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Un futur plus vert pour le Sahel

Un futur plus vert pour le Sahel

02.05.2016, par
Grande Muraille Verte
Champs d’oignons alimentés en eau grâce à des puits dans le village côtier de Potou, grand centre maraîcher de la région de Louga, à l’ouest du Sénégal.
Rencontre avec la chercheuse Deborah Goffner, à l’origine de l’ambitieux projet « Future Sahel ». Ce projet, débuté en février par une traversée d’ouest en est du Sénégal, s’inscrit dans le cadre de la Grande Muraille verte, qui a pour vocation de lutter contre la désertification de la zone saharo-sahélienne.

Voici quelques années encore, l’univers scientifique de Deborah Goffner tenait entre blouse blanche et pipettes. En 2012, cette directrice de recherche au CNRS1 décide, sans que rien ni personne ne l’y oblige, d’opérer un revirement spectaculaire dans sa carrière : après des années de travail, fécondes et reconnues, en biologie moléculaire végétale, elle se risque sur le terrain de l’écologie végétale. Quatre ans plus tard, cette souriante quinqua, entourée d’une équipe de onze scientifiques aux spécialités multiples, preuves vivantes du caractère interdisciplinaire de la démarche, est à la tête d’un projet de recherche financé à hauteur de plus de 280 000 euros par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Petite anecdote, elle assure que cette rencontre « doit tout » à CNRS Le journal, dans lequel elle a découvert l’existence des Observatoires hommes-milieuxFermerInitiés par l’Institut écologie et environnement du CNRS (Inee), les Observatoires hommes-milieux ont pour vocation d’étudier les conséquences d’actions anthropiques importantes sur les écosystèmes et sur les populations. internationaux (OHM.I), dont celui de Téssékéré (Sénégal), dirigé par l’anthropologue Gilles Boëtsch depuis sa création.

Le nom de baptême du projet de recherche, « Future Sahel », donne la mesure de son ambition. Il englobe et dépasse les travaux engagés dans le cadre de l’OHM.I, né en 2009 en corrélation avec le projet panafricain de la Grande Muraille verte (GMV). Lancée par onze chefs d’État du continent africain, l’idée d’une Grande Muraille verte traversant l’Afrique du Sénégal à Djibouti et visant à lutter contre la désertification du Sahel progresse à pas lents. De tous les pays concernés, le Sénégal est sans conteste l’un des pays les plus moteurs. La force et la nouveauté de Future Sahel sont d’impliquer à la fois l’Unité mixte internationale du CNRS (ESS)2 implantée à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, pilier de l’OHM.I, et les promoteurs politiques de la Grande Muraille verte, dont l’Agence nationale de la GMV au Sénégal, qui figure à part entière parmi les partenaires du projet ANR. « Future Sahel ambitionne de fournir des connaissances conceptuelles et expérimentales, un apport qui puisse servir au bien-être des populations sahéliennes grâce au vecteur de transformation que représente la Grande Muraille verte », résume Deborah Goffner.

Grande Muraille Verte
Deborah Goffner discute avec le capitaine Sall, agent des eaux et forêts du Sénégal, dans la pépinière de Ranérou.
Grande Muraille Verte
Deborah Goffner discute avec le capitaine Sall, agent des eaux et forêts du Sénégal, dans la pépinière de Ranérou.

Outre l’expertise basée en Afrique, dont celle, majeure, d’Aliou Guissé, professeur en écologie végétale et codirecteur de l’OHM.I Téssékéré, la chercheuse s’est adjoint les compétences de deux scientifiques dont les domaines d’expertise donneront une dimension nouvelle aux travaux engagés jusqu’à présent autour de la GMV : le géographe Jean-Luc Peiry, qui dirige le Laboratoire de géographie physique et environnementale3, et l’écologue Line Gordon, du Centre de résilience de l’université de Stockholm, dont les travaux portent précisément sur la résilience des écosystèmes grâce à une gestion durable des ressources naturelles. Line Gordon fera bénéficier le projet de son expérience menée au Sud Niger, en Tanzanie ou encore en Afrique du Sud. En outre, cette alliance avec Stockholm a le mérite de réunir en un même projet les terrains scientifiques de Deborah Goffner qui, de fait, partage sa vie entre le Sénégal et la Suède.

Cette aventure scientifique a commencé en février 2016 par une expédition inédite : la traversée d’ouest en est du Sénégal en suivant le tracé de la GMV. Un road trip de dix jours mené à six chercheurs avec GPS, boîtes de conserve, café soluble à gogo et logement chez l’habitant ou dans les « bases » du service des eaux et forêts du Sénégal. Une « mission exploratoire » dont Deborah Goffner et ses compagnons de science se souviendront probablement comme le coup d’envoi du projet véritablement intitulé : « Approches multi-échelles pour un meilleur management des ressources au Sahel, dans le contexte de la Grande Muraille verte ». Un coup d’envoi réussi, comme nous l’explique la chercheuse, de retour de mission.

Quel était l’objectif de cette mission exploratoire ?
Deborah Goffner : Depuis que je suis partie prenante du projet de la Grande Muraille verte à travers l’Observatoire hommes-milieux, j’ai toujours vu cette grande muraille projetée sur une carte, s’incarnant dans une grande ligne verte qui traverse le continent africain. Je me suis souvent interrogée sur ce que recouvrait vraiment cette « ligne », sur ses aspects biophysiques, humains. Ce tracé vert qui traverse l’Afrique donne d’ailleurs une fausse idée de la réalité de la GMV : il s’agit plutôt de « taches » vertes qui ne sont pas ­reliées entre elles. Nous circulons beaucoup dans le Ferlo (région de Téssékéré), mais je n’avais jamais effectué une traversée avec un objectif d’observation systématique. Or, si l’on veut prendre la bonne décision, faire de la bonne gestion des ressources naturelles, il faut comprendre intimement les systèmes socio-écologiques des zones d’intervention de l’Agence nationale de la GMV. C’était cela l’objectif de la mission exploratoire : parcourir les 545 kilomètres de la Grande Muraille verte au Sénégal, d’ouest en est.

J’ai découvert
des choses
que j’ignorais, comme ce jardin maraîcher
de 5 hectares,
à Koyli Alpha,
où travaillent près
de 160 femmes.

Qu’est-ce qui vous a surprise, vous qui connaissiez déjà le terrain ?
D. G. : Ce qui m’a le plus surprise, c’est la diversité des systèmes socio-écologiques. À l’ouest, nous avons découvert des paysages plutôt riants, avec un accès à l’eau abondant, des champs d’oignons, de tomates. Une cinquantaine de kilomètres plus loin et nous basculions dans des zones sylvopastorales, sans aucun maraîchage, où les habitants sont dépendants à 100 % de l’élevage pour leurs revenus. Pour maximiser notre mission, chacun d’entre nous s’était vu assigner une tâche en fonction de ses compétences en écologie végétale, en géographie, en hydrologie, en sociologie, etc. Nous devions chacun réunir un maximum d’observations. Nous avons également interrogé un grand nombre de gens : les notables dans chaque village, des représentants des ONG quand elles étaient présentes, des agriculteurs, des agents de la GMV, etc.

L’ensemble des observations réalisées ainsi que les informations glanées dans les entretiens étaient consignés chaque soir sur un paper board. Le regard différent que chacun d’entre nous portait sur le terrain nous a permis de croiser un grand nombre d’informations. J’ai le sentiment d’avoir découvert des choses que j’ignorais. Comme ce jardin maraîcher, à Koyli Alpha, qui s’étend sur 5 hectares, dont deux d’arbres fruitiers, où travaillent près de 160 femmes. Les résultats en termes de production sont remarquables et commencent à changer la vie des familles qui bénéficient d’une production à proximité et nettement moins chère qu’au marché.

Grande Muraille Verte
Jardin communal de fruits et légumes à Koyli Alpha.
Grande Muraille Verte
Jardin communal de fruits et légumes à Koyli Alpha.

Cette mission exploratoire vous a-t-elle d’ores et déjà permis de nourrir votre projet ?
D. G. : Ce voyage de repérage nous a permis de poser de premiers jalons. Notamment pour la base de données qui décrira la diversité des systèmes socio-écologiques que j’évoquais à l’instant. Certains sont à dominante agricole, d’autres agro-sylvopastorale ou encore pastorale. Nous réunirons dans la base les données déjà connues, recensées et compilées dans les archives du Sénégal ainsi que celles que nous allons nous-mêmes produire. Cet ensemble sera spatialisé dans un système d’information géographique (SIG). La mission nous en a donné un premier aperçu. Notre ­deuxième axe visant à maximiser la biodiversité qui peut être obtenue sur la Grande Muraille verte, la mission nous a permis d’identifier le lieu où nous allons créer une nouvelle parcelle expérimentale. Elle sera située dans le bourg de Ranérou et ses caractéristiques seront très différentes de celles de la première de nos parcelles, créée en 2013 tout près de Widou, où se trouve la base de l’OHM.I. Nous y avons planté une dizaine d’espèces indigènes et suivons la régénération naturelle. Plusieurs arbres sont également équipés de capteurs qui enregistrent leur humidité relative. À terme, l’objectif est de comprendre l’impact du reboisement sur le climat global. C’est une sorte de laboratoire expérimental à ciel ouvert, clôturé bien sûr afin d’empêcher les animaux d’y pénétrer. Les éleveurs peuls, qui possèdent des milliers de têtes de bétail, possèdent en effet des petits ruminants dont ils font le commerce. Comme je l’indiquais précédemment, le tracé recouvre des zones éco-géographiquement dif­férentes avec des pluviométries variables par exemple. Il est donc essentiel que nos expérimentations soient ­représentatives de cette réalité physique.

L’idée est
de valoriser
le potentiel du
dattier du désert,
comme le Maroc
l’a fait avec l’argan
ou le Burkina
avec le karité.

Vous avez également commencé à identifier les ressources naturelles à fort potentiel économique pour la région.
D. G. : Sur la base de notre mission, nous sommes effectivement en train de dessiner une carte qui montre la distribution relative d’un des arbres qui domine le paysage local, le Balanites aegyptiaca, que l’on appelle communément le dattier du désert. L’idée est de valoriser le potentiel économique de cette espèce très robuste, comme le Maroc a été capable de le faire avec l’argan ou le Burkina avec le karité. Ces espèces fruitières indigènes de l’Afrique sont sous-exploitées. Les fruits du Balanites contiennent un noyau dont on peut extraire une huile qui est utilisée dans l’alimentation, mais aussi dans la fabrication des cosmétiques.

Nous souhaitons apporter notre expertise scientifique pour améliorer la sélection et la domestication de l’espèce afin de parvenir à une production importante des fruits dont la commercialisation est pour l’instant très informelle. Une production de qualité tout au long de l’année est essentielle pour créer une filière économique. Mais le Balanites n’est qu’un exemple.

Grande Muraille Verte
Commerce de fruits de « Balanites aegyptiaca », ou dattier du désert, au marché local de Widou au Sénégal.
Grande Muraille Verte
Commerce de fruits de « Balanites aegyptiaca », ou dattier du désert, au marché local de Widou au Sénégal.

Vous avez placé l’avenir des populations au cœur de votre projet.
D. G. : Future Sahel doit vraiment s’entendre au sens littéral. Nous voulons nous projeter dans l’avenir. Le Sahel ne se transformera pas en un jardin d’Eden et nous ne sommes pas des marchands d’illusion, mais nous pensons que nos recherches doivent être mises au service des populations. C’est pourquoi il est très important à mes yeux que l’Agence nationale de la GMV soit partenaire du projet. Il me semble que ce qui est original dans Future Sahel, ce sont non seulement les objectifs scientifiques propres, mais aussi la volonté de réaliser du co-design et de la co-production des connaissances avec les habitants ainsi qu’avec ceux qui sont en charge du développement de ce territoire. La dimension de la participation des populations est essentielle. Nos ­résultats doivent être directement transposables dans les protocoles de reforestation et dans les actions sur le terrain.

Le quatrième volet du projet, qui porte sur la prise de décision, est sans doute le plus novateur.
D. G. : La collaboration que nous mettons en place avec le Centre de résilience de l’université de Stockholm a justement pour objet d’établir un cadre conceptuel de prise de décision solide et pertinent pour un grand projet de développement comme celui de la Grande Muraille verte. Comment prendre les bonnes décisions au bon endroit ? Que devons-nous prendre en compte ? Le Sahel a connu beaucoup de projets de développement. Quels sont les dénominateurs communs de leurs succès et de leurs échecs ? Nous voulons identifier les services éco-systémiques4 durables et équitables pour les populations. Les chercheurs sont de nouveaux acteurs dans le paysage : nous devons apporter nos connaissances et nos méthodes scientifiques pour orienter le développement de la Grande Muraille verte dans la bonne direction.

Notes
  • 1. Unité mixte internationale Environnement, santé, sociétés (CNRS/CNRST/Ucad/UGB/USTTB).
  • 2. Unité mixte internationale Environnement, santé, sociétés (CNRS/CNRST/Ucad/UGB/USTTB).
  • 3. Unité CNRS/Univ. Blaise Pascal Clermont-Ferrand/Univ. de Limoges.
  • 4. Les services éco-systémiques sont des services rendus par la nature et qui contribuent aux activités humaines essentielles comme l’alimentation, l’énergie, l’accès à l’eau, etc.

Commentaires

1 commentaire

Socio-anthropologue à l’IRD, spécialiste des dynamiques agraires et du foncier au Sahel, je suis assez sidéré par cet article. La Grande Muraille Verte suscite déjà en elle-même de nombreuses interrogations : l’idée de barrière verte contre le désert est assez éculée ; on voit bien l’opération de communication, l’opportunité de créer une Agence et des postes, de légitimer des projets de recherche centrées sur les sols et la biologie… beaucoup moins ce à quoi peut correspondre en pratique cette idée de « muraille » sur le terrain. Mais que le Journal du CNRS mette en avant comme exemple remarquable de recherche le tourisme scientifique d’une biologiste moléculaire découvrant le terrain africain dans une naïveté absolue et une méconnaissance radicale de l’état des connaissances laisse pantois. La diversité agroécologique du Sahel et du Sénégal est une évidence, la dynamique des jardins maraîchers est connue de longue date, a fait l’objet de multiples recherches, de même que les expériences de régénération assistée. Il y a – peut-être – des problèmes de biologie moléculaire sur certaines plantes justifiant de mobiliser les grandes compétences de Mme Goffner. Je serais heureux d’en apprendre sur ce sujet. Mais prétendre « mettre ses recherches au service des populations » en semblant ignorer le B-A-BA de la connaissance sur les dynamiques écologiques et agronomiques du Sahel, affirmer que « le chercheurs sont des nouveaux acteurs dans le paysage » en déni du capital de connaissances accumulé depuis des décennies par les chercheurs africains et européens, vouloir contribuer « à prendre les bonnes décisions au bon endroit » en ignorant tout des institutions, des politiques, de l’expérience, ce n’est tout simplement pas sérieux.
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