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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Escroqueries téléphoniques : peut-on déjouer les arnaques ?
05.02.2025, par Eva Raiber, Timothée Vinchon
Mis à jour le 05.02.2025

Avez-vous déjà hésité face à un SMS vous rappelant de régler une facture impayée ? Ou un message qui prétend venir de votre banque, vous demandant de mettre à jour vos informations personnelles ? En se penchant sur le cas du Kenya, les chercheurs en économie Elif Kubilay, Eva Raiber, Lisa Spantig, Jana Cahlíková et Lucy Kaaria, ont étudié la capacité des individus à déceler les tentatives de fraude.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.
 

Selon un rapport de l’International Telecoms Week Global Leaders' Forum de 2017, qui regroupe les principaux opérateurs mondiaux, les arnaques téléphoniques coûtent 17 milliards de dollars par an à l’industrie des télécoms. Bien qu’il n’existe pas de chiffre au niveau mondial sur les utilisateurs, une étude menée par Truecaller, une société spécialisée dans les applications de filtrage d’appels, estime que ces escroqueries ont fait perdre aux Américains 29,8 milliards d’euros en 2021.

 

Si les opérateurs ont mis en place des équipes de détection et de prévention, et si les particuliers sont sensibilisés au risque, ce fléau reste omniprésent. Rien ne semble pouvoir les éradiquer. Les économistes Elif Kubilay, Eva Raiber, Lisa Spantig, Jana Cahlíková et Lucy Kaaria se sont intéressés à la capacité des individus à identifier les tentatives de fraude par SMS et à l’efficacité de la sensibilisation aux arnaques, en se concentrant sur le Kenya.

Au Kenya, le portable est roi

Pourquoi le Kenya ? Le pays est l’eldorado africain de la « tech ». Dans la capitale Nairobi, surnommée la « Silicon Savannah », tout se commande et se paie grâce à son téléphone : taxi, courses, vêtements, etc. Le pays est aussi le berceau de M-pesa, un système de paiement en ligne largement adopté à travers le pays et dans plusieurs pays voisins. À ce jour, 96 % des ménages kényans possèdent un compte de « mobile money »1

Des clients utilisent les services M-pesa dans un kiosque du Toi Market, un marché en plein air et l'endroit préféré pour acheter des articles d'occasion, des vêtements, des chaussures ou simplement des fruits et légumes frais à Nairobi.

Toutefois, l’une des particularités du pays est la faible présence du smartphone. Selon les statistiques de l’Autorité des Communications (CA), le Kenya comptait fin 2023, 30,8 millions de smartphones actifs, soit un taux de pénétration de 60,9 % des 62,9 millions de téléphones mobiles connectés au réseau. Les « feature phones », qui permettent un accès basique à Internet, représentent 63,5 % du total des téléphones mobiles.

Cependant, cette prospérité numérique dissimule une réalité sombre : les escroqueries téléphoniques. Une enquête menée auprès des utilisateurs de services financiers numériques dans le pays révèle que 56 % des répondants déclarent avoir été contactés par des escrocs au cours des six derniers mois, principalement par téléphone. Cette forme de fraude est un des principaux défis en matière de protection des consommateurs dans le pays. Elle affecte leur portefeuille, mais aussi leur santé mentale, provoquant stress et dépression2 et plus globalement la perte de confiance dans les services financiers3. La honte et la culpabilité empêchent souvent les victimes de signaler les escroqueries, sous-estimant leur ampleur. 

Difficile de distinguer le vrai du faux

Il est impossible de connaître tous les types de fraudes et la différence entre les offres « authentiques » et les arnaques est parfois difficile à reconnaître4. Pour mieux comprendre comment les participants identifient les messages frauduleux, les chercheurs ont mené une enquête en ligne, recrutant 1000 participants kényans, représentatifs en termes de genre, âge et lieu de résidence. Ils ont été confrontés à des messages d’arnaques ou des messages officiels d’opérateurs financiers. Ils devaient indiquer si le message était une arnaque ou non, et évaluer leur confiance dans leur réponse. La moitié des participants ont reçu des conseils sur la manière de repérer les arnaques. Il s’agit de conseils courants diffusés par les fournisseurs de téléphonie mobile et les banques dans le cadre de leurs campagnes de sensibilisation : se méfier des numéros inconnus, repérer les fautes d’orthographe, rappeler que la banque ne demandera jamais votre code ou mot de passe, etc.

Un client utilise son téléphone pour effectuer un paiement au Toi Market, un marché en plein air et l'endroit préféré pour acheter des articles d'occasion, des vêtements, des chaussures ou simplement des fruits et légumes frais à Nairobi, au Kenya.

Au final, 71 % des messages ont été correctement identifiés. Curieusement, les conseils n’ont pas amélioré la capacité des participants à détecter les fraudes. Les participants étaient plus susceptibles d’identifier correctement les messages frauduleux, mais moins susceptibles d’identifier les messages authentiques. Les chercheurs attribuent ce phénomène à une sorte d’excès de prudence, une « surprécaution » : face à la peur de tomber dans le piège des escrocs, de nombreux participants ont classé des messages légitimes comme frauduleux. Les chercheurs interprètent aussi cette réaction en raison de la présence dans les messages légitimes, de fautes de frappe, d’erreurs de grammaire, d’expéditeurs inconnus et de liens raccourcis, habituellement associés aux messages frauduleux. 

L’application des conseils pratiques dépend aussi de divers facteurs tels que l’éducation et l’expérience des utilisateurs. Un niveau d’éducation plus élevé et l’utilisation courante de services financiers numériques se trouvent associés à une meilleure capacité à identifier les escroqueries. Une plus grande familiarité avec les différents types de services et transactions financières en ligne rend plus vigilants et moins susceptibles de tomber dans le piège des escrocs.

Mais alors que faire ?

L’étude questionne l’efficacité des campagnes de sensibilisation et de prévention de la fraude. Pour réduire le nombre de victimes, les chercheurs recommandent une approche plus nuancée, incluant notamment une communication plus ciblée, des messages réguliers informant des dernières tactiques de fraude et l’expérimentation de nouvelles stratégies de prévention.

Kiosques M-pesa le long de la voie ferrée dans le bidonville de Kibera, Nairobi, Kenya

Si les escrocs sont toujours plus astucieux pour déjouer les barrières des opérateurs téléphoniques ou des autorités, la connaissance des dernières techniques d’arnaques reste également un bon réflexe. Par exemple, le site Numerama propose un tour d’horizon des escroqueries les plus répandues, et quelques clés pour les repérer. Des solutions technologiques, telles que la double authentification, particulièrement avec les smartphones, peuvent aider à se protéger. Au Kenya, le gouvernement mise notamment sur la production locale de smartphones à bas coût. L’opérateur Safaricom a annoncé le lancement d’une usine de montage qui devrait fournir plus d’un million de smartphones par an.

Face à des escrocs toujours plus inventifs, les nouvelles stratégies de prévention doivent s’appuyer sur une étude approfondie des comportements des utilisateurs pour être efficaces.

Référence 

Kubilay, E., Raiber, E., Spantig, L., Cahlíková, J., Kaaria, L. 2023. « Can you spot a scam? Measuring and improving scam identification ability. Journal of Development Economics », 165, 103147. Int.

Notes

1. Tavneet S., William J., 2016. « The long-run poverty and gender impacts of mobile money » Science 354 (6317), 1288-1292.
2. DeLiema M., Deevy M., Lusardi A., Mitchell O., 2020. « Financial fraud among older Americans: evidence and implications ». J. Gerontol. Ser. B Psychol. Sci. Soc. Sci. 75 (4), 861–868.
3. Gurun U. G., Stoffman N., Yonker S. E., 2017. «Trust busting : The effect of fraud on investor behavior ». Rev. Financ. Stud. 31 (4), 1341 – 1376.
4. Chen Y., YeckehZaare I., Zhang A.F., 2018.« Real or bogus: predicting susceptibility to phishing with economic experiments». Plos One 13 (6), e0198213; Burke J., Kieffer C., Mottola G., Perez-Arce F., 2022. « Can educational interventions reduce susceptibility to financial fraud?». J. Econ. Behav. Organ. 198, 250–266.