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Indonésie : enquête sur un tsunami
Pouvez-vous nous rappeler dans quelles circonstances vous et votre collègue Gilles Brocard, géologue à l’Université de Grenoble-Alpes, avez été amenés à vous rendre à Palu, juste après le tsunami qui a frappé cette ville de l’île des Célèbes en septembre dernier ? On sait que ces zones sont très difficiles d’accès après de telles catastrophes…
Jean-Philippe Goiran1 : À cette époque, nous nous trouvions tous les deux à la pointe nord-ouest de l’Île de Sumatra dans la région de Banda Aceh. Nous étions sur place pour effectuer des carottages de couches sédimentaires, car nous cherchions à savoir si ce secteur durement touché par le tsunami de 2004 avait été particulièrement sujet aux tsunamis au cours des siècles précédents. Suite au tremblement de terre de Palu, le 28 septembre 2018, des collègues géologues indonésiens nous ont très vite proposé d’intégrer la mission scientifique internationale qu’ils s’apprêtaient à monter sur place2. Nous avons bien évidemment accepté, car il s’agissait d’une opportunité unique d’étudier l’impact d’un tsunami très peu de temps après son passage.
Quels étaient les principaux objectifs de cette mission scientifique ?
J.-P. G. : La mission s’est focalisée sur trois axes de recherche principaux. Des géologues et des ingénieurs civils ont tout d’abord étudié les effets du séisme proprement dit sur les infrastructures, afin de comprendre pourquoi certains bâtiments ont bien résisté tandis que d’autres se sont écroulés comme des châteaux de cartes. Un deuxième groupe de chercheurs, dont Gilles Brocard et moi-même faisions partie, s’est focalisé sur le tsunami lui-même afin de mesurer son impact sur les zones émergées. Cette même équipe a également étudié les effets du tsunami en domaine immergé à partir de bateaux équipés de sonars. Enfin, un dernier groupe de scientifiques s’est intéressé aux trois gigantesques glissements de terrain qui ont affecté la ville de 300 000 habitants et sa périphérie après le passage de la vague et sous lesquels ont péri plusieurs milliers de personnes.
L’Indonésie est régulièrement frappée par ce genre de catastrophe. On a tous en mémoire le tsunami du 22 décembre dernier. La veille de Noël, un raz de marée a fait plusieurs centaines de victimes sur les côtes des îles de Java et de Sumatra… Comment expliquer la fréquence de telles catastrophes dans cette partie du globe ?
J.-P. G. : Il faut tout d’abord rappeler que 95 % des volcans indonésiens sont situés sur la zone de subductionFermerPhénomène se traduisant par le glissement d’une plaque océanique sous une autre plaque tectonique de plus faible densité. de la Sonde, où la rencontre de plusieurs limites de plaques tectoniques se traduit par une intense activité sismique. Les plaques indienne et australienne glissent notamment sous l’Indonésie à une vitesse qui peut atteindre entre 4 et 6 cm par an.
Or ces phénomènes de subduction génèrent de fortes frictions entre les plaques qui déclenchent alors un séisme en profondeur. Lorsque celui-ci se produit en pleine mer, il donne naissance à une onde marine qui gagne en amplitude à mesure qu’elle se rapproche des zones littorales : c’est le tsunami. L’archipel indonésien regroupant quelque 17 000 îles et îlots, la probabilité que des raz de marée de ce genre submergent ce vaste linéaire côtier est donc particulièrement élevée.
À quel genre d’obstacles avez-vous dû faire face lors de cette mission scientifique ?
J-P. G. : La première difficulté a été d’accéder au site d’étude, sachant que l’aéroport de Palu avait été affecté par le séisme. Les réseaux routiers, électriques et d’eau de la ville étaient également très endommagés compte tenu de l’effondrement de nombreux immeubles sur la voirie et de la liquéfaction des sols. Le volet maritime de la mission visant à déterminer les modifications de la physionomie des fonds marins à la suite du tremblement de terre s’est également révélé plus compliqué que prévu, car les vagues engendrées par le tsunami avaient détruit la totalité des infrastructures portuaires et des navires de la ville de Palu. Chaque matin, nous devions donc remonter la baie par la route sur plus de 40 km, pour pouvoir embarquer à bord d’un bateau amarré dans un petit port ayant été moins affecté par le tsunami.
Quelles premières informations apportent les échantillons que vous avez prélevés sur le lieu de la catastrophe ?
J.-P. G. : Ces prélèvements ont été effectués sur les sédiments déposés par le tsunami (gravats, sédiments arrachés au milieu marin…) sur tout le pourtour de la baie de Palu. Ils nous éclairent sur la force du tsunami, sa hauteur et sa progression à l’intérieur des terres. Grâce à ces dépôts, nous avons d’ores et déjà pu déterminer que la vague avait atteint une hauteur maximale de 11 m dans certaines zones de la ville, et qu’elle s’était enfoncée jusqu’à 400 m à l’intérieur des terres. Nos confrères du Earth Observatory of Singapore ont plus particulièrement effectué des carottages sédimentaires sur une profondeur d’un mètre afin notamment de retrouver la trace de trois tsunamis qui se sont succédé au cours du XXe siècle à Palu et qui restent encore bien présents dans la transmission orale. Ils veulent ainsi comparer les dépôts de sédiments grossiers associés à ces événements passés avec ceux engendrés par le tsunami de septembre dernier.
Malgré le contexte difficile, vous êtes également parvenus à établir une cartographie sous-marine précise de la baie de Palu. Quel était l’objectif de ce travail ?
J.-P.G. : Il s’agissait de comprendre pourquoi, moins de trois minutes après le déclenchement du séisme dont l’épicentre était situé à 80 km au nord de Palu, une première vague atteignait déjà la ville. Les profils bathymétriquesFermerCartographie des fonds marins réalisée à l’aide de sondes acoustiques de type sonar. de la baie montrent que ce puissant tremblement de terre, d’une magnitude de 7,5 sur l’échelle de Richter, a déstabilisé les pentes sous-marines à proximité de Palu, provoquant des glissements de terrain qui ont à leur tour déclenché le tsunami.
Ils confirment également que la dynamique du tsunami est directement liée à la nature de la pente sous-marine sur laquelle la vague dévale : plus la pente sous-marine est faible, plus le tsunami prend de la force – c’est l’effet tremplin – ; à l’inverse, plus la pente est forte, plus la dynamique du tsunami se casse. À Palu, nous sommes sur un delta et la pente est faible. La vague s’est pour ainsi dire régalée et a gagné en puissance.
De nouvelles investigations scientifiques sont-elles d’ores et déjà prévues ?
J.-P. G. : Tout à fait. Dans le cadre d’une prochaine étude, nous comptons effectuer des carottages sur 5 à 10 mètres de profondeur à proximité de Palu. L’étude de ces dépôts sédimentaires profonds devrait ainsi permettre de retracer la chronologie des tsunamis qui ont frappé la région de Palu sur une échelle de temps bien plus importante, de l’ordre de plusieurs milliers d’années. Avec l’appui de modèles mathématiques, nous pourrons alors estimer avec une relative fiabilité le nombre de tsunamis susceptibles de se produire dans le secteur au cours du prochain siècle. ♦
- 1. Jean-Philippe Goiran est géo-archéologue au Laboratoire Archéorient (CNRS/Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux/Université Lumière Lyon-2).
- 2. Cette mission internationale supervisée par des scientifiques du Tsunami and Disaster Mitigation Research Center, de l’Université de Palu et du Ristek de Jakarta a rassemblé une vingtaine de scientifiques indonésiens, singapouriens, britanniques, français et australiens. Les travaux de l’équipe française ont été financés par le service scientifique de l’ambassade de France de Jakarta.
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Auteur
Grégory Fléchet est né à Saint-Étienne en 1979. Après des études de biologie suivies d’un master de journalisme scientifique, il s’intéresse plus particulièrement aux questions d’écologie, d’environnement et de santé.
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