Donner du sens à la science

Nos ressources minérales sont-elles vraiment limitées?

Nos ressources minérales sont-elles vraiment limitées?

08.10.2015, par
La gestion durable des ressources minérales était au cœur du 13e congrès de la Société de Géologie Appliquée, qui a réuni récemment à Nancy près de 700 participants. Sa coordinatrice Anne-Sylvie André-Mayer nous offre un éclairage inédit sur ce sujet hautement sensible.

Des réserves en énergie fossile qui s’amenuisent de plus en plus, des sources d’eau douce qui se raréfient, des gisements métalliques qui s’épuisent, des sols fertiles qui disparaissent. Un questionnement, collectif, sociétal, international revient de manière lancinante depuis plusieurs années : existe-t-il vraiment un risque d’épuisement imminent des ressources de notre planète ? Vivons-nous à crédit sur nos ressources, oubliant au passage les générations futures ?

Nous nous concentrerons ici sur la gestion et l’exploitation des ressources métalliques, en gardant à l’esprit que celles-ci dépendent largement de nos choix en matière d’approvisionnement énergétique. Ainsi, en 2013, un article publié dans Nature Geoscience 1 proposait une analyse saisissante de l’impact qu’aurait sur les besoins en matières premières la mise en place d’une transition énergétique basée sur les énergies renouvelables. On y apprenait notamment que la construction des installations solaires et éoliennes multiplierait entre 2 et 10 fois notre consommation actuelle de métaux rares et de matériaux de base dans les 35 prochaines années : 10 fois plus pour le verre, de 6 à 10 fois plus pour l’aluminium, de 2 à 6 fois plus pour l’acier et de 2 à 5 fois plus pour le cuivre.

Exploitation du lithium du Salar de Uyuni
Exploitation du lithium (chlorures) du Salar de Uyuni en Bolivie, le plus grand gisement au monde.
Exploitation du lithium du Salar de Uyuni
Exploitation du lithium (chlorures) du Salar de Uyuni en Bolivie, le plus grand gisement au monde.

Mais qu’entend-on au juste par ressource ?

Cette notion est en fait étroitement liée à celle de besoin ; qu’il s’agisse de besoins primaires – comme se nourrir ou se loger – ou secondaires – comme téléphoner ou se divertir. Or ces besoins ont augmenté de manière exponentielle depuis les trois derniers siècles, notamment en termes de ressources métalliques. Toutefois, à l’instar de la société, les besoins évoluent.

Un métal
répondant
aujourd’hui
à un besoin sera
peut-être
considéré comme
inutile demain.

Ainsi une roche/minéral/métal répondant aujourd’hui à un besoin sera peut-être considérée comme inutile demain, cessant alors d’être considérée comme une ressource. Quoique particulier, le cas de l’amiante, passé en quelques années du statut de ressource à celui de poison, illustre bien ce phénomène. On peut aussi prendre l’exemple des micas : ces minéraux qui étaient hier utilisés de manière intensive pour l’utilisation des tubes cathodiques de nos bons vieux écrans de télévision et qui ont vu leur utilité diminuer de manière drastique avec l’apparition des nouvelles technologies, plasma, LCD et LED.

On notera que, réciproquement, une roche « inutile » aujourd’hui peut constituer une ressource dans le futur. Bref, une ressource n’en est une qu’à un moment donné. Admettre ce fait est primordial dès que l’on veut envisager une exploitation durable des ressources minérales.

Existe-t-il une limite quantitative terrestre de nos ressources minérales ?

Le débat sur l’épuisement des ressources minérales de la planète se nourrit de la confusion qui existe entre les notions de ressources et de réserves. Ces dernières, correspondant aux ressources accessibles dont l’extraction est considérée comme économiquement rentable à un instant donné, elles dépendent uniquement de facteurs techniques, et de décision économique ou politique. Si l’on fait abstraction des facteurs techniques, environnementaux, géopolitiques, réglementaires ou industriels influençant l’approvisionnement en minéraux, les ressources minérales totales recélées par la Terre dépassent certainement les besoins de l’humanité sur la durée de son existence.

Industrie miniere, mine de cuivre a ciel ouvert Kennecott, KUC, exploitation
Mine de cuivre à ciel ouvert de Bingham Canyon dans l’Utah (États-Unis).
Industrie miniere, mine de cuivre a ciel ouvert Kennecott, KUC, exploitation
Mine de cuivre à ciel ouvert de Bingham Canyon dans l’Utah (États-Unis).

Il n’en demeure pas moins que l’exploitabilité de ces ressources sera toujours dépendante de la quantité d’énergie à fournir ainsi que des technologies développées pour y accéder. L’homme, grâce à la recherche scientifique et aux progrès techniques, accède régulièrement à de nouvelles ressources entraînant ainsi l’exploitation de gisements de plus en plus difficiles d’accès et aux teneurs minérales de plus en plus basses, et qui étaient autrefois non rentables. L’exploitation des ressources minérales se limite ainsi aujourd’hui à la couche la plus superficielle de la planète : les mines les plus profondes atteignant 5 kilomètres, alors que le rayon terrestre est de 6 371 kilomètres !

Où trouver les réserves métalliques de demain ?

À condition de développer les techniques de recyclage, on peut envisager les villes comme de véritables mines urbaines, où nos déchets d’aujourd’hui pourraient demain devenir de véritables minerais.

La rareté des
ressources
minérales n’est
ni physique
ni géologique,
elle est politico-
économico-
environnementale.

Autre piste, l’océan, qui couvre 71 % de la surface de la Terre, et dont les ressources minérales sont encore relativement peu connues ; qu’il s’agisse de l’eau de mer ou des fonds océaniques couverts de sédiments et de champs hydrothermaux qu’on suppose riches en minerais et nodules polymétalliques. L’accès à ces richesses pourrait un jour devenir critique pour les besoins mondiaux en énergie et matières premières. Par exemple, le lithium, élément indispensable des batteries, est exploité principalement dans les salars sud-américains. Ces dernières années, son prix à la tonne a explosé, passant de 350 à 3 000 dollars. Ce niveau de prix permet d’envisager de nouvelles sources d’approvisionnement telles que l’eau de mer qui constitue une réserve considérable pour ce métal.

Enfin, pour l’anecdote, on peut évoquer ces sociétés minières qui cherchent actuellement à établir le potentiel minier de certains astéroïdes… Quoiqu’aucune technique ne soit encore disponible pour « miner » ces corps célestes.

Usine de recyclage, récupération de l'aluminium
Récupération de l'aluminium broyé à l'usine de recyclage Sita de Feyzin.
Usine de recyclage, récupération de l'aluminium
Récupération de l'aluminium broyé à l'usine de recyclage Sita de Feyzin.

Préserver le futur ?

La rareté des ressources minérales n’est donc en définitive ni physique ni géologique, elle est politico-économico-environnementale : elle dépend avant tout du coût énergétique, environnemental et sociétal que nous sommes prêts à payer pour y accéder. Dans ce contexte, on peut se demander s’il est vraiment raisonnable d’envisager une conservation des ressources pour les générations futures. Un tel raisonnement repose sur une vision statique de la société et des techniques. Il serait plus pertinent de raisonner de manière dynamique en prenant en compte l’évolution inévitable – mais également imprévisible – de nos besoins et donc des ressources. Concrètement, plutôt que de ménager à nos descendants un accès réservé à la ressource pétrolière actuelle, il serait certainement plus judicieux de leur permettre de pouvoir produire de l’énergie pour assurer leurs besoins (chauffage, déplacement, etc.) indépendamment de la ressource utilisée.

Pour en savoir plus sur le 13e congrès de la SGA : http://sga2015.blog.univ-lorraine.fr/

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes
  • 1. Vidal et al., 2013.

Commentaires

2 commentaires

Bonjour, Mais l'accès à toutes ces ressources minérales nécessite toujours de l'énergie et même de plus en plus quand on a exploité celles dont l'accès était le plus aisé. C'est donc la ressource énergétique sur laquelle nous devrions nous concentrer, notamment en prenant en compte l'énergie nette produite par les différentes sources d'énergie + leur facilité d'usage. De ce point de vue, le pétrole me parait incomparable aux autres sources d'énergie encore que son rendement énergétique diminue avec le temps. La stagnation de la production de pétrole conventionnel (dixit l'AIEA) est donc inquiétante. Étonnement on en parle beaucoup bien que du dérèglement climatique alors que les 2 problèmes sont intimement liés.

Bonjour, L'argument du progrès technique est un peu court. À ce propos l'article se contredit lui-même (dans la même phrase !) : « La rareté des ressources minérales n’est donc en définitive ni physique ni géologique, elle est politico-économico-environnementale : elle dépend avant tout du coût énergétique ». Le coût énergétique ne dépend pas de la physique ? Alors qu'avec un baril de pétrole on pouvait en extraire 50, maintenant avec les nouveaux types de gisement (en Alberta par exemple) on en extrait 4. Est-ce cela le progrès technique ? Quant à parler de recyclage, c'est également une activité très demandeuse d'énergie. Retour à la case départ : où la trouvons-nous ?
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