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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Une vente aux enchères record pour un relief néo-assyrien
15.12.2018, par Cécile Michel
Mis à jour le 15.12.2018

Le 31 octobre 2018, un relief néo-assyrien inscrit a été vendu aux enchères chez Christie’s New York pour presque 31 millions de dollars. Cette vente record pour un artefact du Proche-Orient ancien risque malheureusement d’encourager fortement le trafic d’antiquités.

Il s’agit d’un panneau de gypse de plus de 2 mètres de haut provenant du palais d’Assurnazirpal II (883-859 av. J.-C.). Le palais est situé au nord-ouest du site de Nimrud (Irak, à 35 km au sud de Mossoul), l’ancienne Kalhu, l’une des capitales assyriennes. Ce relief représente un génie ailé, dont la tête rappelle celles des souverains assyriens du Ier millénaire ; ses cheveux et sa barbe sont finement bouclés ; il porte dans sa main gauche un récipient en forme de seau, et dans sa main droite une grenade. À l’origine, ces reliefs étaient peints de vives couleurs ; des traces de pigments découvertes sur des reliefs similaires permettent d’avoir une idée de l’aspect originel de ce relief.

Le relief est partiellement couvert d'un texte en cunéiforme désigné par les assyriologues comme l’« Inscription standard » d’Assurnazirpal II. En effet, ce panneau faisait partie d’un vaste ensemble qui décorait les murs du palais et cette inscription, qui commémore les conquêtes militaires du souverain, y était répétée sur plus de trois cents panneaux. Le texte débute par une titulature qui confirme la légitimité du roi, élu des dieux, et descendant d’une longue dynastie de souverains, et qui vante ses qualités guerrières. Viennent ensuite les principales campagnes militaires et la longue liste des territoires vaincus. Il s’achève avec la restauration de la ville de Kalhu, choisie par le roi comme nouvelle capitale, et une description minutieuse de la construction du palais « nord-ouest ». L’inauguration de la capitale fut célébrée par un banquet gargantuesque.
 © Christie’s Images Limited 2018Panneau en relief de Kalhu.

Comment ce relief s’est-il retrouvé dans une salle d’enchères ?

Kalhu a été explorée entre 1845 et 1851 par Austen Henry Layard, un jeune diplomate britannique, qui a rapidement abandonné le site pour s’intéresser à Ninive. Dès les premiers jours de fouilles, il trouve le palais nord-ouest et dégage rapidement une pièce couverte de grands reliefs néo-assyriens inscrits. Avec l’accord du Grand Vizir du sultan ottoman, Layard ne tarde pas à envoyer ses découvertes en Angleterre où elles forment le cœur de la collection assyrienne du British Museum. Un groupe de missionnaires américains travaillant à proximité s’intéresse aux découvertes du jeune britannique dont ils trouvent des échos dans la Bible, et en 1859, l’un d’eux, Henri Byron Haskell, achète plusieurs panneaux en relief, au prix de 75 $ pièce, pour les envoyer au Virginia Theological Seminary. Il en envoie également au Bowdoin College dans le Maine ; l’un de ceux-ci est aujourd’hui préservé au Metropolitan Museum of Art.

C’est ainsi, en vendant des antiquités, que Layard a en partie financé ses fouilles ; aujourd’hui, de nombreuses collections à travers le monde incluent des reliefs de Kalhu. Les reliefs monumentaux étaient exposés dans la bibliothèque du Virginia Theological Seminary, jusqu’à ce que, lors d’un contrôle en 2017, leur valeur a été réévaluée. Afin de pouvoir payer les primes d’assurance de ces panneaux et créer des bourses d’étude, l’institution s’est décidée à en vendre un.

Ces reliefs ayant été envoyés aux Etats-Unis au 19e siècle, ils ne sont pas concernés par la loi sur les antiquités entrée en vigueur en Irak en 1924, ni par la convention de l’Unesco du 14 novembre 1970 relative à la protection des biens culturels. Néanmoins, le Ministère Irakien de la Culture, par principe, a demandé la restitution du panneau avant sa vente aux enchères. Une telle vente est dramatique : non seulement elle risque de faire augmenter les prix des antiquités mésopotamiennes – alors même que leur vente est interdite –, mais en outre elle aura pour effet collatéral une incitation à multiplier les pillages déjà bien trop nombreux depuis une dizaine d’années.
 

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