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Pourquoi la terre tremble-t-elle en Italie ?
(Note : Le centre de l'Italie a été frappé dimanche 30 octobre vers 7 h 40 par un nouveau séisme, ressenti jusqu’à Rome. De magnitude 6,5, la secousse est la plus forte dans la péninsule depuis 1980. Deux secousses de magnitude 5,5 puis 6,1 avaient déjà touché le centre de l'Italie mercredi 26 octobre, deux mois après le tremblement de terre qui avait tué près de 300 personnes dans la même région et à la suite duquel nous avions publié cette interview.)
Comment qualifier le tremblement de terre qui vient de frapper l'Italie (NDLR : séisme du 24 août) ?
Lucilla Benedetti1 : Il s’agit d’un tremblement de terre en « failles normales », des failles qui sont générées par un écartement, contrairement aux failles dites « inverses », qui, elles, sont créées par une collision entre deux plaques. Sur toute la chaîne des Apennins où le séisme a eu lieu, nous avons énormément de failles normales qui produisent des tremblements de terre depuis des années. Le séisme de L’Aquila en 2009 et celui d’Assise en 1997 étaient sur des failles normales alors que celui de Ferrara en 2012 était plutôt lié à une faille inverse. Cette partie de la chaîne des Apennins est en train de s’écarteler entre la plaque tyrrhénienne et la plaque adriatique.
Quels sont les mouvements de plaques qui provoquent cet écartèlement ?
L.B. : L’Afrique, au sud de la Sicile, est actuellement en train de converger vers le nord à une vitesse d’environ 5 à 7 mm par an. Entre l’Afrique et l’Europe « stable » (l’Europe continentale jusqu’aux Alpes), il y a toutes sortes de microplaques – dont la microplaque adriatique, qui elle entame une rotation antihoraire, ce qui pousse cette région des Apennins à s’ouvrir. Toutes les stations géodésiques – il y en a énormément le long des Apennins – montrent qu’il y a un mouvement divergent, qui s’écarte, à une vitesse d’environ 3 mm par an, par rapport à une zone tyrrhénienne qui est beaucoup plus stable. C’est la rotation de cette microplaque adriatique qui crée tous ces tremblements de terre – et notamment celui de 1980 à Irpinia dans la région de Naples, événement qui a vraiment réveillé l’Italie quant aux risques sismiques.
En termes de profondeur et d’intensité, que peut-on dire de ce séisme ? Et des futures répliques ?
L.B. : C’est un séisme très superficiel, entre 5 et 10 km de profondeur, ce qui explique des dégâts aussi importants. L’épicentre du choc principal est un peu au nord de la ville d’Amatrice, et les répliques sont en train de se propager vers le nord – on en enregistre beaucoup actuellement, mais il est impossible de dire si cela va s’accélérer, s’il va y avoir un choc encore plus au nord… Ce que nous savons très bien maintenant, c’est que la faille qui a rompu fait environ 20 km de longueur, et elle ne semble pas se poursuivre vers le nord. Mais elle pourrait se propager sur une autre faille qui se trouve plus au nord. Au sud, nous sommes assez proche de la rupture qu’il y a eu à L’Aquila en 2009.
Est-ce que ce qui s’est passé à L’Aquila a effectivement généré un surplus d’énergie sur les failles qui rompent aujourd’hui ? Il faudra modéliser les données actuelles pour le dire. Ce qui est sûr, c’est que nous avons toutes ces failles qui rompent les unes après les autres le long des Apennins depuis les mille dernières années, comme l'indique la forte sismicité historique, sur une échelle de temps un peu longue à l’échelle humaine (tous les 10-15 ans), mais quasi instantanée à l’échelle sismique.
Quels sont les travaux de recherche menés sur le terrain pour mieux comprendre ces séismes ?
L.B. : Notre équipe travaille depuis presque 15 ans sur cette région des Apennins centrale. Ce que nous cherchons à faire, c’est identifier les séismes du passé sur toutes ces petites failles. Nous essayons de les cartographier de façon très précise pour pouvoir vraiment bien caractériser les failles que l’on voit dans le paysage avant qu’elles ne produisent des tremblements de terre. Ensuite, nous allons sur le terrain faire des prélèvements pour dater les séismes qui se sont produits au cours des 20 derniers milliers d’années. On a pu montrer dans la région au sud de l’Aquila que les séismes ne se répètent pas de façon périodique – comme on pourrait le croire – mais par des périodes de grappes de séismes : quelques centaines d’années sur une même zone, puis rien pendant plusieurs milliers d’années.
C'est ce que nous vivons actuellement…
L.B. : Oui, depuis 50 ans, il y a énormément de séismes. Est-ce que nous sommes à la fin d’une séquence d’intense activité sismique ou en plein milieu ? Est-ce que c’est uniquement sur cette région, ou cela va-t-il se propager au nord ou au sud ? C’est sur ces questions que nous sommes en train de nous pencher. Nous travaillons beaucoup avec des collègues italiens qui cherchent, eux, à modéliser ce type de séquence sismique sur une échelle beaucoup plus courte – les 5 ou 20 dernières années. Ils cherchent à savoir si un tremblement de terre sur L’Aquila aurait pu avoir des conséquences sur la zone du séisme actuel. Pour cela, ils ont besoin des données de taille de faille, qui sont essentielles pour modéliser la magnitude que les secousses peuvent avoir. Nous travaillons beaucoup avec les chercheurs de l’OGS2 de Trieste et l’INGV3 à Rome et l’université de Chieti-Pescara.
Combien de temps on duré les répliques après le séisme de L’Aquila en 2009 ?
L.B. : Nous avons eu des répliques fortes – dont quelques-unes de magnitude 5 – pendant environ deux mois, et une atténuation sur six mois. Nous verrons donc des répliques ici aussi, s’il ne se passe pas autre chose.
Et la prévisibilité des séismes est toujours une question délicate.
L.B. : On ne peut pas prédire, mais on peut être mieux préparé. Pour nous, chercheurs, la question de la prédiction est présente ; c’est pour cela que l’on fait ce métier, mais je ne pense pas que je le verrai de mon vivant. Par contre, toutes ces données dont je vous ai parlé sont fondamentales pour mieux s’y préparer. Savoir qu’il s’agit de failles qui font maximum 20-30 km contre 50 km est fondamental, parce que cela nous donne la magnitude maximale possible. Est-ce que deux segments de faille de 15 km chacun peuvent rompre en même temps sur un même séisme ? Nous avons besoin des données sur les tremblements de terre qui se sont produits pour essayer de répondre à ces questions. On voit que la faille qui vient de rompre faisait 20 km ; si nous avons bien cartographié, nous pouvons dire à cette population que la magnitude ne sera pas au delà de 6,5 ou 7, ce qui est important pour définir les normes de construction parasismiques.
En parlant de construction, et vous qui connaissez bien la région, il est difficile d’avoir un village historique construit avec des normes parasismiques.
L.B. : Ce sont des villages qui ont 200 ans, parfois beaucoup plus. On ne peut pas dire aux gens de tout détruire pour reconstruire en parasismique. C’est très compliqué, ce sont des éperons rocheux avec au-dessus ces villages magnifiques adossés à la pierre et la montagne. On ne peut pas réadapter tous ces édifices. Il y a des choses à faire, et c’est fait car manifestement les nouvelles constructions ont résisté. Il y a aussi quelque chose de très important, c’est de bien expliquer aux gens qu’ils vivent dans une zone à risque sismique. Nous travaillons beaucoup maintenant sur le lien entre science et société pour transmettre ce que nous savons aux populations sur place, ce que nous ne faisions pas nécessairement avant. Nous avons d’ailleurs un projet dans le cadre d’un Labex (OT Med) où nous allons travailler avec les populations sur place pour que les gens nous disent comment eux vivent dans cette région, et pour essayer d’améliorer justement toute cette question d’aménagement du territoire.