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Aquifères artésiens : une source d’eau inépuisable ?
03.01.2023, par Aurore Basiuk, Hubert Stahn, Agnes Tomini
Quel est le point commun entre le désert du Sahara et le 16ᵉ arrondissement de Paris ? Les deux se trouvent au-dessus d’une nappe phréatique un peu particulière : quand on y creuse un trou, l’eau jaillit d’elle-même ! Les économistes Hubert Stahn et Agnes Tomini livrent leur regard sur l'usage fait de ce phénomène géologique étonnant où le nombre de puits ouverts n’impacte pas la quantité d’eau dans la nappe, mais la pression qui comprime ce volume d’eau.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Rencontrer un champion d’apnée dans le Sahara au XIXe siècle ? Un évènement moins rare que l’on ne pourrait le penser. En effet, beaucoup de puits creusés dans le désert se remplissaient tout seuls, et impossible de les vider ! Pour les entretenir, une seule solution, retenir sa respiration. Se développe ainsi une profession, celle des rhetassin, plongeurs spécialisés dans l’enlèvement des sédiments recouvrant le fond de ces puits et pouvant pour cela rester en apnée pendant plus de 5 minutes1. Mais pourquoi et comment ces puits sont-ils toujours pleins ? L’explication est autant géologique qu’étonnante : ils sont creusés dans un aquifère artésien.

Puits artésien rue Blomet à Paris 15ᵉ en 1929.

Des puits (de science) artésiens

Lorsqu’on parle de nappe phréatique pour désigner l’eau souterraine, l’image venant à l’esprit est souvent celle d’une sorte de grotte remplie d’eau à l’instar d’une piscine souterraine. En réalité, l’eau se trouve prisonnière au sein d’une formation rocheuse poreuse appelée aquifère2. Lorsque celui-ci est entouré de deux couches de roches imperméables, on parle d’aquifère confiné. Certaines de ces nappes sont des réserves renouvelables grâce à des arrivées d’eau comme l’eau de pluie. Dans ce cas, si le niveau d’eau de la colonne alimentant l’aquifère dépasse le niveau du sol, l’eau sous pression jaillira d’elle-même si un puits est creusé. Ce phénomène a été observé pour la première fois en 1126 dans une ancienne région française, l’Artois, d’où le nom d’aquifère artésien. Des puits d’où l’eau jaillit naturellement et qui ne se vident pas ? Voilà qui a interpellé les économistes Hubert Stahn et Agnes Tomini.

En effet, si, en économie des ressources naturelles, l’eau souterraine est un sujet d’étude ancien3, la plupart des études se focalisent sur le fait que ces biens sont non-excluables, mais rivaux, c’est-à-dire que si l’on ne peut pas empêcher quelqu’un de puiser de l’eau, son prélèvement impacte les réserves disponibles pour d’autres usagers. Aujourd’hui, les eaux souterraines constituent 99 % des réserves terrestres d’eau douce même si elles ne représentent qu’un quart de notre utilisation d’eau (la moitié pour l’utilisation en eau potable)4. Parmi les nombreuses menaces qui pèsent sur elles, la surexploitation est particulièrement importante et inquiétante. Se pose alors la question d’une exploitation optimale de la ressource : comment extraire le plus possible tout en préservant l’eau pour les futures générations ?

Dans le cas des aquifères artésiens, le renouvellement est constant. Creuser un deuxième puits ne baisse pas le niveau d’eau. Les chercheurs s’interrogent donc sur la place de ces aquifères particuliers au sein des modèles économiques.


Creuser le modèle

Pour pouvoir comprendre l’aspect économique des aquifères artésiens, il faut d’abord comprendre leur fonctionnement. Hubert Stahn et Agnes Tomini se sont donc plongés dans des livres de physique et d’hydraulique et ont découvert que la pression de l’eau jaillissante dépend de la hauteur de la colonne d’eau, du diamètre des puits et de la gravité. Cela permet d’estimer les quantités d’eau qui vont sortir d’un puits. Et même si creuser un autre puits n’influe pas directement sur cette quantité, cela va quand même créer ce que les économistes appellent une externalité : la pression du premier puits diminue quand on en creuse un second. Cela correspond au modèle classique de compétition pour une ressource. Plusieurs utilisateurs d’un aquifère artésien rivalisent pour l’accès à une ressource, ici la pression. La question d’une gestion optimale se pose alors.

En calculant la diminution de pression induite par un nouveau puits, les chercheurs calculent le nombre de puits qu’il faudrait pour extraire un maximum d’eau tout en préservant son jaillissement. Ils le comparent au cas où la propriété privée des terrains rend chaque agent « myope » (ils veulent maximiser leurs profits personnels sans se rendre compte de l’impact que cela peut avoir sur leurs voisins ou des générations futures). Sans surprise, si les agents sont myopes, ils ont tendance à surexploiter la ressource. Ici, la pression risquerait de devenir tellement faible que la construction de pompes s’avèrerait nécessaire. Évidemment, cette situation serait assez éloignée de l’optimum que l’on pourrait atteindre, comme c’est souvent le cas en économie des ressources naturelles. Mais quel comportement adoptent les agents dans la réalité ?

Carte du grand aquifère artésien en Australie

Les ressources en eau souterraine, de par leur importance, sont souvent très encadrées par des gouvernements qui ont tout intérêt de tendre vers leur exploitation optimale. Les données physiques et hydrauliques les concernant sont parfois assez précises pour que les pays aient une bonne représentation de l’état de ces ressources, et ne se trouvent pas dans la situation d’un agent « myope ». Par exemple, en France, il est possible de creuser un puits dans son jardin, mais il faut impérativement le déclarer auprès des autorités compétentes et ne pas habiter trop proche d’une source de pollution potentielle pour ne pas contaminer l’eau5.

En ce qui concerne le cas particulier des aquifères artésiens, ils sont tout aussi réglementés (et parfois plus), mais bien moins nombreux. Les plus vastes sont le Grand bassin artésien qui occupe 1,5 million de kilomètres carrés de l’Est australien, et la nappe de l’Albien, aussi nommée Système aquifère du Sahara septentrional (SASS) qui alimente oasis et puits des rhetassin. Avant une étude publiée en 2013 dans Geophysical Research Letters6, cette dernière était considérée comme fossile, c’est-à-dire non renouvelable. Mais l’étude montre que cet aquifère est en partie artésien, et qu’il se remplit avec la pluie. Ceci serait plutôt une bonne nouvelle si le taux de renouvellement n’était pas de 40 % de l’exploitation, bien loin d’un quelconque optimum. En mars 2022, l’ONU a publié un rapport rappelant les menaces pesant sur les eaux souterraines (pollution, réchauffement climatique, surexploitation) et encourageant à agir pour leur exploitation durable7. Les aquifères artésiens sont une source d’eau inépuisable en théorie, mais jusqu’à quand ?
 

Notes

1. Maël Crépy, « Plongées en eaux troubles et records d’apnée au Sahara », ArchéOrient —Le Blog, Hypothèse
2. L’aquifère peut être fait de sable, grès, calcaire, ou toute autre roche poreuse ou fissurée.
3. Voir Gordon et Hardin dans les années 1950 - 1960
4. À noter que si certaines des nappes phréatiques, à l’instar des aquifères artésiens, se régénèrent, certaines sont considérées comme « fossiles » et ne se renouvellent pas.
5. Article 4 de l’arrêté du 11 septembre 2003
6. Gonçalvès J., Petersen J., Deschamps P., Hamelin B., Baba-Sy O., 2013, "Quantifying the modern recharge of the “fossil” Sahara aquifers", Geophysical Research Letters, Vol. 40, 1–6
7.  Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2022 : « Eaux souterraines : rendre visible l’invisible ».
 

Référence 

Stahn, H., & Tomini, A. (2016). On the environmental efficiency of water storage: The case of a conjunctive use of ground and rainwater. Environmental Modeling and Assessment, vol.21, 691–706.

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