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Les jolies colonies de vacances, c’est fini ?
Le film Nos jours heureux avait réuni 1,5 million de spectateurs en 2006. Nostalgie du temps des colos ? Aujourd’hui, elles disparaissent une à une en France. Alors qu’elles emmenaient en vacances près de 4 millions d’enfants et de jeunes dans les années 1960, ils ne sont plus que 1,2 million à présent. Et 3 millions d’enfants ne partent pas en vacances du tout, perdant ainsi la possibilité d’échapper à leur routine et de se mélanger avec des enfants d’autres horizons. Les colonies de vacances étaient un levier important pour créer de la mixité sociale, comme le montre un récent rapport1 commandé par le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports à un groupe de chercheurs.euses. Selon ce rapport d’évaluation du dispositif #GénérationCampColo, si l’on ne fait rien, les colos auront disparu dans les années 2030. À l’heure où les questions d’égalité et de citoyenneté font plus que jamais partie des priorités de l’État, est-il encore temps de sauver les colos ?
On évoque souvent la démocratisation des voyages et l’allongement des congés payés (obtention de la 5e semaine en 1981), encourageant les départs en famille, pour expliquer les faibles effectifs actuels des colonies de vacances. Mais c’est faux : la dégradation des conditions sociales et économiques font qu’aujourd’hui un enfant sur trois ne part pas en vacances2. Les causes de disparition des colonies de vacances sont plus complexes. L’une d’elles tient aux infrastructures elles-mêmes. Notre rapport de recherche pointe en effet la disparition des bâtiments qu’on appelait « les colos », qu’elles soient des propriétés d’origine privée (entreprises, églises) ou publique (associations laïques, communes). Par exemple, les Alpes Maritimes qui en comptaient 50 au début des années 1960, n’en ont plus qu’un aujourd’hui. Les familles des années 1980 ont certes un peu moins envoyé leurs enfants dans ces « colos ». Mais leur fermeture tient plus d’une gestion « technocratique » des vacances (mettant en avant d’une façon stricte la sécurité, l’hygiène, les normes alimentaires, l’accès handicap, etc.).
Trop de colos à thème réservées à une clientèle aisée
Autre facteur de mutation des colonies de vacances : la mise en concurrence. La hausse des coûts (liée à la mise aux normes et à la stagnation des subventions) et le début d’érosion des effectifs évoqués plus haut ont incité les organismes survivants à développer des stratégies commerciales. Finalement, leur offre s’est tournée principalement vers les familles aisées, attirées par la consommation de loisirs spécialisés, ou vers les familles soutenues par les comités d’entreprise. Les années 1980 sont ainsi marquées par la disparition progressive des colonies généralistes accessibles à tous, tandis que se développent les colos astronomie, ski, poney, anglais, danse, théâtre, orchestre, rafting, surf, etc. Or les études récentes sur les activités de loisirs des jeunes montrent qu’elles fonctionnent comme des « opérateurs », consacrant la séparation des publics entre garçons et filles, riches et pauvres, issus de centres-villes ou de banlieues.
années 1960,
dont il reste
de nombreuses
archives,
mélangeaient
beaucoup plus
facilement les
classes sociales, les
âges et les sexes.
Ce recul de la mixité sociale est aggravé par les politiques publiques. De l’autre côté du périphérique, les séjours et activités organisés par les municipalités (séjours courts, séjours « Ville Vie Vacances ») sont clairement orientés vers la prévention de la délinquance et proposent des activités spécialisées vers un public cible : les jeunes garçons des cités. Rap, hip-hop, futsal, boxe, graff, BMX, karting ou laser-park, même si ces activités ne sont pas réservées aux garçons, elles sont consacrées par l’usage3. Mettre l’accent sur elles revient à exclure les filles de ces « colos des pauvres »... La politique de la Ville achève ainsi d’entériner la « fracture sociale » (selon la formule de Jacques Chirac en 1995) et le développement séparé des populations. Les colos des années 1960, dont il reste de très nombreuses archives, mélangeaient beaucoup plus facilement les classes sociales, les âges et les sexes.
Temps libres et colos généralistes, plus propices à la mixité sociale
Les colos généralistes de la période 1960-80, longues de deux à quatre semaines, offraient différents profils. Certaines avaient certes un aspect un peu rigide, voir paramilitaire. Mais beaucoup d’autres s’appuyaient sur des pédagogies alternatives, offrant la liberté de choisir une activité encadrée ou de rester jouer dans sa chambre (seul.e ou avec d’autres), la possibilité de participer à la confection des repas, voire d’organiser soi-même une rando avec moniteur.trice. Avec ce type de libertés, il devenait plus facile de traverser les frontières d’âge, de classe, de genre, de handicap et de créer des affinités avec d’autres enfants, quelles que soient leurs différences, comme l’ont montré les nombreux témoignages que nous avons étudiés. Les temps libres, plus rares dans les colos à thème d’aujourd’hui, étaient particulièrement propices à la rencontre, aux amitiés et amours d’été, entre les jeunes de tous âges et de toutes classes sociales.
Le retour en arrière (par exemple en construisant 6 000 bâtiments « colos » aux normes permettant d’accueillir 3 millions d’enfants) paraît impossible, même avec l’aide des Caisses d’allocations familiales, seul organisme à pouvoir tenir financièrement ce cap du départ en vacances pour tous. La tentation actuelle de l’État gestionnaire (la main droite de l’État selon Pierre Bourdieu) serait plutôt de laisser le secteur privé développer l’offre de vacances et de n’y subventionner que l’accueil des publics dits prioritaires. Sur cette stratégie, la conclusion du rapport est sans appel : elle produit l’effet inverse du but recherché. D’après les expériences déjà réalisées et analysées dans notre rapport, inscrire dans une colo à thème (théâtre, sport, musique, etc.) des jeunes relevant de l’éducation spécialisée a en effet toutes les chances d’échouer. Même chose si on y envoie un petit groupe de deux ou trois garçons de banlieue peu familiers avec le thème de la colo. Ils auront du mal a s’intégrer, se retrouveront souvent exclus, notamment à cause de leur manque de compétences pour les activités proposées, perdus au milieu de jeunes qui ont choisi leur stage pour progresser dans un domaine qu’ils connaissent déjà.
Développer le scoutisme et le tourisme écoresponsable ?
Les conclusions du rapport invitent au contraire à renouveler l’offre de vacances selon un modèle inclusif, en s’appuyant sur l’expérience des associations et municipalités qui ont développé des compétences éducatives dans ce domaine. Parmi les exemples présentés dans notre rapport, le scoutisme (qui se sort plutôt bien de la crise) montre que le camp sous toile, associé en partie à des formes d’engagement et de bénévolat, a plus que jamais les faveurs d’un large public. Plutôt que la consommation excessive de loisirs organisés, l’écoresponsabilité et le développement durable ouvrent de multiples portes pour un usage ludique des espaces naturels.
dans des projets
de développement
rural.
Au lieu d’aller chercher des performances sportives en montagne ou à la mer, dans des lieux saturés de tourisme, il serait plus profitable d’intégrer les camps et colos dans des projets de développement rural en utilisant les ressources locales, qu’elles soient alimentaires (circuits courts) ou professionnelles (emplois aidés, animateurs.trices vacataires recruté.e.s. dans l’aménagement des temps scolaires, etc.).
Camps de scout, Maison de Courcelles, Villages des jeunes, Cités d’enfants, etc., ont tendance à supprimer les clivages du fait des activités et des temps de vie qu’ils proposent. Ils ont la possibilité de faire un travail sur la mixité, permettant une inclusion en douceur, avec la participation des enfants eux-mêmes, qu’ils fassent ou non partie des personnes ou des groupes généralement discriminés. Ce ne sont que quelques-unes des préconisations de ce rapport de recherche sur les colonies de vacances. Elles croisent probablement tout ou partie des enjeux de la future loi « égalité, citoyenneté », qui est examinée par le Parlement cette semaine. Peut-être serait-il bon de remettre en selle les colos qui savent si bien faire, et depuis si longtemps, dans le domaine du vivre-ensemble et de la cohésion sociale ?
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
- 1. Magalie Bacou, Jean-Marie Bataille, Baptiste Besse-Patin, Jean-Michel Bocquet, Éric Carton, Véronique Claude, Cyril Dheilly, Aude Kérivel, Yves Raibaud, « Des séparations aux rencontres en camps et colos », rapport d’évaluation du dispositif #GénérationCampColo, avril 2016, téléchargeable sur www.lesocialenfabrique.fr/des-separations-aux-rencontres.html
- 2. Selon un rapport du Sénat de mai 2016.
- 3. « Mixité dans les activités de loisir. La question du genre dans le champ de l’animation », M. Bacou et Y. Raibaud, Agora Débats Jeunesse, n° 59, Injep, octobre 2011.
À lire / À voir
Architectures et éducation : les colonies de vacances, Jean-Marie Bataille et Audrey Levitre, éd. Matrice, 2010, 33 €