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Sciences : dans la forge des mots nouveaux

Sciences : dans la forge des mots nouveaux

20.11.2025, par
Temps de lecture : 7 minutes
Planète vagabonde, gaz à effet de serre, base de données, infox, IA générative… Le Journal officiel publie régulièrement des listes de nouveaux termes, notamment scientifiques et techniques, avec leur définition. Mais quelle logique se cache derrière leur sélection ?

Quand un nouveau mot est-il publié au Journal officiel ? 

François Ravetta1 Il y a constamment de nouveaux mots qui sont créés et qui apparaissent sur Internet ou dans des langues étrangères. C’est en particulier vrai dans les domaines de la technologie et des sciences. Certains nouveaux mots sont d’ailleurs repris dans le vocabulaire scientifique avant même de paraître au Journal officiel.

Les listes de nouveaux mots sont d’abord soumises par des collèges d’experts à la Commission d’enrichissement de la langue française, dont je fais partie. Notre commission intervient au moment de retenir tel ou tel mot inscrit sur ces listes. Même si beaucoup de membres de la Commission sont compétents dans des domaines comme les langues, les sciences, ou encore les technologies, notre rôle n’est pas d’apporter un regard expert sur les mots soumis à notre appréciation. Je nous vois plutôt comme des « candides », car nous sommes là pour représenter la société civile, débattre avec les experts, nous interroger sur la pertinence de la traduction d’un mot et sur son usage.

Une fois un nouveau mot publié au Journal officiel, son usage devient obligatoire dans les administrations et les établissements de l’État.

Une fois un nouveau mot publié au Journal officiel, son usage devient obligatoire dans les administrations et les établissements de l’État. Cette traduction est parfois indispensable afin que les professionnels puissent communiquer dans leur langue natale de façon précise. Elle est aussi utile pour les traducteurs afin qu’ils traduisent correctement en français les textes techniques et pour que les citoyens s’approprient ces réalités dans leur langue.

À quels défis vous heurtez-vous dans ce travail de traduction ?

F. R. La majorité des nouveaux mots qui sont soumis à notre commission proviennent aujourd’hui de l’anglais. Un des enjeux que nous avons avec les termes en anglais est de concilier la concision de la langue et la justesse de la traduction.

La question s’est récemment posée pour la traduction de « fake news ». La traduction littérale pencherait pour le mot « fausse nouvelle ». Or le mot « fake news » comprend seulement qu’une information est fausse, mais pas qu’elle a été détournée à une autre fin. Une « fake news » est en effet une publication conçue pour tromper le lecteur qui imite la structure d’un article de presse et comporte à la fois des renseignements erronés et des renseignements véridiques dans le but de biaiser le débat public.

En fin de compte, même si le terme « information fallacieuse » était plus juste, nous ne l’avons retenu que comme synonyme d’« infox » pour la traduction française. « Fallacieux » est d’un usage soutenu, il risquait de n’être utilisé que par une partie de la société civile. Le terme « infox » est plus court et plus percutant. Il entre aussi en résonance avec « intox », qui existe déjà en français.

Je prends un autre exemple avec le terme anglais « token » : les informaticiens aiment bien utiliser ce terme qui désigne une suite de lettres et de chiffres créée par un ordinateur, et qui permet d’authentifier un utilisateur ou une machine sans transmettre de mot de passe. Ce terme peut paraître a priori compliqué pour un novice. Alors qu’il suffit de donner son équivalent en français, à savoir « jeton », pour le démythifier pour un non-anglophone. Un jeton, dans un jeu, agit en effet comme un objet symbolique qui donne un droit d’accès ou une valeur d’usage.

Nous ne nous rendons pas compte que nous rendons certains concepts compliqués par manque de traduction, alors qu’il est important que nos concitoyens comprennent ce sur quoi nous travaillons.

Qu’est-ce qui fait que vous choisissez un mot plutôt qu’un autre ?

F. R. En amont, tout un travail est réalisé. Les mots sont d’abord sélectionnés par un groupe d’experts spécialistes dans leur discipline, qui les soumettent à la Commission. Nous travaillons avec des terminologues, dont certains sont au CNRS, qui nous préparent des dossiers et de la documentation sur les mots qui seront également examinés par l’Académie française (lire « Un travail de documentation indispensable », en bas de page). Mais c’est notre commission qui donne un avis final avant la publication des mots au Journal officiel de la République française.

Trouver la bonne traduction pour un mot, c’est souvent essayer de trouver le juste équilibre entre l’exactitude scientifique, l’usage commun et les règles grammaticales.

Trouver la bonne traduction pour un mot, c’est souvent essayer de trouver le juste équilibre entre l’exactitude scientifique, l’usage commun et les règles grammaticales. Un terme sur lequel nous avons beaucoup débattu est celui de « Mpox », qui désigne la variole du singe. L’Organisation mondiale de la santé préconise l’usage du terme « Mpox » (pour « Monkey pox »), mais nous souhaitions éviter le caractère stigmatisant du terme variole du singe, par ailleurs scientifiquement mal étayé. Nous avons finalement proposé la traduction « variole de type 2 », qui nous semblait moins discriminante.

Quels sont les principaux enjeux actuels auxquels est confronté le vocabulaire scientifique ?

F. R. Il y a tout un enjeu de corpus scientifique à constituer dans toutes les langues. La constitution de ce corpus se pose de plus en plus à l’heure de l’intelligence artificielle, car cette technologie a tendance à reprendre les mots issus de l’anglais.

Si nous ne faisons pas cet effort de traduction, nous tirons vers un monolinguisme en sciences. Or le plurilinguisme est indispensable à la richesse de la connaissance. Il faut comprendre qu’une langue véhicule avec elle une façon de concevoir le monde, ce qui rend d’autant plus essentiel cet effort de traduction.

En général, un chercheur fera preuve d’une plus grande finesse d’analyse en maniant des concepts dans sa langue natale. Il faut donc que le concept qu’il utilise et qu’il introduit dans sa pensée existe dans sa langue natale, quand bien même ce concept serait issu d’une langue étrangère.

C’est particulièrement vrai pour les disciplines des sciences humaines et sociales, pour lesquelles il est souvent indispensable de travailler dans la langue du pays – lors d’entretiens avec la population, par exemple. Dans les sciences de la nature, les chercheurs peuvent aussi perdre en précision, voire utiliser un jargon pour des raisons de facilité, avec le risque de se couper du grand public. D’une manière générale et pour le bénéfice du plus grand nombre, les résultats de nos travaux de recherche doivent être accessibles et compréhensibles en français afin de favoriser la dissémination des connaissances scientifiques. 
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Un travail de documentation indispensable

« Le choix de la soumission d’un nouveau mot sur la liste est avant tout un choix collectif », assure Benjamin Fagard, directeur de recherche au Centre d’analyse et de mathématiques sociales2 et expert en linguistique auprès de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) depuis 2018. À la demande des collèges d’experts thématiques (sport, automobile, droit, nucléaire, etc.) de cette délégation, il documente entre 100 et 150 mots par an.

« En 2024, nous comptabilisons environ 500 pages de travaux avec mon équipe, explique-t-il. Pour documenter un mot, je commence par consulter les bases de données terminologiques, s’il a déjà été traduit dans d’autres pays, par exemple. Je vérifie aussi s’il a déjà été retenu par les dictionnaires d’usage courant. J’utilise toute une série d’outils sur Internet afin de vérifier la fréquence d’usage, en langue française et dans d’autres langues étrangères. Je regarde aussi l’évolution de l’utilisation d’un mot dans le temps. »

Les listes de mots ainsi documentés sont ensuite soumises à la Commission d’enrichissement de la langue française pour discussion. Les collèges peuvent s’autosaisir, mais aussi être saisis par n’importe quel citoyen ou citoyenne. Il suffit pour cela d’envoyer sa requête pour examiner un mot sur le site France Terme, où se trouve une section « boite à idées »3.

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La base France Terme des termes scientifiques et techniques

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Notes
  • 1. François Ravetta est membre de la Commission d’enrichissement de la langue française et chercheur au Laboratoire atmosphères et observations spatiales (Latmos, unité CNRS/Sorbonne Université/Université Versailles Saint-Quentin).
  • 2. Cams, unité CNRS/EHESS.
  • 3. Voir https://www.culture.fr/franceterme