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Donner du sens à la science

Le SI reprend sa température

Le SI reprend sa température

16.11.2018, par
Du 13 au 16 novembre à Versailles, la Conférence générale des poids et mesures officialise les nouvelles définitions des unités SI basées sur des constantes fondamentales. Comment s’y sont pris les scientifiques pour redéfinir le kelvin (K), l’unité de température?

A la différence du degré Celsius (°C) que nous utilisons dans la vie courante, le kelvin (K) est une mesure absolue de la température. Cette échelle a été introduite au milieu du XIXème siècle et repose sur le fait qu’il existe une limite inférieure à toute température, le zéro absolu. Au lieu de fixer un zéro arbitraire comme c’est le cas pour l’échelle Celsius (avec la température de la glace fondante), le zéro de l’échelle kelvin est un zéro absolu. La température en Celsius s’exprime en fonction de la température en kelvin (K) par la relation suivante : TK=TC + 273,15. Une différence de température a donc la même valeur numérique en kelvin ou en Celsius (une variation de 1 K est strictement égale à une variation de 1°C).

Réalisation du kelvin à haute température (ancienne méthode)
Jusqu'à la réforme qui entrera en vigueur en mai 2019, ce dispositif utilisant des lampes à tungstène a permis la réalisation du kelvin pour les hautes températures.
Réalisation du kelvin à haute température (ancienne méthode)
Jusqu'à la réforme qui entrera en vigueur en mai 2019, ce dispositif utilisant des lampes à tungstène a permis la réalisation du kelvin pour les hautes températures.

 Le kelvin, une histoire de point triple

Le kelvin était défini depuis 1954 par un système physique particulier, le point triple de l'eau, ou TPW (triple point of water). A ce point fixe fondamental, pour lequel les trois phases (liquide, solide et gaz) coexistent, était attribué la température exacte de 273,16 K (équivalente à 0,01°C). Cette définition était jusqu’alors réalisée à l’aide de cellules point triple de l’eau.

Problème : en pratique les choses n’étaient pas si simples ! En effet la température de cet état particulier dépend de la composition isotopique de l’eau utilisée. En 2005, le Comité International des Poids et Mesures (CIPM) avait un peu clarifié la situation en indiquant que la composition de l’eau pour la réalisation de la définition du kelvin était celle dite de l’eau océanique moyenne normalisée de Vienne ou VSMOW (Vienna Standard Mean Ocean Water). Cette eau a été définie en 1968 par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) et est censée représenter la composition isotopique moyenne de l'eau terrestre :  elle contient exactement 0,000 155 76 mole de 2H (deutérium) par mole de 1H (hydrogène), 0,000 379 9 mole de 17O par mole de 16O et 0,002 005 2 mole de 18O par mole de 16O…
Le kelvin reposait donc sur un invariant (la température du point triple) réalisé pour une espèce particulière (l’eau) et pour une composition isotopique bien spécifique (la VSMOW).

Cellule de calibration des thermomètres par rapport au point triple de l'eau
Cellule en quartz remplie d'eau pure utilisée pour la calibration des thermomètres lorsque le kelvin était défini par rapport au point triple de l'eau.
Cellule de calibration des thermomètres par rapport au point triple de l'eau
Cellule en quartz remplie d'eau pure utilisée pour la calibration des thermomètres lorsque le kelvin était défini par rapport au point triple de l'eau.

 Quelle nouvelle définition pour le kelvin ?

Depuis les travaux de Maxwell et Boltzmann au XIXe siècle, on sait que la température peut aussi être définie au niveau microscopique comme une mesure de l’agitation des constituants de la matière. Plus précisément, pour un corps maintenu à la température T, l’énergie cinétique moyenne est proportionnelle à kT. Dans cette formule, k est la constante de Boltzmann, qui fait le lien entre énergie (exprimée en kg.m2.s-2  ) et température (exprimée en kelvin) : elle permet ainsi de définir le kelvin à partir des unités mécaniques.  
La nouvelle définition qui sera adoptée consistera donc à fixer une valeur exacte pour la constante de Boltzmann plutôt que pour la température du TPW (TTPW). Cela présentera plusieurs avantages :
•             Le kelvin ne dépendra plus d’une substance, d’une température ou d’une expérience particulière associée au TPW.
•             L’universalité et la stabilité à long terme de l’unité sont garanties par l’invariance des constantes universelles fixées dans le nouveau SI.
•             Fixer la valeur de k n’impose aucune approche expérimentale ou objet matériel particulier pour la réalisation pratique de l’unité. A l’avenir cette approche ouvre donc la possibilité de développer de nouvelles méthodes de thermométrie, toujours plus performantes, sans qu’il soit nécessaire de faire évoluer la définition du kelvin.
•             Cette indépendance vis à vis de TTPW permettra une réduction des incertitudes des mesures à très basses et très hautes températures (respectivement inférieures à 20 K et supérieures à 1300 K).
La nouvelle unité de température permettra donc de meilleures mesures de température (plus simples, plus précises et plus stables à long terme) qu’elles soient exprimées en kelvin ou en degré Celsius.
Afin d’assurer la continuité, la traçabilité et de maintenir les performances des mesures de température, k a donc d’abord dû être déterminée expérimentalement avec une incertitude comparable à celle de l’ancienne réalisation du kelvin. Le CIPM a pour cela considéré que deux critères devaient être satisfaits avant la redéfinition : d'une part, obtenir une incertitude relative sur la mesure de k inférieure à 1 ppm (ou 1 partie par million); d'autre part, que la détermination de k soit obtenue par au moins deux méthodes différentes et avec pour chacune une incertitude relative inférieure à 3 ppm.

Le Projet Boltzmann

C’est dans ce but que le Projet Boltzmann  a été initié en 2007 avec le soutien de l’European Association of National Metrology Institutes (EURAMET). Deux laboratoires français ont pris part à cette collaboration internationale : le Laboratoire de Physique des Lasers1 (LPL) qui venait alors de démontrer une méthode originale pour mesurer k et le laboratoire commun de métrologie (LNE-CNAM), laboratoire de pointe dans le domaine de la thermométrie.

Notre projet a été développé au LPL sur la base d’une expérience de spectroscopie qui nous avait permis, dans les années 2000, de faire des mesures de fréquence par laser parmi les plus précises au monde. Le LNE-CNAM qui développait à cette époque une autre méthode pour mesurer k nous a apporté toute son expertise pour le contrôle et la mesure de la température de l’expérience. En 2007 nous avons publié nos premiers résultats, très rapidement repris pour monter des expériences en Italie et au Japon (en 2008), un peu plus tard en Australie et en Chine en (2011).

En recherche, le chemin emprunté est souvent au moins aussi important que l’objectif final. Sans que cela n’ait été prévu initialement, nos travaux ont permis de contribuer à l’avancée des connaissances sur d’autres sujets connexes. Sur le plan technologique, nous avons par exemple démontré le potentiel d’une nouvelle génération de laser (les lasers dits à Cascade Quantique) qui ouvrent aujourd’hui des perspectives très prometteuses dans le domaine de la spectroscopie laser des molécules et plus généralement des mesures de haute précision en physique.

Mesurer k avec la plus petite incertitude possible nous a également conduit à tester avec une précision inégalée la validité de modèles théoriques très largement utilisés par les physiciens et les chimistes pour analyser les spectres d’absorption dans de nombreux domaines, de la détection de polluants atmosphériques, aux mesures de concentration, de pression, ou encore de température dans les gaz.

Thermomètre acoustique permettant de définir la constante de Boltzmann (k)
Le thermomètre acoustique du LNE-Cnam/LCM développé pour déterminer la valeur de la constante de Boltzmann k.
Thermomètre acoustique permettant de définir la constante de Boltzmann (k)
Le thermomètre acoustique du LNE-Cnam/LCM développé pour déterminer la valeur de la constante de Boltzmann k.

Après une décennie les travaux menés au sein de 12 laboratoires répartis dans 8 pays, le projet Boltzmann a abouti en juillet 2017 à la détermination de la constante de Boltzmann k=1,38064903(51) X 10-23 J/K  avec un niveau d’incertitude relative de 0,37 ppm. Cette mesure a été établie grâce à trois méthodes expérimentales différentes avec une incertitude inférieure à 3 ppm chacune. Les conditions requises pour pouvoir fixer la valeur numérique de k sont donc maintenant remplies et la voie vers la redéfinition du kelvin est donc ouverte.

La nouvelle définition entrera en vigueur le 20 mai 2019 et elle s’appuiera sur la valeur de k obtenue dans le cadre du projet Boltzmann ainsi que sur les unités mécaniques (mètre, seconde et kilogramme). Des unités elles-mêmes définies à partir de trois autres constantes aux valeurs fixées exactement :  la vitesse de la lumière c, la constante de Planck h et la fréquence de transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de césium 133. Enfin pour les mesures courantes, la nouvelle échelle Celsius restera définie par un écart exact de 273,15 par rapport à l’échelle kelvin.
  
  
 

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes
  • 1. Unité CNRS - Université Paris 13

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