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Leurs territoires ne sont pas «minables» !
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En 2004, après la fermeture des derniers puits de charbon de Moselle et celle du site aurifère de Salsigne, nul ne pouvait douter que les mines entreraient désormais dans l’histoire. Du reste, l’Unesco, en décidant d’inscrire le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au patrimoine mondial de l’humanité, semblait entériner le caractère révolu de l’aventure extractive française1. Tout bascula pourtant en 2013, lorsque le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, initia un plan de relance de l’exploitation minière associé à l’établissement d’un inventaire du sous-sol et une réforme du Code minier. Dans un contexte mondial de lutte pour le contrôle des ressources naturelles, exacerbée par la consommation croissante de métaux stratégiques répondant aux besoins de multiples secteurs de l’industrie (chimie, aéronautique, automobile, énergies renouvelables, nouvelles technologies…), le ministre soulignait l’urgence d’assurer la souveraineté économique du pays et la sécurité de son approvisionnement. Il évoquait aussi le besoin de revitaliser les territoires ruraux par la création d’emplois pérennes et non délocalisables. En 2015, Emmanuel Macron reprit à son compte cet objectif mais, conscient des traumatismes laissés par l’activité minière passée, il engagea une démarche dite « Mine responsable », visant à définir les termes d’un partenariat entre l’État et les industriels au service d’un nouveau modèle capable de prévenir et de réduire les impacts environnementaux, sanitaires et sociaux ainsi que les nuisances telles que le bruit ou la destruction du paysage.
Aujourd’hui, si l’on dresse un premier bilan de cette orientation, on constate qu’en l’espace de trois ans, dix-huit permis exclusifs de recherches minières (PERM) portant sur les métaux les plus divers (or, argent, plomb, zinc, tungstène, lithium, tantale, germanium, niobium, antimoine…) ont déjà été accordés – dix en métropole2 et huit en Guyane –, tandis que de nombreuses demandes sont en cours d’instruction…
Sans vouloir juger de sa pertinence, il apparaît indéniable que le pari de la relance minière pose le problème des rapports entre risques industriels, principe de précaution et innovations technologiques. Les riverains des sites concernés ne s’y trompent pas qui, partout, se mobilisent et multiplient les recours pour lutter contre les projets miniers3. On compte à ce jour une vingtaine de collectifs ou associations – exclusion faite de ceux créés en réaction à l’exploitation du gaz de schiste –, dénonçant une logique de profit menée à court terme au détriment d’enjeux collectifs, sanitaires et environnementaux, à dimension intergénérationnelle.
Leurs inquiétudes sont d’autant plus vives que, de l’aveu même de Rémi Galin, coordonnateur du projet « Mine responsable », et chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales au ministère de l’Environnement, de l’Énergie et la Mer, « la mine propre n’existe pas (…) Une mine a toujours un impact sur les populations, l’environnement ; elle transforme toujours un territoire ».
Même réticence du côté des ONG. France Nature Environnement et Ingénieurs sans frontières ont quitté le comité de pilotage du projet « Mine responsable », en dénonçant « une méthode d’élaboration floue, des objectifs imprécis et un calendrier à marche forcée ». Les Amis de la Terre, eux, avaient préalablement refusé d’intégrer ce comité au motif qu’« avant de rouvrir les mines, l’État devrait s’atteler à remédier les lourds passifs environnementaux qui persistent sur nos territoires » (sic).
Il est vrai qu’en la matière, les exemples ne manquent pas. La gestion désastreuse de l’après-mine dans les Cévennes a conduit nombre de locaux et deux associations à porter plainte contre X du chef de mise en danger d’autrui, suite aux conclusions d’une enquête de l’agence régionale de santé Languedoc-Roussillon invitant 46 personnes fortement imprégnées par les métaux lourds (plomb, arsenic, cadmium) à faire l’objet d’un suivi médical personnalisé.
À Salsigne, site audois auquel le laboratoire Dynamiques du droit a déjà consacré un colloque et une publication4, les litiges se poursuivent : déjà engagés sur le terrain pénal, des riverains ont obtenu l’annulation d’un arrêté préfectoral qui interdisait, depuis 1997, la commercialisation des légumes pollués aux métaux lourds, ramassés sur le territoire de neuf communes. Le 31 mai 2016, le tribunal administratif de Montpellier a estimé que, « à défaut de justifier de la nécessité d’édicter une interdiction générale pour parvenir à l’objectif de salubrité publique visé, la mesure prise par le préfet de l’Aude présente un caractère disproportionné ».
le principe du pollueur-payeur plutôt que de transférer la responsabilité à la population.
Cette décision rejoint l’analyse des riverains qui réclament une cartographie détaillée de la pollution des sols de la zone considérée afin de savoir exactement quelles sont les parcelles impropres aux cultures et donc susceptibles de donner lieu à indemnisation. A priori, le fait que des riverains en lutte contre des nuisances minières obtiennent l’annulation d’une disposition censée protéger la salubrité publique peut paraître ambigu… surtout lorsqu’on sait qu’en l’espèce, les sites de stockage des déchets arséniés présentent des défauts d’étanchéité si importants qu’un vaste chantier est annoncé pour en finir avec une pollution hydrique désormais officiellement reconnue.
Mais, derrière cette initiative, les plaignants, dont l’intérêt à agir résulte de l’impact de l’arrêté sur la valeur vénale de leurs propriétés, disent vouloir mettre l’État devant ses responsabilités. Un État, lui-même ancien exploitant du site et qui, malgré sa connaissance des nuisances, a longtemps minimisé le risque sanitaire qu’il a participé à provoquer. Ils estiment donc nécessaire « de faire appliquer le principe du pollueur-payeur plutôt que de transférer la responsabilité à la population ». La préfecture n’a pas fait appel de la décision mais d’autres contentieux sont à venir.
Quels enseignements tirer de tous ces litiges ? L’activité minière est-elle indissociable du contentieux ? Les politiques publiques actuellement menées en la matière sont-elles adaptées aux impératifs stratégiques, sociaux et environnementaux du pays ? Les controverses qu’elles suscitent n’imposent-elles pas l’ouverture d’un débat public ? Loin de tout jugement de valeur et abstraction faite de toute conviction politique ou philosophique, reconnaissons que, pour l’instant, le sujet des pollutions minières ne bénéficie pas vraiment d’un traitement à la hauteur des enjeux.
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
- 1. Santé et travail à la mine, XIXe-XXIe siècle, Judith Rainhorn, Presses universitaires du Septentrion, avril 2014, 306 p., 27 €
- 2. Départements concernés : Allier, Ariège, Dordogne, Haute-Vienne, Puy-de-Dôme, Loire-Atlantique, Côtes-d’Armor, Maine-et-Loire, Creuse, Sarthe, Mayenne et Morbihan.
- 3. « Nos territoires ne sont pas minables », Communiqué de presse Stopmines, 13 avr. 2016. http://alternatives-projetsminiers.org/nos-territoires-ne-sont-pas-minables
- 4. Tristes mines. Impacts environnementaux et sanitaires de l’industrie extractive, Hervé Pujol (dir.), Les Études Hospitalières, juillet 2014, 344 p., 26,20 €. Voir aussi le billet consacré à la réouverture du site : https://lejournal.cnrs.fr/billets/faut-il-rouvrir-la-mine-dor-de-salsigne
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