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Les fleurs ne sont pas des potiches
Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.
« Comment voudriez-vous que je parle des fleurs », écrivait Aragon dans son poème de résistance J’écris dans un pays dévasté par la peste, au cœur de l’année 1943. Luxe suprême en temps d’occupation, les époques de paix se prêtent mieux à la dilettante activité consistant à parler des fleurs ou même à tenter de les comprendre, comme le font de nombreux chercheurs, dont ceux de mon équipe1.
Pour tout un chacun, la fleur c’est l’arrivée du printemps et son cortège d’arbres lumineux et de prairies colorées. Ce sont aussi les bouquets de roses venues d’Équateur après un long voyage carboné. Ou encore les fleurs produites dans les serres des Pays-Bas qui dessinent, dans les matins glacés, un damier lumineux à grand renfort de chauffage et d’éclairage. Les fleurs seraient-elles un luxe même en temps de paix des hommes mais de guerre contre le changement climatique ?
Ce serait oublier que les fleurs ne se résument pas à leur fonction ornementale. Elles sont aussi directement à la base de la formation des fruits et des graines qui nous nourrissent. Certaines éclatantes comme chez le cerisier ou le colza, d’autres plus discrètes comme chez le blé ou le maïs. Mais de façon plus générale, feuilles, tiges, tubercules ou racines que les humains ou les animaux d’élevage consomment proviennent en quasi-totalité de plantes « à fleurs ».
Ce groupe contient en effet aujourd’hui la majorité des espèces (plus de 90 % des 400 000 espèces de plantes répertoriées). Celles-ci sont bien plus nombreuses que les mousses, fougères ou gymnospermesFermerPlantes dont les ovules sont « à nu » (c’est-à-dire non enclos dans un ovaire) et fécondés directement par le pollen. C’est notamment le cas des conifères ou du ginkgo., des plantes issues de familles anciennes qui n’avaient pas encore acquis la fleur, cette innovation diablement efficace pour la reproduction.
Étudier les plantes à fleurs et leur façon de se reproduire, comprendre leur passé et anticiper leur futur reste un enjeu de recherche très actuel. On essaie de comprendre à quoi pouvait ressembler la première fleur, celle qui a donné naissance à toutes les autres, de la fleur géante de l’arum titan à la petite fleur de myosotis. Une équipe internationale emmenée par Hervé Sauquet du laboratoire Écologie, systématique et évolution2 en a récemment fait le portrait-robot avec des arrangements de pétales en couronne autour d’une fleur bisexuée alors qu’on l’imaginait plutôt mâle ou femelle avec des pétales en spirales. En 2017, l’équipe de Jérôme Salse du laboratoire Génétique, diversité, écophysiologie des céréales, de Clermont-Ferrand, en a fait son portrait moléculaire, en prédisant le contenu de ses chromosomes et la date de son apparition, une question encore non résolue et qui fait débat dans la communauté.
Une aïeule de 174 millions d’années ?
Jusque-là, on pensait que les plantes à fleurs étaient apparues il y a environ 130 millions d’années, l’âge des plus vieux fossiles ce qui laissait pantois Charles Darwin, le père de la théorie de l’évolution. En effet, une naissance autour de cette date impliquait une diversification très rapide avec l’apparition des grandes classes de plantes à fleurs en une poignée de dizaines de millions d’années. L’étude de Jérôme Salse, et d’autres publiées en 2018 puis en 2019 (dans New Phytologist et Nature Plants), prédisent une origine bien plus ancienne, peut-être il y a 200 millions d’années, mais rien ne l’atteste.
Et à l’automne 2018, coup de théâtre, des scientifiques chinois et espagnols découvrent Nanjinganthus, une plante fossilisée relativement bien conservée et qui possède des structures originales dont certaines sont caractéristiques des fleurs, sauf...qu’elles sont datées de 174 millions d’années ! Si ces fossiles sont bien des plantes à fleurs, la naissance des fleurs vient de faire un bond de presque 50 millions d’années en arrière. Elles auraient donc eu beaucoup plus de temps pour se diversifier, une découverte qui aurait évitée bien des maux de tête à Darwin.
Le passé s’éclaircit mais les recherches révèlent aussi les unes après les autres les secrets des plantes à fleurs actuelles. On a compris comment les roses synthétisent leur parfum, que des insectes pollinisateurs apprennent à reconnaître des taches de chaleur sur les fleurs (pas seulement les couleurs ou les parfums), ou des petites rainures sur les pétales qui forment un halo bleu sans utiliser de pigment coloré. Un article en cours d’examen par la communauté scientifique suggère même que les vibrations des ailes des insectes rendent le nectar des fleurs plus sucré ! Le langage des fleurs et des choses muettes de Baudelaire est peu à peu décrypté par une recherche fondamentale qui, après avoir exploré quelques espèces modèles comme la petite mauvaise herbe Arabidopsis, s’étend maintenant à de nombreuses espèces aux propriétés originales.
Adaptation forcée
Mais étudier les fleurs, c’est aussi anticiper les défis qui se présenteront si on ne réussit pas à endiguer le changement climatique ou la disparition des insectes. Les plantes sont extrêmement sensibles à la température, qu’il s’agisse de l’exposition au froid de l’hiver (qui conditionne la floraison de nombreuses plantes au printemps) ou des effets de la température ambiante, bien connus des jardiniers. Il est vraisemblable que notre agriculture ait besoin demain de plantes adaptées aux nouvelles conditions climatiques. Comme cela a été fait à l’origine de façon tâtonnante par nos ancêtres, il va falloir redomestiquer les plantes cultivées mais en exploitant cette fois-ci la masse de connaissances accumulées dans ce domaine.
Combinées à de nouvelles technologies, ces connaissances nous aideront à adapter le moment de la floraison pour que les récoltes restent possibles. On sait déjà modifier l’architecture des plants ou la taille des fruits comme cela a été fait au travers des siècles chez la tomate, mais cette fois-ci en repartant de variétés naturellement résistantes aux maladies. On sait également depuis peu propager sans croisement des graines qui possède la vigueur hybrideFermerQualité des plantes normalement obtenue par croisement de deux parents très différents et très utilisée en agriculture pour produire les semences.. On pourra sans aucun doute dans le futur produire des plantes qui auront moins besoin des insectes pour leur pollinisation.
Loin de moi l’idée de remplacer la lutte contre le changement climatique et la décroissance des insectes par des nouvelles plantes, mais je suis convaincu qu’il faudra utiliser l’étendue des possibles pour continuer à vivre de notre agriculture dans un contexte changeant et dans un meilleur respect du milieu naturel et des consommateurs.
Loin d’être un luxe, la science des fleurs et des plantes à fleurs est porteuse dans le futur proche de fruits aussi jolis que précieux. ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
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À lire :
L’Histoire secrète des fleurs, François Parcy, humenSciences, 230 p., mai 2019.
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