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Alors que deux formes distinctes d’écriture se sont développées dans la seconde moitié du 4e millénaire avant J.-C. en Mésopotamie et en Égypte, il n’y a pas, jusqu’à présent, de trace d’écriture en Anatolie avant le tout début du 2e millénaire. L’écriture cunéiforme a été apportée par les marchands assyriens en Anatolie centrale et servait à transcrire leur langue.
Les 23 000 tablettes cunéiformes découvertes à Kültepe, l’ancienne Kanesh (non loin de la ville moderne de Kayseri), sont écrites dans la langue des Assyriens, de même que les 150 à 200 tablettes exhumées à Alishar, l’ancienne Amkuwa, et à Boğazköy, l’antique Hattush(a), toutes datées des XIXe et XVIIIe siècles avant J.-C. Quelques marchands locaux ont emprunté l’écriture et la langue des Assyriens ; leurs archives, composées d’une ou plusieurs dizaines de tablettes, ont été trouvées dans leurs maisons de la ville basse de Kanesh. Les rares lettres diplomatiques échangées entre souverains anatoliens datant de cette époque ont également été rédigées en assyrien à l’aide du syllabaire cunéiforme.
On peut se demander pourquoi les Anatoliens se sont contentés d’adopter l’écriture et la langue des Assyriens pour leurs propres besoins et n’ont pas tenté d’adapter l’écriture cunéiforme à leur propre langue comme l’ont fait les Hittites à partir de la fin du XVIIe siècle avant J.-C. et dont l’histoire a pu être reconstituée grâce à ces textes. Certains chercheurs ont suggéré qu’il existait déjà une forme d’écriture locale au début du 2e millénaire. Des signes visibles sur des empreintes de sceaux ainsi que des graffitis relevés sur trois vases découverts à Kültepe figureraient une forme archaïque des hiéroglyphes anatoliens dont on connaît l’usage à partir du dernier quart du XVe siècle pour transcrire la langue louvite.
Cette hypothèse n’est pas sans poser des problèmes. Si les rares signes découverts à Kanesh préfigurent les hiéroglyphes utilisés trois siècles plus tard, existerait-il une forme d’écriture suffisamment développée au tout début du IIe millénaire pour permettre la rédaction de documents comptables complexes mentionnés dans les textes cunéiformes ? Comment se fait-il que l’on en ait aucune trace ? Et comment expliquer alors que les Anatoliens utilisaient pour leurs propres besoins l’écriture cunéiforme et la langue assyrienne et non ces hiéroglyphes ? Alors que les Assyriens étaient installés dans la ville basse de Kanesh, les populations d’Anatolie ne semblent pas avoir l’usage d’une écriture propre permettant une expression complexe.
Entrée de la poterne de Yerkapı.
L’une des pierres de la poterne de Boğazköy présentant des hiéroglyphes découverts en août 2022. Photo: Mission Archéologique de Boğazköy.
Les inscriptions en louvite hiéroglyphique découvertes jusqu’à présent figurent sur des sceaux ou des monuments rupestres à caractère monumental. Mais au cours de l’été 2022, l’équipe d’Andreas Schachner qui fouille à Boğazköy, l’ancienne Hattusha, capitale des Hittites à environ 200 kilomètres à l'est d'Ankara, a découvert 249 signes bruns-rouges sur les pierres de la poterne de Yerkapı. Répartis sur les blocs du tunnel souterrain long de 80 m, ces signes auraient été peints à l’aide d’un colorant végétal sans doute vers la fin du XVe siècle avant J.-C.
Le relevé numérique de ces hiéroglyphes est en cours. D’après les premières observations, il ne s’agit pas d’une longue inscription narrative mais plutôt de graffitis, huit groupes de signes différents étant répétés à de nombreuses reprises. Selon le directeur de la fouille, l’histoire des Hittites est principalement connue grâce aux textes cunéiformes rédigés en langue hittite, mais il existait un système d’écriture propre à l’Anatolie, qui a survécu pendant plus de 400 ans à la chute de l’empire hittite, en particulier dans le sud-est de l’Anatolie. La découverte de ces graffitis suggère qu’au milieu du 2e millénaire la pratique de l’écriture hiéroglyphique louvite devait être plus répandue que ce qui avait été imaginé auparavant.
Hattusha, la capitale des Hittites, bien que fouillée en continue depuis plus d’un siècle n’a pas fini de livrer ses secrets. Mais la question relative à la date d’apparition de cette écriture hiéroglyphique en Anatolie demeure.
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du journal CNRS