masse stable.  », observe Audrey Bergouignan. Elle préconise donc de mettre en place des suivis plus individualisés des astronautes en orbite, afin de les maintenir en bonne santé.

2. Des plantes en milieu hostile

Microgravité, radiations, absence de convection des gaz qui empêche le renouvellement de l’air… « En orbite, la plante est exposée à des facteurs jamais rencontrés au cours de son évolution, souligne Eugénie Carnero-Diaz, de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité2. Pour effectuer un aller-retour Terre-Mars, il faut compter deux ans. Il est donc nécessaire de vérifier que les plantes seront capables d’assumer leurs rôles, comme la purification de l’eau et de l’air, ou encore la nutrition. »
 

L’astronaute Tom Marshburn avec les graines (dans leur capsule, en suspension) du projet Seedling Growth prêtes à être chargées dans le système de culture modulaire européen de la Station spatiale internationale.
L’astronaute Tom Marshburn avec les graines (dans leur capsule, en suspension) du projet Seedling Growth prêtes à être chargées dans le système de culture modulaire européen de la Station spatiale internationale.

La chercheuse et son équipe ont envoyé des plants d’arabette des dames (Arabidopsis thaliana) séjourner dans l’ISS, dans le cadre du projet GENERA-A. « Nous avons constaté que la microgravité agit bien comme un facteur de stress sur ces organismes. Notamment les radiations, qui s’avèrent très délétères pour les protéines. » Une autre expérience, réalisée dans le cadre du projet Seedling Growth entre 2013 et 2017, a ensuite confirmé que A. thaliana subit une dérégulation de son cycle cellulaire en apesanteur, avec une mitoseFermerMitose : processus de division d’une cellule, qui va dupliquer ses constituants et se transformer en deux cellules dites « filles », identiques à la cellule mère. plus lente et une division cellulaire plus précoce que sur la Terre.

« Nous pensons qu’il s’agit d’un mécanisme de compensation qui permet de maintenir la croissance des organes de la plante malgré l’environnement hostile dans lequel elle se trouve, avance Eugénie Carnero-Diaz. En outre, nous avons observé que l’exposition à la lumière rouge permet d’atténuer cette dérégulation. » Mais cette compensation pourrait-elle se maintenir sur une longue durée ? Affaire à suivre…

3. La matière organique à l’épreuve des rayonnements

Pour percer le mystère des origines de la vie sur la Terre, il est nécessaire de mieux comprendre la chimie qui a précédé l’émergence du vivant. En effet, « certaines molécules apportées par les comètes et les météorites ont pu contribuer à l’apparition de la vie », confie Hervé Cottin, du Laboratoire inter-universitaire des systèmes atmosphériques3.

Le scientifique et son équipe étudient l’évolution de la matière organique sous l’effet des rayonnements solaires. Pour ce faire, ils ont envoyé des échantillons à l’extérieur de l’ISS. « Nous observons l’évolution de molécules comme les acides aminés, qui sont des sortes de briques servant à fabriquer les protéines. Or on retrouve des acides aminés dans les comètes et dans certains types de météorites, précise le chercheur. Une fois éjectées du noyau de la comète, ces molécules peuvent circuler autour du Soleil dans des particules de poussière pendant des dizaines, voire des centaines de milliers d’années avant de tomber sur la Terre. »
 

Ces cellules d’exposition (expérience EMA, pour Euro Material Ageing) vont apporter une meilleure connaissance de l’environnement spatial grâce aux capteurs embarqués. Elles permettront d’étudier le vieillissement des matériaux à usage spatial et de suivre l’évolution de composés d’intérêt exobiologique.
Ces cellules d’exposition (expérience EMA, pour Euro Material Ageing) vont apporter une meilleure connaissance de l’environnement spatial grâce aux capteurs embarqués. Elles permettront d’étudier le vieillissement des matériaux à usage spatial et de suivre l’évolution de composés d’intérêt exobiologique.

Résultat ? Ces molécules se dégradent bien plus vite dans l’espace que sur la Terre, avec des cinétiques « 10 à 100 fois plus rapides pour certaines molécules, observe Hervé Cottin. Dans ces conditions, les acides aminés les moins résistants aux rayonnements pourraient avoir été détruits bien avant d’arriver sur notre planète. »

Début novembre 2024, ses équipes ont envoyé 26 nouveaux échantillons dans l’ISS. Pour la première fois, leur évolution sera étudiée avec précision grâce à un spectromètre infrarouge. De quoi affiner la liste des ingrédients qui ont pu tomber sur la Terre avant l’apparition de la vie.

4. Les mousses déstabilisées par l’apesanteur

Les mousses font partie de notre quotidien. Elles sont notamment présentes dans l’alimentation et les cosmétiques. Et sont scrutées à la loupe par Emmanuelle Rio, chercheuse au sein du Laboratoire de physique des solides4, qui s’intéresse à la stabilité des objets savonneux tels que les bulles, les films de savon et les mousses. Or, souligne-t-elle, l’étude du comportement des mousses liquides sur la terre ferme est un exercice périlleux, car la gravité les rend très peu stables : « Sur la Terre, le liquide contenu dans une mousse tombe entre les bulles, ce qui entraîne un effondrement de l’ensemble ainsi qu’une séparation du liquide et du gaz. »
 

Test d’un lot de cartouches afin d'étudier les mousses dans des conditions de microgravité dans le cadre du projet Foam-Coarsening (FOAM-C).
Test d’un lot de cartouches afin d'étudier les mousses dans des conditions de microgravité dans le cadre du projet Foam-Coarsening (FOAM-C).

Pour contourner le problème, les scientifiques ont donc envoyé des liquides moussants à bord de l’ISS dans le cadre de l’expérience Foam-Coarsening (FOAM-C). Ils les ont observés via une caméra, mais aussi grâce à l’utilisation d’un laser, qui donne des informations précises sur le contenu en liquide de la mousse ou sur la taille des bulles. Et qu’ont-ils constaté ? « Les petites bulles s’accumulent au cours du temps. Elles deviennent de plus en plus nombreuses, car elles sont si petites qu’elles n’ont plus de contact avec les bulles voisines et, du coup, elles ne vieillissent plus. Ces bulles cessent alors d’appartenir à la mousse et deviennent indépendantes », détaille Emmanuelle Rio.

Toutes les données acquises dans l’espace n’ont pas encore été analysées, mais les scientifiques espèrent bientôt mieux appréhender les propriétés des mousses. Car, pour l’heure, leur formulation s’opère selon quelques principes généraux, à défaut de bénéficier de connaissances plus précises. Grâce à la poursuite de ces recherches, les mousses de demain pourraient ainsi devenir plus stables. Et plus efficaces. ♦

Notes
  • 1. Unité CNRS/Université de Strasbourg.
  • 2. Unité CNRS/EPHE/MNHN/Sorbonne Université.
  • 3. Unité CNRS/Université Paris Cité/Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne.
  • 4. CNRS/Université Paris-Saclay.

Auteur

Thomas Allard

Journaliste scientifique, Thomas Allard s’intéresse notamment aux questions énergétiques, agricoles et environnementales, ainsi qu’aux nouvelles technologies. Il a notamment collaboré à Science & Vie, à Sciences et avenir et au site Curieux!