A la une
L’apprentissage de la lecture et de l’écriture du sumérien, ainsi que des mathématiques, dans le sud de la Mésopotamie babylonienne du début du IIe millénaire, a pu être reconstitué dans le détail grâce aux milliers de tablettes d’exercices découvertes à Nippur, capitale culturelle. Mais qu’en est-il, à la même époque, dans la société assyrienne au nord de la Mésopotamie, à Assur, et dans les comptoirs de commerce en Anatolie centrale, en particulier à Kaneš ?
Le niveau élevé d’alphabétisation des familles marchandes assyriennes, tant chez les hommes que chez les femmes, suggère une pratique de l’enseignement relativement répandue. Les textes d’apprentissage exhumés, bien que peu nombreux – une vingtaine de tablettes recensées à ce jour –, montrent que l’éducation des jeunes a lieu de manière plutôt informelle comparé aux méthodes conventionnelles pratiquées à Nippur. Alors que quelques enfants bénéficient des leçons de professeurs extérieurs à la famille à Assur, la plupart apprennent à lire, écrire et compter à la maison, de leurs parents, voire d'un autre membre de la famille.
La ville d’Assur n’ayant pas fait l’objet de fouilles archéologiques pour les niveaux du début du IIe millénaire, seules quelques rares tablettes cunéiformes datant de cette période y ont été découvertes. Or il s’agit précisément de tablettes d’exercices rédigées par des apprentis scribes. Huit d’entre elles sont lenticulaires, façonnées rapidement, et ne comportent que quelques lignes. L’élève doit convertir un poids de métal – or ou étain –, en argent pour en définir son prix selon un taux donné. Les autres tablettes comportent des listes de noms propres, l’une d’elles des noms de femmes. Cette dernière, de forme rectangulaire, est divisée en deux colonnes : à gauche, le maître a écrit les noms, à droite, l’élève les a recopiés sans doute à plusieurs reprises et effacés.
Tablette scolaire d’Assur. La colonne de droite a été effacée. Vorderasiatisches Museum, Berlin. Photo © Cécile Michel
Sur le site de Kültepe, l’ancienne Kaneš, près de 23 000 tablettes cunéiformes ont été exhumées, mais seulement huit tablettes d’apprentissage, dispersées dans différentes maisons. Parmi ces textes figurent deux tablettes lenticulaires de conversion proposant exactement les mêmes exercices que celles d’Assur. Une longue tablette rectangulaire offre pas moins de 28 exercices semblables. Sur cette même tablette se trouve aussi une liste de mots en sumérien, des noms de métaux et pierres semi-précieuses. Deux autres tablettes comportent des vocabulaires incluant aussi des noms de textiles et de plantes, ainsi que des formules de multiplication.
Deux tablettes de débutants, très grossières et particulièrement mal écrites, ont été découvertes dans la même maison. Sur l’une figure une liste des poids allant de 1 sicle (8 grammes) à 100 talents (3 tonnes). L'autre comporte une liste de noms propres, dont la séquence identique est répétée sur deux colonnes. L'analyse paléographique suggère que deux élèves ont écrit chacun une colonne, l’un étant aussi l’auteur de la liste des poids. Enfin, une longue tablette propose des phrases types et des expressions qui reviennent souvent dans les lettres : cette tablette, unique dans toute la documentation cunéiforme, familiarise l’élève avec la rédaction de lettres.

Tablette de conversion de Kaneš : « 10 mines d’or pur à un taux de 5 ½ sicles d’argent le sicle d’or ; sa valeur en argent : 55 mines. » Musée des civilisations anatoliennes, à Ankara. Photo © Cécile Michel
Le contenu de ces exercices – conversions, écriture de noms propres, des métaux, pierres et textiles –, est parfaitement adapté à la formation des marchands qui doivent calculer les prix des denrées, écrire les noms des métaux, pierres et textiles qu’ils négocient, être capables d’orthographier correctement les noms de leurs partenaires dans les contrats commerciaux, et maîtriser parfaitement la métrologie, en particulier celle des poids des métaux à la fois objets de leurs échanges, et pour l’argent et le cuivre, moyens de paiement. Dans le cadre du commerce international, la communication passe nécessairement par le courrier, les lettres représentant près de 40 % des tablettes mises au jour à Kaneš.
L’enseignement dans la société marchande assyrienne, s’inscrit certes dans une tradition cunéiforme ancienne, mais il est parfaitement adapté à des objectifs pratiques, ceux du commerce. Les Assyriens utilisent un syllabaire limité. Or, plus le nombre de signes employés est restreint, plus l’écriture est accessible au plus grand nombre. Grâce à ce cercle vertueux, beaucoup d’Assyriens et d’Assyriennes savent lire et écrire, quel que soit leur niveau d’éducation : les plus érudits produisent des tablettes régulières, rédigées avec soin, tandis que les moins instruits façonnent des tablettes dissymétriques, à l’écriture hésitante et remplies de fautes de grammaire.

