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Quand l’Internet des objets grappille de l’énergie

Quand l’Internet des objets grappille de l’énergie

29.01.2020, par
Mis à jour le 04.02.2020
Mobiles ou éloignés des prises, les capteurs communicants sans fil qui composent l’Internet des objets ont des besoins particuliers. Le grappillage de l’énergie ambiante, qu’elle soit thermique, mécanique ou encore lumineuse, peut leur permettre de s’alimenter de manière autonome.

Toujours plus petits et bavards, les appareils électroniques s’étendent en véritables réseaux d’objets communicants. En croissance exponentielle, cet Internet des objets (IoT en anglais) dépasse l’usage domestique et concerne maintenant tous les secteurs d’activité : les transports, l’industrie, la médecine, l’armée, l’aérospatial… On estime qu’il existe cinquante milliards d’objets connectés dans le monde, pour un marché d’environ cinq cents milliards de dollars.

Convertir l'énergie

Mais comment tous les alimenter ? À quoi brancher un pacemaker ou une balise posée sur le dos d’une baleine ? Le grappillage d’énergie propose de puiser directement dans l’environnement immédiat. « On essaye d’alimenter ces appareils sans avoir à passer par des piles ou des batteries, qu’il faudrait changer régulièrement, souligne Romain Bachelet, chargé de recherche CNRS à l’Institut des nanotechnologies de Lyon (INL)1. Ils doivent donc être capables de récupérer leur propre énergie et celle alentour, puis de la convertir en électricité. » En plus de l’aspect récupération, le grappillage d’énergie demande une conversion d’énergie (ou transduction), d’un signal physique en un autre, principalement électrique. On obtient ainsi de l’électricité à partir d’un vaste panel de sources ambiantes mécaniques (vibratoires, variations de pressions), thermiques (variations ou différence de température), lumineuses (photovoltaïque), (électro)magnétiques (RF)… Chacune nécessite un composant spécifique pour réaliser l’opération : le transducteur.

On essaye d’alimenter ces appareils sans avoir à passer par des piles ou des batteries, qu’il faudrait changer régulièrement. Ils doivent donc être capables de récupérer leur propre énergie et celle alentour, puis de la convertir en électricité.

Si l’on imagine bien accoler un panneau solaire à un appareil isolé du réseau électrique, comme un radar ou une caméra en rase campagne, le grappillage concerne généralement des systèmes plus réduits et moins gourmands. « Nous sommes en présence de toutes petites puissances, de l’ordre du microwatt jusqu’au milliwatt », explique Elie Lefeuvre, professeur à l’Université de Paris-Saclay et chercheur au Centre de nanosciences et de nanotechnologies2 (C2N). Cela limite les applications actuelles à l’alimentation d’objets parcimonieux, ou alors fonctionnant et communicant par intermittence, ce qui est le cas des capteurs communicants sans fils de l’IoT. « C’est la transmission de l’information d’un capteur à un autre qui demande le plus d’énergie, mais qui est limitée à quelques millisecondes sur des temps “off” pouvant aller, selon les applications, de quelques secondes à plusieurs minutes », insiste Romain Bachelet.

Chaque joule compte

Première conséquence de la petitesse des énergies mises en jeu, la moindre perte doit être évitée. « Les problèmes se rencontrent surtout à l’interface des transducteurs, chargée d’améliorer les rendements sans consommer plus que ce qu’elle apporte, détaille Elie Lefeuvre. Le grappillage se saisit d’énergies de faible puissance, mais à la tension pouvant être relativement élevée. À l’inverse, les transducteurs fournissent un courant plus raisonnable, mais avec des tensions très réduites. »

Différents effets de seuil entraînent des pertes d’énergie rédhibitoires, qui appellent à développer une microélectronique mieux adaptée. Vient ensuite la question du stockage de cette énergie, collectée de manière irrégulière pour alimenter un usage lui-même intermittent. Le contexte réclame une adaptation sur mesure. « Un implant médical bénéficie d’une température environnante stable et connue, mais les objets utilisés en extérieur sont soumis à des variations climatiques parfois importantes, insiste Elie Lefeuvre. Or les systèmes de stockage de l’énergie sont très sensibles à ces changements. »

Le chercheur a ainsi travaillé sur la récupération d’énergie mécanique pour les implants médicaux. Si un pacemaker ne consomme pas beaucoup d’énergie, sa pile doit tout de même être remplacée au bout d’un moment, ce qui provoque à chaque fois une intervention chirurgicale. La collecte de l’énergie des vibrations produites par les battements du cœur ouvre la voie à des appareils bien plus autonomes. Cela demande d’adapter le transducteur à ces conditions très spécifiques en termes de fréquence et d’amplitude des battements cardiaques. Un problème qui illustre un des grands verrous du grappillage d’énergie. Chaque situation doit être finement étudiée, pour non seulement choisir la meilleure source d’énergie dans laquelle puiser, mais aussi adapter le transducteur et l’électronique aux quantités disponibles. Une source intéressante peut ainsi être intermittente ou très fluctuante.
 

Micro-fabrication additive par dépôt électrolyte de Nickel (Ni). Ce micro-dispositif, conçu et fabriqué au C2N, grapille de l'énergie dans l'environnement humain. La collecte de l’énergie des vibrations produites par les battements du cœur pour alimenter un pacemaker autonome en serait une application concrète.
Micro-fabrication additive par dépôt électrolyte de Nickel (Ni). Ce micro-dispositif, conçu et fabriqué au C2N, grapille de l'énergie dans l'environnement humain. La collecte de l’énergie des vibrations produites par les battements du cœur pour alimenter un pacemaker autonome en serait une application concrète.

Des systèmes sur-mesure

Une réalité qui empêche les systèmes de grappillage d’être produits à la chaîne et de façon générique, ce qui augmente considérablement leur coût. Sans compter que la variété des applications de l’Internet des objets impose différentes contraintes sur les dimensions et la conception des composants.
Enfin, la question de la densité d’énergie subsiste : comment l’obtenir et la conserver dans le plus petit espace possible ? « Chaque microjoule compte, rien ne doit être perdu, poursuit Elie Lefeuvre. Résoudre tous ces défis demande de faire appel aux sciences des matériaux, à la microélectronique ou à l’électrochimie. On ne peut pas réduire indéfiniment la surface utilisée mais, comme nous sommes encore loin des limites physiques, la marge de progrès restante stimule la recherche. »

Ces difficultés n’empêchent en effet nullement le domaine d’avancer et de proposer de nombreuses applications. En plus de ses travaux sur les implants médicaux, Elie Lefeuvre travaille à des applications industrielles et dans le secteur des transports. Il s’agit en particulier de réseaux de capteurs de surveillance, pour savoir si des machines ne chauffent pas trop ou vérifier l’intégrité d’une structure. Ainsi, il a conçu un système de capteurs pour observer l’intégrité structurelle d’ailes d’avions en plein vol, alimenté par les vibrations ambiantes. Les capteurs envoient des ondes acoustiques et communiquent entre eux pour repérer l’apparition de défauts, qui seront scrutés plus en détail après l’atterrissage.
 

Image de microscopie électronique en transmission d'une couche mince d'oxyde thermoélectrique (titanate de strontium dopé au lanthane) fabriquée par épitaxie par jets moléculaires à l'INL.
Image de microscopie électronique en transmission d'une couche mince d'oxyde thermoélectrique (titanate de strontium dopé au lanthane) fabriquée par épitaxie par jets moléculaires à l'INL.

De leur côté, Romain Bachelet et ses collègues étudient des oxydes fonctionnels que l’on peut installer sur le silicium des puces. Ces matériaux cristallins offrent un vaste panel de propriétés de transduction. Parmi elles, la piézoélectricité (la conversion de variations de contrainte mécanique dans le temps en électricité), la pyroélectricité (conversion de variations de température dans le temps en électricité) et la thermoélectricité (conversion de différences de température dans l’espace en électricité). La pyroélectricité peut alimenter des systèmes très compacts, car elle ne nécessite pas de gradient thermique dans l’espace. Un atout qui s’accentue aux échelles nano et micrométriques. La thermoélectricité n’est pas dépourvue d’avantages, mais repose sur l’emploi de tellurures. « Nous devons prendre en compte l’impact environnemental, car certains éléments peuvent être rares ou toxiques, souligne Romain Bachelet. Des solutions de remplacement doivent alors être trouvées. »

Les champs de recherche et d’application du grappillage d’énergie sont particulièrement larges. Le CNRS organise ainsi, le 3 février, un colloque sur le thème « Microénergie pour l’Internet des objets — grappillage, stockage, transmission et gestion ». Elie Lefeuvre, Romain Bachelet et leurs collègues de différents laboratoires y présenteront un vaste état des lieux. ♦

À lire : Inventer l’avenir — L’ingénierie se met au vertMartine Meireles-Masbernat, Laurent Nicolas et Abdelilah Slaoui (dir.), CNRS Éditions, août 2019, 240 p.

À lire sur le site du journal : 
L’Internet des objets doit mieux s'alimenter
Les capteurs tissent leur toile
Les défis de l’Internet des objets
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Centrale Lyon/Insa Lyon/Université Claude-Bernard/CPE Lyon.
  • 2. Unité CNRS/Université Paris-Sud.
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Auteur

Martin Koppe

Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.

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