Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Par le réseau de communicants du CNRS

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Un sandwich moléculaire, ça vous aimante ?
19.06.2025, par Anaïs Culot pour la Délégation CNRS Île-de-France, Gif-sur-Yvette

Concevoir des aimants moléculaires capables de fonctionner à des températures plus élevées passe par l’exploration de nouvelles architectures à base de terres rares. C’est ainsi qu’une équipe de recherche ouvre la voie à des dispositifs miniaturisés pour le stockage de données et, à plus long terme, pour l’informatique quantique.

Des moteurs éoliens aux écouteurs, des disques durs aux cartes de métro : les aimants sont des acteurs discrets de notre quotidien technologique. Et si demain, leur pouvoir pouvait se concentrer à l’échelle d’une molécule ? C’est le pari des aimants moléculaires. Imaginez que si une molécule jouait le rôle d’un bit informatique, un simple gramme de matière suffirait en théorie à stocker l’équivalent de plusieurs disques durs.

La miniaturisation extrême du stockage semble donc à portée de main. Sauf qu’il y a un hic : ces aimants moléculaires ne fonctionnent bien qu’à des températures très basses, proches du zéro absolu. Pour s’en affranchir, de nouveaux objets doivent être imaginés. C’est là qu’entre en scène le projet RelaxMax, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui soutient l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.

Un magnétisme taillé sur mesure

Un aimant moléculaire est une sorte de sandwich composé de deux ingrédients : un atome métallique - généralement de la famille des terres rares - enrobé de ligands, des molécules organiques issues du vivant. « Le bon positionnement des ligands détermine le comportement magnétique de la molécule », précise Grégory Nocton, chercheur CNRS au Laboratoire de chimie moléculaire (LCM[1]) et porteur du projet.

L’un des paramètres les plus cruciaux de ce complexe organométallique ? La relaxation magnétique, c'est-à-dire la vitesse à laquelle il perd son aimantation. Plus cette relaxation est lente, plus la molécule peut « mémoriser » un état magnétique sur le long terme et ainsi stocker une information. Pour ralentir cette perte d’aimantation, tout est question de chimie de précision : de la géométrie autour du métal au choix des ligands pour apporter la bonne dose de stabilité.

Le pari d’une chimie audacieuse

Les travaux de RelaxMax ont permis d’avancer sur des points fondamentaux apportant une meilleure compréhension de ce qui rend une molécule magnétique. L’équipe de recherche a notamment misé sur des ligands peu étudiés. « Ces choix originaux nous ont permis d’être parmi les premières équipes au monde à fabriquer une molécule divalente qui se comporte comme un aimant », souligne Grégory Nocton.

Quèsaco ? Jusque-là, les aimants moléculaires s’appuyaient sur des terres rares trivalents. Cela signifie que l’élément au cœur de la molécule cède toujours trois électrons aux ligands qui l’entourent. Ce troc contribue à la capacité magnétique de la molécule. Or, dans ce projet, les chimistes sont parvenus à stabiliser leur aimant basé sur un atome de lanthanide – le cœur du sandwich – dans un état qui lui permet de n’échanger plus que deux électrons avec ses voisins organiques. Un état tout à fait inhabituel pour cet atome.

Ce petit électron de différence n’a rien d’anodin. Il permet à la molécule obtenue de conserver son aimantation toute seule, même sans champ magnétique appliqué. Cette propriété appelée « rémanence magnétique » est essentielle pour que les aimants moléculaires servent un jour aux technologies de stockage de l’information.

Vers l’informatique du futur ?

Derrière cette prouesse de chimie fine, se cache un objectif à long terme : utiliser ces aimants moléculaires comme unités de mémoire, voire comme briques élémentaires d’ordinateurs du futur. Dans un ordinateur classique, chaque molécule pourrait stocker un bit — 0 ou 1 — en fonction de son état magnétique. Et si la molécule est bien conçue, elle peut rester dans cet état sans aide extérieure. Cela apporterait des économies de matière considérables.

Ces objets pourraient aussi servir en informatique quantique, où une molécule ne serait plus simplement 0 ou 1, mais les deux à la fois. Une difficulté majeure est alors d’isoler la molécule des autres. « Pour cela, nous cherchons à lui faire croire qu’elle est seule au milieu de rien, ce qui est faux et physiquement impossible », décrit Grégory Nocton. L’idée ? Rendre l’aimant « sourd » au bruit magnétique de son entourage en jouant à nouveau sur sa géométrie et sa synthèse. Car, moins il interagira avec les autres, plus il conservera ses propriétés magnétiques et quantiques. Mais, ça, ce sera l’affaire de nouveaux projets !

 
[1] CNRS/École polytechnique, à Palaiseau