Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »
Donner du sens à la science

Faut-il rouvrir la mine d’or de Salsigne ?

Faut-il rouvrir la mine d’or de Salsigne ?

05.09.2014, par
Il y a dix ans, la plus grande mine d’or d’Europe, située dans l’Aude, cessait d’être exploitée. Malgré d’importants problèmes sanitaires et environnementaux, sa réouverture est envisagée. Décryptage d’Hervé Pujol, spécialiste du droit du travail et de l’environnement.

Il y a dix ans, la conjugaison de problèmes économiques, environnementaux et sanitaires précipitait la fin de l’exploitation du district aurifère de Salsigne (Aude) et, avec elle, la fermeture de ce qui était alors la plus grande mine d’or d’Europe, et la dernière de France métropolitaine. Deux ans auparavant, le dynamitage de la cheminée de l’usine de traitement du minerai avait déjà marqué le début des opérations de démantèlement du complexe métallurgique.

La mine d'or de Salsigne.
Vue aérienne de l’ancienne mine d’or française de Salsigne, la plus grande d’Europe.
La mine d'or de Salsigne.
Vue aérienne de l’ancienne mine d’or française de Salsigne, la plus grande d’Europe.

Une mine fermée en 2004 pour raisons de santé publique

Après plus d’un siècle d’activité, ce dénouement n’avait rien de surprenant : il sanctionnait une exploitation menée de façon souvent chaotique et une gestion erratique des déchets, génératrices, l’une et l’autre, d’une pollution par des métaux lourds et des métalloïdes (notamment l’arsenic) affectant le milieu et, par voie de conséquence, la santé publique. Si, à partir des années 1990, plusieurs missions spécialisées de l’environnement (Mise) ont souligné, auprès de l’État, les risques attachés aux activités industrielles, l’étude des sources archivistiques récemment menée par les chercheurs du laboratoire Dynamiques du droit1, révèle que les nuisances ont toujours accompagné l’histoire du site et qu’elles ont été à l’origine de nombreux litiges et des plus vives controverses.

Mine à ciel ouvert de Salsigne.
Vue de cette mine à ciel ouvert avant sa fermeture en 2004.
Mine à ciel ouvert de Salsigne.
Vue de cette mine à ciel ouvert avant sa fermeture en 2004.

Il a pourtant fallu attendre 2003 pour que la Cour des comptes, dans un rapport très critique, stigmatise enfin les dysfonctionnements révélés par l’analyse des politiques publiques mises en œuvre à Salsigne et la difficulté de l’État à arbitrer impératifs sociaux de soutien à l’emploi et nécessaire prise en compte des coûts environnementaux associés à la poursuite d’une entreprise polluante.

Concernant le risque sanitaire, l’excès de cancers bronchiques provoqués par l’arsenic chez les ouvriers du site fut identifié dès les années 1970. De façon plus générale, l’exposition des populations riveraines aux polluants industriels fit l’objet, en 2001, d’une étude de l’Institut de veille sanitaire concluant (InSV), notamment, à un excès de 80 % de la mortalité par cancer du poumon et de 110 % pour celui du pharynx. Les auteurs de l’enquête, publiée en 2005, admettaient alors que ces résultats pouvaient être dus, en partie, à une contamination environnementale.

Des sols toujours très pollués dix ans après

Aujourd’hui, en dépit des importants efforts entrepris par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dans le cadre de ce qui fut considéré comme l’un des plus importants chantiers de réhabilitation d’un site industriel en France, la gestion du passif environnemental reste préoccupante. Si la question atmosphérique ne se pose plus, que dire de la qualité des sols et des eaux, sinon que l’on trouve encore des « zones de dépôts de déchets mal confinées, mal réhabilitées et instables, ou traversées par des sources qui contribuent à maintenir un fond de pollution résiduelle non négligeable dans la rivière Orbiel » 2. Sur ce dernier point, de récentes études présentées à l’occasion d’un colloque international3 ont révélé qu’au niveau de la zone réhabilitée, environ 90 % de la contamination des eaux de surface en arsenic dissous est un héritage de l’ancienne activité industrielle.

Les autorités locales n’ignorent rien du problème : au motif que les légumes feuilles, les légumes racines, les poireaux cultivés, le thym et les escargots ramassés dans la vallée présentent des concentrations en métaux lourds supérieures aux teneurs « au-delà desquelles la sécurité des populations ne peut être garantie » 4, des arrêtés préfectoraux interdisent d’année en année, depuis 1997, leur mise sur le marché sur le territoire de plusieurs communes.

À ce bilan préoccupant, il faut ajouter la fréquence des incidents : ici, la rupture d’une digue d’un bassin de décantation ; là, la découverte d’enfouissements sauvages d’arsenic ; en 2011, la survenance d’explosions mystérieuses dans la mine souterraine ; en 2013, la pollution d’un canal d’irrigation dont les eaux présentent un taux d’arsenic 450 fois supérieur au seuil de potabilité fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Autant de faits qui ne sont pas pour rassurer les associations locales de protection de l’environnement, lesquelles, à l’instar de certains particuliers, ont déposé plainte pour mise en danger d’autrui.

Traces d'arsenic sur les parois de la mine à ciel ouvert de Salsigne.
Ces traînées blanches sur l’une des parois de la mine témoignent de la présence d’arsenic.
Traces d'arsenic sur les parois de la mine à ciel ouvert de Salsigne.
Ces traînées blanches sur l’une des parois de la mine témoignent de la présence d’arsenic.

L’approvisionnement en métaux : un problème pour l’industrie française

L’actualité de Salsigne pourrait en rester là, mais la volonté déclarée d’Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement productif, de créer une Compagnie nationale des mines afin de réengager le pays dans « la bataille mondiale qui est menée par les États pour accéder aux ressources naturelles » amène à se demander si le dernier chapitre de l’aventure extractive du lieu ne reste pas à écrire…

Le site de Salsigne,
dont les experts
estiment qu’il
contient encore
de 30 à 40 tonnes
d’or, mais
également des
terres rares, attise les convoitises.

Dans un contexte international marqué par l’intensification de l’exploitation des ressources naturelles, la hausse des cours et l’exacerbation des enjeux de compétitivité industrielle, ce projet de relance de l’activité minière, outre l’intérêt attaché à la création d’emplois pérennes et non délocalisables, vise à garantir l’indépendance de la France en matière d’approvisionnement en métaux, notamment les métaux mineurs et les terres rares indispensables à la production de biens de consommation courante et de haute technologie. Il rejoint ainsi l’analyse du Commissariat général à la stratégie et à la prospective qui, en juillet 2013, relevant que « la France ne peut espérer poursuivre un développement industriel ambitieux à long terme sans une stratégie adéquate pour répondre aux tensions sur l’approvisionnement de ces matériaux », suggérait de promouvoir la prospection sur son territoire.

Un projet de reprise du site fondé sur un « procédé écoresponsable »

Depuis lors, des permis de recherches minières ont été accordés dans la Sarthe, la Mayenne, la Creuse et le Maine-et-Loire. Aussi n’est-il pas étonnant que le site de Salsigne, dont les experts estiment qu’il contient encore de 30 à 40 tonnes d’or, mais également des terres rares, attise les convoitises. Récemment, des industriels ont présenté à Jean-Claude Perez, député de l’Aude, un projet de reprise de l’exploitation fondé sur un « procédé écoresponsable » et sur une nouvelle technique d’extraction du minerai aurifère, la chloruration, qui « présenterait l’intérêt de rendre inertes les roches traitées et, ainsi, de les utiliser dans le cadre des opérations de remblaiement » 5. Pour ce faire, la concession minière serait attribuée à une société d’économie mixte avec participation de la Compagnie minière nationale. Averti du projet, le ministère a aussitôt diligenté une enquête de faisabilité qui, sur place, ravive l’inquiétude.

Échaudés par les abus des derniers exploitants du site, les riverains insistent sur la persistance des risques et les coûts de réhabilitation supportés par la collectivité. Dépités par la lenteur des procédures pénales, ils s’interrogent sur le bien-fondé de la politique gouvernementale. En son temps, Arnaud Montebourg affirmait le droit des citoyens à s’interroger sur les conditions d’exploitation du sous-sol eu égard à la préservation des emplois et à la protection de l’environnement, tout en précisant que ces deux objectifs pouvaient paraître antinomiques. Ce faisant, il posait toute la complexité du problème minier dans un monde où l’innovation exacerbe la surconsommation au détriment des équilibres naturels… Reste à savoir si son successeur, Emmanuel Macron, saura tirer de Salsigne, contre-modèle par excellence, tous les enseignements qui s’imposent afin d’éviter les erreurs du passé, lorsque l’État, alors actionnaire de la minière, n’avait pu éviter ni la faillite ni le désastre écologique.

Notes
  • 1. Unité CNRS/UM1.
  • 2. Direction générale de l’environnement Languedoc-Roussillon, compte rendu de visite du site minier de Salsigne en présence de l’Ademe, 23 avril 2008.
  • 3. Salsigne : « La mine dort, la pollution veille », Montpellier, mars 2013 (actes publiés sous le titre Tristes mines, impacts environnementaux et sanitaires de l’industrie extractive, Les Études Hospitalières, 2014).
  • 4. Arrêté du 8 juillet 2014, préfecture de l’Aude, Recueil des actes administratifs, spécial n° 17, juillet 2014, p. 1.
  • 5. Faute de précision sur la mine souterraine, il semblerait que le projet ne concerne que la mine à ciel ouvert.

À lire / À voir

Tristes mines. Impacts environnementaux et sanitaires de l’industrie extractive, Hervé Pujol (dir.), Les Études Hospitalières, juillet 2014, 338 p., 42 €

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS