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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Un roi substitut pour détourner les foudres divines
23.06.2024, par Cécile Michel
Mis à jour le 23.06.2024

Au soir des élections européennes, le Président de la République Française a décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale, laissant le pays dans un état de sidération. Il aurait pu tout aussi bien démissionner, cela aurait sans doute eu un effet similaire. En Assyrie, le roi choisissait parfois de disparaître, mais c’était alors pour sauver sa vie, et sa disparition était toute temporaire.

Dans l’ancienne Mésopotamie, avant d’entreprendre une action importante, le roi devait consulter les dieux et s’assurer de leur accord bienveillant, voire de leur soutien. Les astrologues royaux avaient pour tâche d’analyser les différents signes envoyés par les dieux, principalement en observant le mouvement des astres dans le ciel ou toute autre sorte de phénomènes météorologiques. Ils disposaient pour cela de longs traités d’astrologie dont le principal était la série canonique Enûma Anu Enlil (Lorsque les dieux Anu et Enlil) rédigé sur 70 tablettes regroupant environ 7 000 présages; ceux-ci se basaient sur des précédents historiques pour certains remontant à Sargon d’Akkad (24e siècle).

Plus de la moitié des tablettes de cette série concernent les mouvements de la Lune (Sîn) et du Soleil (Shamash), avec une attention toute particulière pour les éclipses. En effet, l’occultation temporaire du Soleil ou de la Lune était interprétée par les astrologues comme une métaphore touchant directement la personne du roi, et annonçant sa disparition prochaine. En fonction de la direction de l’ombre, les astrologues déterminaient la partie du monde concernée. Si le quartier nord de l’astre céleste devait disparaître en premier, c’était le roi d’Assyrie qui était en danger.

Les savants avertissaient le roi lorsqu’ils pensaient qu’une éclipse allait se produire, afin que le rituel du « roi substitut » soit accompli pour détourner les conséquences éventuellement mortelles d’un présage menaçant le souverain,et par extension le pays. Le roi consultait alors son conseil de savants, incluant astrologues, lamentateurs et exorcistes, sur la démarche à suivre et sur le choix du substitut. Ce dernier devait être insignifiant puisqu’il allait perdre la vie à la place du souverain, ou encore c’était l’occasion de se débarrasser d’un opposant un peu trop influent. Le substitut revêtait alors les insignes de la royauté, sans toutefois exercer le pouvoir, tandis que le souverain prenait sa place : Assarhaddon se fit ainsi appelé « cultivateur ». Une fois le danger passé, le roi substitut ayant endossé la sentence divine mourrait, et le véritable souverain reprenait sa place sur le trône.

La pratique du roi substitut est ancienne et remonte au moins au tout début du IIe millénaire av. J.-C., mais c’est à l’époque de l’empire assyrien (911-612 av. J.-C.) qu’elle est bien attestée par les textes cunéiformes, en particulier sous les règnes d’Assarhaddon (680-669) et d’Assurbanipal (668-627), période pendant laquelle pas moins d’une dizaine de rois substituts ont brièvement porté la couronne.
Lettre datée de 671 © The Trustees of the British MuseumLettre adressée à Assurbanipal de l’un de ses agents en Babylonie, datée de 671. © The Trustees of the British Museum (https://www.britishmuseum.org/collection/object/W_K-168)


Une lettre adressée à Assurbanipal par l’un de ses agents en Babylonie décrit les funérailles d’un certain Damqî, fils d’un important dignitaire religieux d’Akkad, qui servit de roi substitut à la fin de l’année 671 av. J.-C. Vraisemblablement choisi en raison du pouvoir exercé par son père, il monta avec son épouse sur le trône de Babylone en guise de roi substitut pour Shamash-shum-ukin, le frère d’Assurbanipal, qui régnait alors en Babylonie. Après avoir endossé le courroux des dieux menaçant Shamash-shum-ukin et sa reine, Damqî et son épouse eurent droit à des funérailles royales permettant de mener le rituel à son terme : Lui et sa reine ont été décorés, traités, exposés, enterrés et pleurés. L’holocauste fut fait, tous les présages furent annulés, et de nombreux rituels apotropaïques, des cérémonies adaptées, des rites exorcistes, des psaumes pénitentiels et des litanies de mauvais augure furent exécutés à la perfection.

Le président français dispose d’un substitut de choix en la personne du premier ministre. Même si ce dernier ne va pas occuper temporairement le siège présidentiel, il sert de fusible au chef de l’État.

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du journal CNRS