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Le projet MYCOTRANS1, conclu en septembre 2024, aura sondé pendant 5 ans les rouages des échanges entre racines végétales et mycéliums du sol.
Partout sur les continents, jusqu’au moindre recoin obscur où survivent quelques herbettes, se cachent sous la surface du sol d’innombrables et minuscules “marchés biologiques” souterrains. S’y échangent des sucres et des lipides, fabriqués par les plantes, contre des sels minéraux et de l’eau fournis par les champignons, omniprésents dans les sols. Ces “marchés” se nomment les “mycorhizes” (du grec “mukês”, “champignon”, et “rhiza”, “ racine”), et prennent la forme de milliards de fascinants petits organes coconstruits par les deux partenaires, traversés dans les deux sens par de grandes quantités de matière. On estime ainsi que les plantes peuvent concéder jusqu’à 40% de leur production de sucre aux champignons qui les entourent, en “paiement” de leurs services !
Ce sont ces échanges, dont la régulation et les modalités détaillées sont encore mystérieux, qui passionnent Sabine Zimmermann, biophysicienne de formation, spécialisée dans l’étude des transports à travers les membranes cellulaires, et chercheuse CNRS à l’Institut des Sciences des Plantes de Montpellier2. De cet intérêt est sorti le projet MYCOTRANS, démarré en 2020 avec un financement ANR et achevé en 2024, qu’elle a coordonné.
“Nous voulions produire des connaissances fondamentales sur ces échanges champignons/racines, qui sont d’une importance énorme puisqu’aucune plante ne vit seule dans le sol : il y a partout des bactéries et des champignons, qui sont parfois pathogènes, mais très souvent symbiotiques. Et ces symbioses vont être amenées à jouer un grand rôle dans l’adaptation au changement climatique et aux sécheresses à venir, sans parler de leur capacité à protéger contre les pathogènes.”
Pour en savoir plus sur les échanges entre champignons et plantes, les chercheurs de MYCOTRANS ont mobilisé les résultats et les outils les plus modernes, notamment la transcriptomique, qui déchiffre les ARN produits par l’activité des gènes, et la protéomique, qui analyse directement les protéines synthétisées. Ils ont choisi comme modèle l’association entre le pin maritime Pinus pinaster et le champignon Hebeloma cylindrosporum, une association qui prend la forme d’une ectomycorhize, autrement dit d’une symbiose nouée dans la racine, dans les espaces séparant les cellules les unes des autres.
Etapes pour la mise en place d’une expérience de culture de pin Pinus pinaster ©Muhammad Usman
“Cette association est d’une efficacité remarquable, commente Sabine Zimmermann : si l’on met en laboratoire la plante sur un milieu pauvre en potassium, l’on constate que l’ajout du champignon augmente de 35% la quantité de ce nutriment présente dans les racines ; autrement dit le champignon booste vraiment la capacité d’absorption du conifère.” Ce qui n’est pas une surprise : on sait depuis longtemps que certaines plantes poussent plus vite en présence du “bon” champignon que seules…
Co-cultures de jeunes plants de pin Pinus pinaster avec ou sans champignons sous différentes conditions de stress. ©Muhammad Usman
Parmi les nombreuses molécules qu’ils ont étudiées, les chercheurs ont été particulièrement intrigués par ce qui s’est avéré être un transporteur de zinc, baptisé HcZnT2. “C’est un système présent dans les membranes des champignons, indique Sabine Zimmermann, qui semble jouer un rôle important dans l’induction de la symbiose, sa mise en place : nous avons constaté dans une expérience que son expression était activée en présence de la plante dans un milieu liquide, sans même qu’il y ait contact, en à peine 48 heures.”
Expérience d’interaction à court terme (48 h) entre les racines du pin Pinus pinaster et du champignon H. cylindrosporum par rapport au champignon seul sous différentes concentrations de zinc. ©Muhammad Usman
Ce transporteur ne se limiterait donc pas à gérer les concentrations en zinc, c’est à dire à permettre à la plante d’absorber cet élément lorsqu’il est rare, et à la protéger contre sa toxicité lorsqu’il est trop concentré. Il permettrait aussi à la symbiose de s’établir, et jouerait donc un rôle de signalisation en plus de sa fonction de transport !
“Une hypothèse suggérée par nos résultats, mais qui reste à démontrer formellement”, tempère Sabine Zimmermann. HcZnT2 est quoiqu’il en soit un composé-clé pour cette symbiose, car sur les 37 gènes de transporteurs activés par la mise en présence de la plante et du champignon que l’équipe a identifiés, son expression était le plus active après les trois premières semaines, et il continuait à avoir une expression significative même au bout de six mois !
Dans la partie plus protéomique du projet, conduite par Claude Plassard de l’UMR Montpelliéraine Eco & Sols, les chercheurs ont analysé les protéines du champignon en présence et en absence de la plante. Leurs résultats suggèrent que le pin jouerait un rôle significatif dans la régulation du flux de phosphate chez son partenaire, en augmentant la phosphorylation des transporteurs. Une forme de régulation supplémentaire, donc, indépendante du mécanisme plus "classique" de l’expression des gènes.
Si le projet n’a certes pas percé tous les mystères de la symbiose mycorhizienne, il a produit à la fois des outils (identification et caractérisation de transporteurs, constructions génétiques pour les étudier…) et des pistes conceptuelles à explorer pour mieux comprendre les mécanismes à l'œuvre. Avec plusieurs articles publiés ou en cours de préparation, les chercheurs espèrent avoir contribué à la transition vers une foresterie et surtout une agriculture plus durable, construites sur une maîtrise fine des régulations biologiques, plutôt que sur le recours massif aux intrants.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR MYCOTRANS - AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).
- 1. Le rôle des systèmes du transport membranaires fongiques induits par la symbiose ectomycorhizienne – MYCOTRANS : https://anr.fr/Projet-ANR-19-CE20-0025
- 2. IPSIM – Unité CNRS / INRAE / Université de Montpellier