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La 5G est-elle soluble dans la sobriété ?
Si l’on en croit les opérateurs, le déploiement de la 5G apportera une amélioration phénoménale de la qualité de service et des performances sur les réseaux sans fil. Derrière les promesses, des chercheurs s’interrogent toutefois sur le surcoût énergétique qu’induira cette mise à niveau technologique voulue par l’industrie des télécoms sans forcément être demandée par les utilisateurs.
Une consommation électrique globale en hausse
Selon l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), l’efficacité énergétique des réseaux combinant 4G et 5G dans une zone densément peuplée pourrait être trois fois plus élevée que celle de la 4G seule. Toutefois, selon Anne-Cécile Orgerie, chercheuse à l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires1 (Irisa) et co-auteure d’un rapport sur l’impact énergétique de la 5G au sein du groupement EcoInfo, de tels chiffres sont à prendre avec des pincettes : « Ce que l’on désigne ici comme étant l’efficacité énergétique doit être interrogé. Car, attention, ce sont ici uniquement des puissances théoriques affichées et non les puissances réellement observées », avertit Anne-Cécile Orgerie.
Il faut en effet distinguer l’efficacité énergétique et la consommation globale du réseau. « C’est ce qu’on appelle “l’effet rebond”, explique la chercheuse. Bien que l’équipement proprement dit consomme moins d’énergie par bit traité lorsqu’il est utilisé à pleine puissance, cet équipement absorbe un trafic de données bien plus conséquent. Pour cette raison, la consommation globale ne baisse pas et, bien au contraire, ne fait qu’augmenter, même si le nouveau réseau est plus efficace que l’ancien pour gérer les nouvelles applications. » Bref, l’amélioration des capacités conduit à une augmentation des usages. Ainsi, selon l’Arcep, une antenne 5G peut consommer jusqu’à 19 kilowatts quand une antenne 4G se contente de 7 kilowatts.
Besoin des utilisateurs ou des opérateurs ?
De fait, la 5G diminue considérablement le temps de latence (le temps que met un terminal à établir le contact avec un autre terminal du réseau) et augmente significativement la bande passante, permettant des vitesses de transfert atteignant 20 Gbit/s. Des optimisations qui autorisent le streaming de vidéos en très haute définition, la participation à des visioconférences rassemblant des dizaines de participants, ou à des jeux massivement multijoueurs. La 5G doit également permettre l’essor de ce qu’on appelle l’Internet des objets (IoT), qui selon l’entreprise Cisco connectera à Internet près de 12 milliards de dispositifs électroniques mobiles d’ici 2025 : des montres connectées aux voitures autonomes, en passant par les capteurs de santé et les appareils électroménagers contrôlables à distance.
Reste à savoir si cette course à l’innovation, qui prend le dessus sur un développement raisonné des réseaux, correspond à un réel besoin des utilisateurs. Selon Anne-Cécile Orgerie, « le déploiement de tels réseaux reste minoritaire à l’heure actuelle mais ils tiennent le devant de la scène car ils permettent le développement de technologies de pointe. De fait, les performances théoriques qu’ils affichent incitent à développer des applications toujours plus gourmandes en performances, qu’on n’imaginait pas réalisables, et le marché des mobiles emboîte le pas ».
Un déploiement trop anarchique pour être sobre
« L’efficacité énergétique annoncée est d’autant moins pertinente pour répondre à un plan de sobriété, que les infrastructures réseaux présentent de nombreuses déficiences, poursuit la chercheuse. Tant sur le plan de la propagation des ondes que de la cohérence du déploiement de ces infrastructures. » Pour l’instant, les antennes 5G à très haut débit ont un rayon de couverture 10 à 50 fois moins étendu que celui permis par les antennes 4G. En effet, plus le débit fourni est élevé, plus l’atténuation du signal est forte avec la distance. À cela s’ajoute la mauvaise propagation dans les espaces intérieurs des ondes exploitées pour la 5G. Les opérateurs n’ont donc pas d’autre choix que de multiplier le nombre d’antennes pour garantir de bonnes performances, démultipliant par conséquent la consommation énergétique globale du réseau. « Une étude suédoise a montré que les modules 5G atteignent actuellement une efficacité d’environ 1 Mbit/joule, loin des 10 Mbits/joule proclamées et très loin des quelques térabits/joule théoriquement atteignables en technologie mobile. Cela illustre parfaitement la différence entre les performances théoriques annoncées et celles mesurées en condition réelle », note Anne-Cécile Orgerie.
La consommation électrique pourrait par ailleurs être mieux contrôlée par une meilleure politique de répartition des infrastructures sur le territoire. « Le déploiement d’un nouveau réseau ne correspond pas à une substitution, précise Anne-Cécile Orgerie. On ne fait qu’empiler au fur et à mesure des infrastructures de plus en plus énergivores sans qu’il n’y ait de réelle coordination dans l’utilisation des différents réseaux qui possèdent chacun leur propre standard. » En effet, chaque réseau possédant un système standard différent, les mobiles fonctionnant sur la 2G, 3G et 4G deviennent obsolètes sur les nouveaux réseaux. Si les mobiles 5G peuvent également fonctionner sur les anciens réseaux, l’inverse n’est pas possible. Ces processus de conception empêchent de travailler sur d’éventuels systèmes hybrides pouvant participer à une économie d’énergie : « Les ingénieurs pourraient envisager de garder un standard commun afin que les utilisateurs d’anciennes générations puissent utiliser le réseau 5G pour des applications communes, confie la chercheuse. Mais cela impliquerait de s’arrêter à cette génération et de se concentrer uniquement sur l’amélioration de celle-ci au lieu de changer sans cesse. Évidemment, pour des raisons économiques, ce n’est ni la stratégie des opérateurs ni celle des fabricants de smartphones ». ♦
À lire sur notre site
À quoi sert la 5G ? (entretien avec Philippe Owezarski).
- 1. Unité CNRS/Université de Rennes 1.
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Auteur
Kyrill Nikitine est auteur journaliste indépendant. Il écrit notamment pour Télérama, Science & Vie, La Revue des Deux Mondes, We Demain, et Le Débat Gallimard.
Il est l'auteur du Chant du derviche tourneur (2012), récit en prose.
Commentaires
Bonjour, merci pour cet
Optrolight le 30 Novembre 2022 à 09h37Le digital fonctionne en
JPdu63 le 9 Février 2024 à 13h21Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS