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Un câble sous-marin pour étudier la faille au pied de l'Etna

Un câble sous-marin pour étudier la faille au pied de l'Etna

28.12.2020, par
Mis à jour le 05.01.2021
Le câble de six kilomètres de long a été déployé et ensouillé en utilisant une charrue, spécifiquement conçue par l'Ifremer, déplacée par le ROV Victor 6000.
Alors que l'Etna vient d'entrer en éruption, en octobre, une mission sous-marine a eu lieu à quelques encablures du volcan. Son objectif: mieux comprendre les processus à l’œuvre près de la faille sismique... grâce à la technique de l'interférométrie laser qui n'avait pas encore été employée à ces fins.

C’est une grande première qui a eu lieu en octobre, lors de la campagne océanographique « FocusX1 » menée à bord du navire de recherche Pourquoi Pas ? de la flotte océanographique française : une technologie à base d’interférométrie laser a été installée au fond  de la mer Méditerranée, à 2 100 mètres de profondeur et à une trentaine de kilomètres de la métropole sicilienne Catane et de son million d’habitants. Objectif : surveiller et surtout mieux comprendre une faille sismique sous-marine. Et pas n’importe laquelle : la faille de nord Alfeo. À une dizaine de kilomètres du flanc est immergé du volcan sicilien Etna, qui culmine à 3 300 m, cette faille sous-marine mesure 80 km de long au fond de la mer Ionienne.
 

Cartographie dite micro-bathymétrique ultra-haute résolution, effectuée par le ROV Victor6000.
Cartographie dite micro-bathymétrique ultra-haute résolution, effectuée par le ROV Victor6000.

Par le passé, cette région volcanique du sud de l’Italie a déjà été très éprouvée par plusieurs séismes meurtriers : en 1693, la terre a tremblé plus au sud de Catane, avec une magnitude de 7,5 sur l’échelle de Richter, ce qui a causé un tsunami et fait 40 000 morts. Pire encore : en 1908, le séisme de Messine, 100 km plus au nord, a tué 72 000 personnes.

Les secrets de la faille

Ce nouveau dispositif va permettre d’en savoir plus sur la faille nord Alfeo, partie nord d’un système de failles actives sur le flanc sud-est du mont Etna, le plus haut et plus actif volcan d’Europe. D’une longueur totale de 150 km, ce système a été cartographié pour la première fois lors de deux campagnes océanographiques, menées en 2013 et 2014 par les scientifiques brestois et leurs partenaires allemands de Geomar, à Kiel. La faille nord Alfeo est dite « décrochante » : le bloc à l’est se déplace vers le sud-est, le long de la faille, en coulissant. C’est le même type de mouvement que la faille nord-anatolienne (Turquie - Istanbul) ou que la faille de San Andreas (Californie). Passant à moins de 20 km de Catane (une région urbaine d’environ 1 million d’habitants), elle pose potentiellement un risque sismique majeur.
 

La connexion du câble en fibre optique, par 2000 mètres de fond, à l'observatoire EMSO de l'Institut physique de Catane s'est déroulée avec succès.
La connexion du câble en fibre optique, par 2000 mètres de fond, à l'observatoire EMSO de l'Institut physique de Catane s'est déroulée avec succès.

« Les failles sismiques présentent plusieurs comportements possibles, explique le tectonicien Marc-André Gutscher, directeur à Brest (Finistère) du Laboratoire Géosciences Océan (LGO)1 au sein de l’Institut universitaire européen de la Mer (IUEM)2. Elles peuvent par exemple glisser lentement et tranquillement, comme certains tronçons de la faille de San Andreas. Dans ce cas, les séismes se produisent sans que l’on s’en aperçoive. »
 
Les failles peuvent aussi avoir de petits mouvements irréguliers, provoquant de faibles séismes à des fréquences variables, en années ou décennies. Mais le pire scénario, redouté des spécialistes, est un blocage « pendant plusieurs années, voire plusieurs siècles. Un jour, les contraintes se relâchent brutalement, et causent un tremblement de terre de grande ampleur. » Cela ne semble pas être le cas ici : en 2018, une équipe de scientifiques allemands a en effet estimé le lent effondrement de la pente est de l’Etna dans la mer Méditerranée, à quatre centimètres d’avril 2016 à juillet 2017.

Une technologie innovante

Jusqu’ici, l’interférométrie laser servait plutôt à assurer le suivi, avec une grande précision, de la santé structurelle de grands ouvrages tels que des ponts, des barrages ou encore des tunnels. C’est elle aussi qui permet, via des instruments hors norme, de détecter des ondes gravitationnelles, minuscules déformations de l’espace-temps. Ici, l’utilisation de la technique de réflectométrie laser par effet Brillouin (BOTDR) consiste à «  interroger » la fibre optique en y injectant des impulsions laser. En s’y diffusant, celles-ci donnent une « carte d’identité optique » de la fibre, sensible à la moindre perturbation mécanique ou thermique extérieure.

Le câble de six kilomètres de long a été déployé et ensouillé en utilisant une charrue, spécifiquement conçue par l'Ifremer, déplacée par le ROV Victor 6000.
Le câble de six kilomètres de long a été déployé et ensouillé en utilisant une charrue, spécifiquement conçue par l'Ifremer, déplacée par le ROV Victor 6000.

Ainsi, un opérateur du port de Catane peut localiser tout mouvement de l’ordre de 50 micromètres (un tiers de l’épaisseur d’un cheveu), à une distance de plusieurs dizaines de kilomètres, avec une marge d’erreur d’un mètre. Cette technologie n’a jamais été appliquée à l’étude des failles sous-marines. On doit cette prouesse à Marc-André Gutscher, qui a eu l’idée de déployer un câble en fibre optique en mer Méditerranée, au pied du flanc est du mont Etna, et traversant la faille de nord Alfeo en quatre endroits. D’ici les cinq prochaines années, le dispositif déployé va permettre d’observer la déformation du fond de la mer, dans le cadre du projet novateur ERC Focus3, financé par l’Europe à hauteur de 3,5 millions d’euros.

Deux années ont été nécessaires pour concevoir et rassembler l’ensemble du matériel et des instruments optiques et acoustiques. Si le câble est de conception franco-norvégienne, l’équipe de Marc-André Gutscher a dû mettre au point une connectique spéciale, adaptée à la pression des grands fonds et aussi à l’observatoire câblé sous-marin déjà existant, le Test Site South (TSS) de l’Institut de physique de Catane (INFN-LNS). Pour calibrer ce dispositif technologique et être capable d’interpréter les signaux laser en termes de déformation du sous-sol sous-marin, huit balises acoustiques Canopus, qui se parlent et s’écoutent en permanence, ont aussi été déployées de part et d’autre de la faille : ce sont des stations géodésiques fond de mer, développées et testées par Jean-Yves Royer, du laboratoire LGO, en collaboration avec la société iXblue.

Pour être certains de la fiabilité des signaux qu’ils reçoivent, les scientifiques ont aussi prévu des boucles de mesures. Une redondance qui leur permettra de s’affranchir d’éventuels artefacts.
Restait à déployer tout ce matériel au fond de la mer, ce qui a donc été réalisé du 6 au 21 octobre 2020. Partie de Toulon (Var), l’équipe a piloté le robot sous-marin Victor 6000 de l’Ifremer, chargé d’enfouir ce câble de près d’un centimètre de diamètre, dans 20 cm de profondeur de sédiments, et à l’aide d’une charrue spécialement mise au point.

Des idées pour l'avenir

La campagne est un succès : grâce aux 600 000 euros de matériel déposé au fond de la mer Méditerranée, l’observatoire du port de Catane reçoit désormais en temps réel les échos des signaux lumineux circulant dans la fibre. Ses techniciens scrutent maintenant le moindre signal synonyme d’un mouvement de la faille (entre 1 et 2 cm) et de son activité.

Le géophysicien Marc-André Gutscher (à gauche), avec son partenaire scientifique Giovanni Barreca de l'université de Catane, à bord du Pourquoi pas ? lors de la campagne FocusX1
Le géophysicien Marc-André Gutscher (à gauche), avec son partenaire scientifique Giovanni Barreca de l'université de Catane, à bord du Pourquoi pas ? lors de la campagne FocusX1

Marc-André Gutscher espère maintenant pouvoir mener deux nouvelles campagnes océanographiques : « Focus G1 », à l’été 2021, pour des levés géodésiques du fond. Avant « Focus X2 », au début de l’année 2022, cette fois pour déployer un réseau de 25 sismomètres au fond de la Méditerranée. Celui-ci devrait être complémentaire d’un réseau terrestre piloté, lui, par l’Institut national de géophysique et de vulcanologie italien. Sont également prévus, le carottage de sédiments, de la sismique légère et de la paléosismologie, c’est-à-dire la caractérisation de sa sismicité à long terme, ou bien encore l'image de la déformation enregistrée dans les sédiments des fonds marins peu profonds.4

Si cette percée technologique au large de la Sicile se confirme dans les prochaines années, on pourrait imaginer mettre à profit les réseaux de câbles de télécommunication mondiaux en un réseau sismologique à l’échelle de la planète. ♦
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/ Univ. Bretagne occidentale/Univ. Bretagne-Sud
  • 2. CNRS/UBO-Université de Bretagne occidentale à Brest (Finistère)/UBS-Université de Bretagne-Sud à Vannes (Morbihan).
  • 3. ERC pour European Research Council, Focus pour Fiber Optic Cable Use for Seafloor studies of earthquake hazard and deformation
  • 4. Outre la société technologique de fibre optique Idil à Lannion (Côtes-d’Armor) et l’Ifremer (unités Géosciences Marines et Recherches et Développements Technologiques), les partenaires internationaux du projet Focus sont basés à Kiel (Allemagne, Geomar et université), à Rome (Italie, INGV) et à Catane (université et laboratoire de physique INFN-LNS).

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