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En finir avec la fabrique des garçons

En finir avec la fabrique des garçons

06.11.2014, par
Pour ce premier Top10 de l'été, on se demande si les difficultés scolaires des garçons au collège ne trouvent pas leur origine dans les messages paradoxaux qu'ils reçoivent pour la construction de leur identité masculine.

Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

Quelque chose ne tourne pas rond chez les garçons. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au collège, ils représentent 80 % des élèves sanctionnés tous motifs confondus, 92 % des élèves sanctionnés pour des actes relevant d’atteinte aux biens et aux personnes, ou encore 86 % des élèves des dispositifs Relais qui ­accueillent les jeunes entrés dans un processus de rejet de l’institution scolaire. Tous ces garçons ont-ils des problèmes, des troubles du comportement et/ou de l’apprentissage ? Eh bien non, loin s’en faut. Des travaux récents1 montrent que leurs transgressions et leurs difficultés scolaires sont, le plus souvent et quelque soit leur milieu social d’origine, des conduites liées à la construction même de leur identité masculine.

L’injonction sociale à la virilité

Très jeunes et surtout pendant les années de collège, période où la puberté vient sexuer toutes les relations, les garçons se retrouvent en effet pris entre deux systèmes normatifs. Le premier, véhiculé par l’école, prône les valeurs de calme, de sagesse, de travail, d’obéissance, de discrétion, vertus traditionnellement associées à la féminité. Le deuxième, relayé par la communauté des pairs et la société civile, valorise les comportements virils et encourage les garçons à tout le contraire : enfreindre les règles, se montrer insolents, jouer les fumistes, monopoliser l’attention, l’espace, faire usage de leur force physique, s’afficher comme sexuellement dominants… Le but est de se démarquer hiérarchiquement et à n’importe quel prix de tout ce qui est assimilé au « féminin », y compris à l’intérieur de la catégorie « garçons », quitte à instrumentaliser l’orientation scolaire, l’appareil disciplinaire ou même la relation pédagogique (qui, ne l’oublions pas, est une relation sexuée). Cette injonction paradoxale traduit celle de nos sociétés contemporaines qui acceptent la coexistence du principe d’égalité entre les femmes et les hommes et d’une réalité fondée sur l’inégalité réelle entre les sexes, dans tous les champs du social.

Elèves dans un collège.
Elèves dans un collège.
Elèves dans un collège.
Elèves dans un collège.

Ainsi le problème n’est pas de « sauver » les garçons, ni de lutter pour l’égalité entre les filles et les garçons, ni même de combattre une homophobie qui structure leur construction identitaire. Le problème est d’en finir avec la fabrique des garçons. D’explorer la manière dont familles, école et société projettent sur les « petits mâles » des rêves, des désirs ou des fantasmes qui influent sur leur identité et leur carrière. De décrypter les situations qui permettent à ces enfants d’intégrer et d’expérimenter les mille et une ficelles du métier d’homme. Et de contrer enfin les mécanismes de séparation et de hiérarchisation des sexes à l’œuvre à l’école et dans les activités périscolaires. Tout ce qui encourage les enfants de sexe masculin à réprimer peu à peu leurs goûts personnels, leurs émotions, leurs affects, à rompre la relation à eux-même et à autrui.

Il s’agit d’explorer la manière dont familles, école et société projettent sur les « petits mâles » des rêves, des désirs ou des fantasmes qui influent sur leur identité et leur carrière.

Cette fabrique des garçons se prolonge hors de l’école. Dans un cadre que les enfants choisissent progressivement eux-mêmes et qui tend à la séparation des sexes, les activités périscolaires, culturelles et sportives participent fortement à la construction d’identités sexuées stéréotypées. La non-mixité des activités est particulièrement favorable aux garçons, qui bénéficient de près de 75 % des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes ! Cela ne fait que renforcer une masculinité hégémonique qui se construit dans les « maisons des hommes » (stades, lieux de répétition des musiques et de cultures urbaines, terrains de sport, etc.), productrices de sexisme et d’homophobie. Le sport, parce qu’il désigne l’homme comme l’être le plus fort, apparaît comme un temple du masculin, même si la place des femmes, minoritaires, n’a cessé de progresser. Dans le monde de la culture, les pratiques des filles se heurtent à un plafond de verre : alors que, dans les écoles et conservatoires de théâtre, musi­que, danse et arts plastiques, elles sont les plus nombreuses, les garçons sont partout aux commandes dans les professions de l’art et de la culture. Seuls les vacances et les loisirs organisés semblent permettre une plus grande fluctuation des rôles de genre entre filles et garçons, même si les activités proposées par les animatrices et les animateurs reproduisent le plus souvent les stéréotypes de genre.

Repenser l’éducation des garçons

Alors comment en finir avec cette fabrique des garçons ? L’expérience récente le prouve : aborder la lutte contre les stéréotypes sexués à l’école sous le seul angle de la promotion des filles s’avère peu efficace. Combien de chartes, de conventions pour l’égalité entre les filles et les garçons ces dernières années ? Pour quels résultats ? C’est en envisageant globalement l’éducation des garçons, non en réplique aux acquis des filles mais en complémentarité, que les choses pourront évoluer. Faut-il cesser de favoriser des « maisons des hommes » productrices de masculinités hégémoniques ? Faut-il agir de façon volontariste pour éduquer à l’égalité filles-garçons à l’école, comme le proposait le programme ABCD de l’égalité ? Une troisième voie pourrait être, pour les professionnel(le)s de l’éducation, d’accepter l’abolition des certitudes et des évidences dans le domaine du genre et des sexualités. Cette proposition passe par une approche critique des pédagogies et des activités éducatives. Elle montre comment les « lunettes du genre » remettent en question de façon radicale un système d’éducation qui, sous couvert d’apprentissages de plus en plus techniques, perpétue des rapports sociaux de sexe toujours inégalitaires.

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

En librairie :


Pour en finir avec la fabrique des garçons, vol. 1 et 2,
Sylvie Ayral et Yves Raibaud (dir.), MSHA, 2014,
396
 p. et 25 € le volume

Notes
  • 1. Pour en finir avec la fabrique des garçons, MSHA, 2014.

Commentaires

3 commentaires

Je n'aime pas le dire de cette façon mais "c'est bien un raisonnement de femme" est la chose la plus parlante qui me vienne à l'esprit. Alors premièrement, je ne dis pas ça dans un sens sexiste ou quoi que ce soit mais plus dans une obvieuse incompréhension du sexe opposé... Oui l'éducation joue un rôle, oui la virilité est un problème toutefois "pourquoi" la virilité existe-t-elle ? En a-t-on besoin ? La réponse est Non... mais oui. Un homme est tout simplement très différent dans sa dynamique chimique... Il a des pulsions reproductrisse beaucoup plus élevée en moyenne que les femmes, a un mode de fonctionnement différent, une gestions des sentiments différentes aussi. Alors est-ce que cela justifie la virilité ? Partiellement, dans une société comme la nôtre où les hommes subissent un mal-être dû à l'évolution sociétaire qu'à suivi la "libération féminine", l'adaptation est plus que difficile... Frustration, contenance forcée, inculcation d'éducation contraire au fonctionnement même de l'homme. C'est là où ce que l'on appelle la "virilité" est un échappatoire pour beaucoup et ce non à cause de l'éducation mais du fait que c'est purement et simplement une porte. La virilité authorise une évacuation de certaine frustration masculine souvent très difficile à contenir, elle permet aussi surprenant que cela parait de calmer l'agressivité. Bien entendu la plupart des actes dit "virile" est une enfreinte à des lois établies en millieu scolaire mais il faut bien comprendre la source du problème. La virilité est là car la société n'est pas/plus en accordance avec un environnement masculin. Le changement d'éducation empirerait les choses dans un certain sens. Ce qu'il faut commencer à faire c'est comprendre qu'un homme n'est pas une femme et que l'environnement sociétaire créée est insatisfaisant au bon développement du sexe masculin. Je voudrais pointer le doigt sur le nombre d'individu de moins de 20 ans cherchant des médicaments pour réduire leur libido ou qui insulte les femmes non pas par éducation mais par frustration interne qu'ils ne comprennent pas. Malheureusement au stade où on en est (et même si cela peut sonner post-apocalyptic) nous nous dirigons vers une régulation des pulsions masculines, on inventerait alors la pillule pour garçons qui les ferait fonctionner comme "des femmes". Et ce sans que cela soit réellement une mauvaise chose... Il faut se dire que, étant un homme moi-même, je déplore l'inaccordance de mes propres besoins et frustration par rapport à la société dans laquelle je vis et ait souhaité plus d'une fois de ne plus avoir ce mode de fonctionnement. Aussi bizarre que cela puisse être, la sagesse, la retenue et tout ce qui s'en suis sont des valeurs respectées par la majorité des mâles... Elle est juste en innacordance avec leur "thanatos".

Excellent article. Récemment un reportage montrait dans une cours de récréation comment les jeunes garçons s'appropriaient l'espace de jeu, notamment lorsqu'il s'agit d'un terrain de foot, et écartaient automatiquement les filles qui souhaitaient venir y jouer. Brennan Sei va surement dire que cela est normal vu que ces pauvres têtes blondes sont soumis à leurs incontrôlable effluves de testostérone. Surement pas, nous avons la liberté de nos choix et surement pas la dépendance de notre chimie (même si elle peut influencer). Je regrette de lire autant de balivernes infondées (aucun des arguments n'est appuyé par une preuve, juste des considérations personnelles). Étant un homme moi même, marié et père de deux enfants, si je constatait que mon fils adopte une attitude viril pour repousser les filles, il aurait affaire à moi. De même si jamais ma fille venait a adopter une attitude féministe pour repousser les garçon elle aurait aussi affaire à moi. La sexualité est surtout une affaire, entre autre, culturel. C'est de l'inconscience de vouloir le nier. Si cela n'est pas vraie, il faudra alors qu'on m'explique pourquoi a l'adolescence, les garçons se demandent si ils préfère les filles ou les garçons (peu d'entre eux le reconnaitront). Il faudra aussi m'expliquer pourquoi dans certaines cultures antiques l'homosexualité n'était pas un problème au point que cela soit NORMAL.

je pense que l'auteure de ce billet oublir qu'une partie de la cause de cet excès de virilité est tout simplement la testostérone secrétée par ces jeunes mâles à partir de l’adolescente !! (je ne nie pas qu'il est aussi des déterminants culturelle, mais il ne faut pas nier que'il y a aussi des déterminant physiologique) Cet oubli est peut être fait a desseins, car s'il n'avait pas été fait, l’article dirait en substance que le problème(ou une partie) , c'est d'avoir des couilles, et que pour le résoudre, il faut castrer ces jeunes mâles.
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