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Connaissez-vous les séismes lents?
Pendant longtemps, les sismologues ont cru qu’il existait deux échelles de temps sismique : le temps (très) long de la déformation des plaques continentales, pendant lequel l’énergie sismique s’accumule, et le temps court du séisme, qui relâche en quelques secondes toute l’énergie stockée pendant des centaines, voire, des milliers d’années… Que se passait-il entre deux séismes – entre deux moments de rupture, donc ? Rien, en théorie. « L’observation des premiers séismes lents, il y a quinze ans, a complètement bousculé cette vision des choses, raconte Michel Campillo, sismologue à l’Institut des sciences de la Terre (Isterre). On sait désormais qu’il existe des phénomènes transitoires, qui peuvent durer de plusieurs semaines à plusieurs mois et se produisent sans secousses perceptibles. » Une discrétion qui explique pourquoi ils étaient passés complètement inaperçus jusque-là…
80 % des plus gros séismes de la planète, de magnitude supérieure à 6, se produisent au niveau des zones de subduction, dans la zone limite où les plaques océaniquesFermerLe plancher océanique ne cesse de se renouveler au niveau des dorsales médio-océaniques ; plus denses que les plaques continentales qui le bordent, les plaques océaniques s’enfoncent sous celles-ci avant de plonger dans le manteau terrestre. plongent sous les plaques continentales voisines. Deux cas de figure sont alors possibles : soit la plaque océanique coulisse sans difficulté apparente sous la plaque continentale, soit elle « accroche » et pousse contre cette dernière, provoquant sa lente déformation et l’accumulation de l’énergie qui, comme un ressort qui se détend brusquement, sera relâchée lors du prochain séisme. C’est dans ces zones de subduction, souvent fortement sismogènes, qu’ont été observés tous les séismes lents jusqu’à ce jour.
Des mesures GPS en continu
« Les premiers séismes lents ont été repérés en 2001 dans la chaîne des Cascades située juste derrière Vancouver, au Canada, raconte Nikolaï Shapiro, sismologue à l’Institut de physique du globe de Paris. Puis on en a observé au Japon, en Nouvelle-Zélande, au Costa-Rica ou encore au Mexique, pas loin d’Acapulco… » Leur régularité de (quasi) métronome n’a de cesse de troubler les spécialistes : « Dans les Cascades, ces séismes lents durent quinze jours et se répètent tous les quatorze mois en moyenne ; au Mexique, où la plaque océanique converge à grande vitesse vers la plaque continentale – à un rythme d’environ 6 centimètres par an –, ils durent six mois et se produisent tous les quatre ans », détaille Nikolaï Shapiro.
C’est grâce aux progrès des mesures GPS qu’on a pu les identifier. « Les positions relevées sont devenues tellement précises, à quelques millimètres près, qu’elles permettent désormais de faire des enregistrements en continu », explique Frédérique Rolandone, géophysicienne spécialiste de la géodésieFermerLa géodésie est la science qui mesure et représente la surface terrestre, calcule les distances entre différents points sur la Terre et les mouvements de la croûte terrestre. à l’Institut des sciences de la Terre de Paris, sur le terrain en Équateur durant une année. Des réseaux de stations GPS ont donc été déployés pour enregistrer les mouvements des plaques à proximité des zones de subduction et pour estimer leur déformation. « Au Japon, pays le mieux appareillé à ce jour, on compte un millier de ces stations généralement espacées de 10 à 20 kilomètres », indique la chercheuse.
au Canada,
les séismes lents
durent quinze
jours et se répètent
tous les quatorze
mois en moyenne.
Le principe de ces « profilages » GPS : si toutes les stations à la surface de la plaque continentale se déplacent à la même vitesse et dans la même direction que la plaque océanique qui plonge vers le manteau, alors il n’y a pas de déformation ; en revanche, si on constate des différences dans les vitesses enregistrées d’une station à l’autre, alors il y a déformation et, donc, augmentation des contraintes exercées sur la plaque continentale. « Là où cela devient intéressant, c’est que le sens dans lequel les stations se déplacent s’inverse durant les quelques poignées de seconde que dure un séisme, explique Nikolai Shapiro. Comme un élastique qu'on lâche après l'avoir tendu et qui part soudain dans l'autre sens. C’est en observant sur les relevés GPS des changements de direction de plusieurs semaines qu’on s’est douté qu’on avait affaire à un nouveau phénomène : les fameux séismes lents. »
S’ils sont lents et sont totalement indolores pour les populations qui vivent à proximité, ces séismes n’en sont pas pour autant négligeables. La quantité d’énergie qu’ils libèrent n’a en effet rien à envier à celle des gros séismes : les plus forts enregistrés l’ont été au Mexique et équivalent à des tremblements de terre de magnitude 7,5 sur l’échelle de Richter – soit plus que le dernier séisme en Haïti (7,3), qui a fait 200 000 morts et des dégâts considérables.
Des effets encore incertains sur les "vrais" séismes
Les scientifiques restent néanmoins partagés sur les conséquences de ces phénomènes sur le risque sismique de la zone concernée : est-ce que les séismes lents fonctionnent comme la soupape d’une cocotte-minute et éloignent, en relâchant un peu de pression, la survenue d’un « vrai » séisme dévastateur ? Ou, au contraire, est-ce qu’ils ajoutent au risque sismique en accentuant les déformations situées sur les segments de la faille situés à proximité ? « À Guerrero, près d’Acapulco, les séismes lents se produisent dans une “lacune sismique” : un endroit où aucun tremblement de terre n’a été enregistré depuis plus d’un siècle, et ce alors que toute la zone de subduction le long du Mexique est régulièrement secouée, indique Nikolaï Shapiro… Mais aujourd’hui, personne ne peut dire si cette absence d’activité est due aux séismes lents, ou si la survenue du prochain tremblement de terre n’est juste qu’une question de temps ! »
compris toutes les
implications de ces
glissements lents,
on sera en mesure
de mieux évaluer
le risque sismique
à moyen terme.
« Quand on aura compris toutes les implications de ces glissements lents, on sera en mesure de produire des bilans énergétiques beaucoup plus précis sur chaque segment de faille, et donc de mieux évaluer le risque sismique à moyen terme, espère Frédérique Rolandone. Mais il reste beaucoup de travail d’observation à faire d’ici là… » Le « catalogue » des séismes lents enregistrés à ce jour est en effet trop court pour tirer des conclusions définitives. Pour l’étoffer, il faudrait pouvoir déployer des réseaux de capteurs à proximité de toutes les failles de subduction – ce qui est encore loin d’être le cas. « En Équateur, une cinquantaine de stations GPS récemment installées ont permis d’observer les premiers séismes lents en 2010 », témoigne Frédérique Rolandone.
Autre enjeu pour les scientifiques : mettre en place des mesures GPS dans les zones maritimes, grâce à l’installation de GPS « fond de mer ». Certaines zones de subduction se situent en effet très au large des terres touchées par les séismes, ce qui rend l’estimation des déformations plus difficile : c’est le cas au Japon, mais aussi aux Antilles, où la faille se trouve à plus de 200 kilomètres des côtes. « En théorie, les ondes électromagnétiques envoyées par le satellite aux stations GPS ne traversent pas l’eau, explique Michel Campillo. Mais de nouveaux équipements contournent la difficulté, en couplant des émetteurs acoustiques posés au fond de la mer avec des bateaux équipés de GPS en surface. Certes, les relevés ne se font pas en continu, comme avec les stations GPS terrestres, mais ils devraient permettre d’affiner considérablement notre connaissance de ces phénomènes lents. » Déjà installés au large du Japon, des équipements de ce type seront également déployés dès l’été le long des côtes mexicaines… De quoi percer, peut-être, le mystère de la « lacune » de Guerrero.
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
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