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« Ce que nous lègue Yves Chauvin »
Yves Chauvin restera pour ceux qui l’ont côtoyé un puits de science d’une très grande modestie, plein de créativité et d’inventivité. Combien de fois avons-nous entendu de jeunes chercheurs ragaillardis dire pour renforcer leur argumentation : « J’en ai parlé à M. Chauvin », « M. Chauvin est d’accord avec cela. » Car il a été longtemps l’expert français de la catalyse homogène pour l’industrie, à un moment où seule la catalyse hétérogène était présente. La proximité qu’il entretenait avec les jeunes scientifiques rendait les contacts et les discussions fructueux. Yves Chauvin aimait aussi, en petit comité, tester ses idées sur ses interlocuteurs et cherchait toujours à apprendre d’eux. Il était avide de nouveautés et, récemment encore à Tours, il regardait les journaux scientifiques à la recherche de nouvelles découvertes qui pourraient changer le monde ou résoudre ce qu’il n’avait pas réussi à faire. Il associait avec succès recherche fondamentale et recherche appliquée, dont il se plaisait à dire qu’elles ne faisaient qu’une.
Une réaction majeure en pétrochimie
Yves Chauvin a compris et publié en 1971 le mécanisme de la métathèse des oléfines. C’est ce travail fondamental, réalisé à l’Institut français du pétrole (IFP), qui l’a conduit à obtenir le prix Nobel de chimie en 2005. La métathèse des oléfines est une réaction catalytique majeure qui s’est développée industriellement à partir des années 1960. Elle a d’abord permis la transformation à basse énergie de molécules dérivées du pétrole en grands intermédiaires pour l’industrie. Elle permet aujourd’hui la préparation, à moindre coût, de molécules et matériaux à plus haute valeur ajoutée : des polymères techniques à propriétés multiples, comme des polyamides issus de la biomasse ou des polymères utilisés dans diverses activités sportives, des matériaux moléculaires comme pour la réflexion de la lumière, mais aussi des médicaments, des tensioactifs et des dérivés de produits naturels pour l’industrie des cosmétiques. Les applications de cette réaction sont maintenant multiples et nécessitent la création de catalyseurs toujours plus efficaces.
Une découverte passée inaperçue
Pendant près de vingt ans, le mécanisme de la métathèse des oléfines n’a pas été compris, si bien que ses catalyseurs ne pouvaient être améliorés de façon rationnelle. La découverte révolutionnaire d’Yves Chauvin en 1971 sur la catalyse de métathèse faisait intervenir des intermédiaires qu’on appelle métal-carbène. Ces derniers venaient d’être mis en évidence par E. O. Fischer, en 1963, à Munich. Yves Chauvin, qui suivait toutes les grandes avancées scientifiques, a alors pensé que ces espèces pouvaient intervenir en catalyse homogèneFermerDans une catalyse homogène, le catalyseur et les réactifs ne forment qu’une seule et même phase, contrairement à la catalyse hétérogène, où le catalyseur est facilement séparable des réactifs..
associait avec
succès recherche
fondamentale
et recherche
appliquée, dont
il se plaisait
à dire qu’elles ne
faisaient qu’une.
Les scientifiques du monde entier ont toutefois ignoré pendant plusieurs années le mécanisme d’Yves Chauvin jusqu’à ce qu’un jeune professeur américain de l’université Madison (Wisconsin), Charles Casey, en démontre l’intérêt. Dès lors, tout s’est emballé ! De nouveaux catalyseurs très efficaces ont été préparés, notamment par Richard R. Schrock, avec des dérivés du molybdène, puis par Robert H. Grubbs, avec des dérivés du ruthénium – deux chercheurs qui ont partagé le prix Nobel avec Yves Chauvin en 2005. Ces nouveaux catalyseurs ont ouvert de nouvelles applications tous azimuts pour les médicaments et les matériaux polymères.
Un chercheur prolifique
Yves Chauvin ne s’est pas arrêté à sa découverte sur la métathèse. À l’IFP, il avait pour mission de trouver de nouveaux catalyseurs homogènes à base de métaux pour des procédés industriels permettant la valorisation des produits du pétrole, un domaine traditionnellement réservé à la catalyse hétérogène. Il a ainsi développé les procédés Dimersol et Alphabutol, qui transforment par catalyse organométallique de petites oléfines en de plus grandes. Ces procédés, que l’IFP a pu transférer en unités de production sur de nombreux sites pétrochimiques, augmentent l’indice d’octane des carburants et sont utilisés dans la fabrication de plastifiants. Il a par la suite continué à explorer des processus de catalyse permettant une meilleure sélectivité des réactions et un recyclage aisé du catalyseur. Sa contribution scientifique pionnière marque encore ce domaine. Il est remarquable qu’une centaine d’unités de production industrielle dans le monde entier fonctionnent sur la base des procédés IFP de catalyse homogène découverts initialement par Yves Chauvin1.
Son prix Nobel a contribué à lui donner une nouvelle jeunesse, notamment en lui permettant d’interagir avec les jeunes pour les encourager à embrasser une carrière scientifique. Ainsi, il était toujours prêt à parrainer des remises de diplômes, et ses discussions avec les nouveaux lauréats restent mémorables. Il avait accepté bien volontiers des invitations successivement au Maroc, en Tunisie, puis en Algérie (il avait fait son service national à Alger). Il avait alors toujours demandé que de jeunes Nord-Africains, y compris des lycéens, soient invités, et des discussions enthousiastes sans fin suivaient toujours ses interventions. Yves Chauvin avait un adage qui caractérise bien sa carrière scientifique foisonnante et qu’il répétait encore une semaine avant sa disparition : « Si vous voulez trouver quelque chose de nouveau, cherchez donc du nouveau ! »
- 1. Lire H. Olivier-Bourbigou et al., Catalysis Letters, 2015, 145 : 173-192.
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