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Au Canada, mission réduction d’émissions
19.08.2020, par
Julien Hanoteau, Aurore Basiuk
Deux mécanismes économiques – le marché du carbone et la taxe carbone – ont été mis en place dans des provinces canadiennes pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Des économistes analysent dans ce billet les avantages et inconvénients de ces différentes solutions.
Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.
Les émissions de gaz à effet de serre sont un sujet récurrent sur la scène nationale comme internationale depuis plus de vingt ans. Pourquoi est-ce si compliqué de trouver un terrain d’entente ? Une des raisons est que toute réduction des émissions peut s’accompagner d’importants coûts sur l’emploi et la société. C’est ce que montrent les économistes Julien Hanoteau et David Talbot en étudiant le marché québécois du carbone.
Le projet de recherche international Global Carbon Budget1 estime qu’à l’issue de la pandémie de Covid-19, les émissions mondiales de gaz à effet de serre auront baissé de 3 à 14 %2. Une baisse de 3 % correspondrait à l’objectif annuel de réduction d’émissions carbones pour atteindre les objectifs des accords de Paris et limiter le réchauffement climatique à 2°C3. La question d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre est sur le devant de la scène internationale depuis le sommet de la Terre à Rio en 1992, puis la signature du protocole de Kyoto en 1997 par 182 pays. Hors temps de pandémie, les progrès dans ce domaine sont minimes. Pourtant, ce n’est ni l’urgence qui manque ni les solutions puisque certaines sont déjà appliquées dans quelques régions du monde.
Une des solutions recommandées par le protocole de Kyoto est la tarification du carbone. Elle concerne la réduction des émissions de dioxyde de carbone mais aussi celles des autres gaz à effet de serre qui sont exprimés en équivalent carbone. Par exemple, une tonne de méthane émise dans l’atmosphère a un effet de serre aussi important que 84 tonnes de dioxyde carbone sur vingt ans4.
Comment mettre un prix sur le carbone ? Deux solutions existent : le marché du carbone ou la taxe carbone. La seconde est, comme son nom l’indique, un impôt sur les émissions de carbone : un prix est donné à chaque tonne de carbone émise. C’est ce qu’ont choisi de faire l’Allemagne, le Danemark, la France, ou encore la Suède pour réguler les émissions de certains pollueurs depuis les années 1990. En parallèle, l’Union européenne a organisé depuis 2005 un marché carbone pour plafonner et réduire les émissions des plus grosses installations industrielles. Des permis d’émissions sont distribués ou vendus aux entreprises et constituent donc un quota d’émissions que les entreprises ne doivent pas dépasser. Si une entreprise émet moins de carbone que son quota ne le prévoit, elle est autorisée à vendre la différence sur le marché, à une entreprise le dépassant. Deux choses dans ce système permettent de réduire les émissions : le nombre de permis émis baisse avec le temps et leur prix augmente.
Les deux solutions on été mises en œuvre par des provinces canadiennes, et ce malgré que le gouvernement fédéral se soit retiré, en 2011, du protocole de Kyoto après pourtant l’avoir ratifié5, arguant que les États-Unis d’Amérique, bien plus pollueurs, n’en faisaient toujours pas partie. « La Colombie-Britannique a par exemple appliqué une taxe carbone depuis 20086, tandis que le Québec a instauré en 2011 un marché du carbone assez étendu en termes de types de gaz à effet de serre, et couvrant 83 % des émissions de la province. En comparaison, le marché carbone européen, bien que plus vaste en terme du nombre d’installations industrielles concernées, couvre moins de 50 % des émissions européennes de gaz à effet de serre. Les économistes Julien Hanoteau et David Talbot étudient à la fois l’efficacité du marché carbone québécois et son impact sur l’emploi dans la région.
Un marché du carbone qui gaze
Comment évaluer l’efficacité d’une politique ? Plusieurs méthodes sont possibles en économie. Ici, les économistes ont choisi de comparer deux groupes, avant et après la mise en œuvre du marché carbone. Ils étudient les installations industrielles du Québec, avant et après la mise en place de la règlementation et les comparent à un groupe témoin composé d’installations industrielles similaires des autres provinces non règlementées du Canada. La comparaison s’est faite sur deux plans : l’intensité carbone et l’emploi. L’intensité carbone est le nombre de tonnes de carbones nécessaires à la production d’une unité de produits.
Comment les installations industrielles peuvent-elles réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ? Différentes possibilités s’offrent à elles. Elles peuvent améliorer leur processus de production pour utiliser moins d’énergie fossiles ou des sources qui émettent moins de gaz à effet de serre (par exemple en passant de l’utilisation du pétrole à celle du gaz naturel), faisant ainsi des innovations. Elles peuvent aussi réduire leur production, en délocalisant une partie de leurs activités dans une région non règlementée du Canada, ou des États-Unis d’Amérique, pays limitrophe.
Les résultats de l’étude sont significatifs : les émissions de gaz à effet de serre des installations règlementées au Québec ont baissé de 9,8 % entre 2010 et 2015. Le marché carbone a atteint son but de réduction des émissions. Cependant, l’article montre que les installations industrielles ont davantage eu recours à la réduction de leur niveau d’activité qu’à l’amélioration de leurs processus industriels. Cela signifie que la tarification du carbone au Québec a réduit des emplois dans les secteurs industriels concernés, en moyenne de 6,8 %, et c’est un coût social de la politique environnementale. Pour réduire leurs émissions, les entreprises ont pu délocaliser une partie de leur production dans des régions non règlementées. Pour éviter un tel phénomène, il faut penser et appliquer les mesures environnementales de manière globale.
Une autre manière de limiter le coût social et de compenser la perte d’emploi dans les secteurs réglementés par une hausse des emplois dans les autres secteurs économiques. C’est ce qu’est parvenue à faire la Colombie-Britannique.
Une solution dans la redistribution ?
La taxe carbone appliquée par la Colombie-Britannique à partir de 2008 sur les secteurs industriels pollueurs, a généré des recettes fiscales. Celles-ci ont été utilisées pour réduire d’autres impôts déjà existants, notamment les impôts sur le coût du travail (aux niveaux des ménages et des entreprises) et pour verser une aide sociale aux ménages les plus défavorisés. Une étude de 2017 a démontré que cette politique a entrainé une diminution des émissions de gaz à effet de serre en Colombie-Britannique, et une hausse du niveau général de l’emploi7. Les pertes d’emplois dans les industries polluantes ont été plus que compensées par des embauches supplémentaires dans d’autres secteurs, induites par cette réforme fiscale. De plus, la taxe carbone est très populaire en Colombie-Britannique avec 70 % d’opinions favorables dans la population8.
Au Québec, les permis d’émission ont été pendant un temps donnés gratuitement aux entreprises. Ils ne généraient alors pas de revenus. Pareil en Europe, où les permis d’émissions avaient initialement donnés aux installations industrielles. Depuis 2013, les permis européens sont vendus aux entreprises lors d’enchères. Cependant, tous les États ne choisissent pas d’utiliser les recettes de ces ventes pour baisser d’autres impôts. Certains le font, comme la Suède ou le Danemark, mais ce n’est pas le cas de la majorité.
Pour limiter l’impact économique et social des réformes environnementales, il faut que l’argent collecté, que ce soit par une taxe ou un marché du carbone, serve à réduire des impôts déjà en place. C’est ce qu’on appelle une réforme fiscale écologique : on taxe davantage les énergies fossiles sales et on baisse les taxes sur les énergies propres (y compris le travail) et la consommation. Avec les accords de Paris, le Canada s’est engagé à réduire ses émissions, il a lancé un plan fédéral dans ce sens en 2019 (qui ne concerne pas les provinces ayant déjà leur propre réglementation sur la question). Ce plan prévoit une redistribution directe d’une partie des revenus aux ménages les plus impactés9. Il reste cependant à voir quel sera son impact.
Depuis des années, les scientifiques, qu’ils soient biologistes ou économistes, ne cessent d’insister sur l’urgence climatique. Pour limiter le réchauffement, il est impératif d’envoyer des signaux politiques forts en faveur d’une réduction drastique des émissions. Des solutions, comme la réforme fiscale écologique, existent. Les appliquer est notre mission (si nous l’acceptons).
Référence :
Hanoteau J., Talbot D., 2019, "Impacts of the Québec carbon emissions trading scheme on plant-level performance and employment", Carbon Management, 10 (3), 287-298
Notes :
3. Les accords de Paris ont été signés par les 195 pays participant à la COP21 en 2015. Ils fixent des objectifs concrets pour limiter le réchauffement climatique à 2°C mais ne sont pas juridiquement contraignants.
4. Connaissance des Énergies, d'après 5e rapport du GIEC, https://www.connaissancedesenergies.org/gaz-effet-de-serre-quest-ce-que-...
5. Les accords et protocoles internationaux sont signés lorsqu’ils sont décidés mais chaque pays doit ensuite le ratifier, c'est-à-dire l’intégrer dans sa loi nationale.
6. Yamazaki A., 2017, "Jobs and climate policy: Evidence from British Columbia's revenue-neutral carbon tax", Journal of Environmental Economics and Management, Elsevier, 83(C), 197-216.
7. Yamazaki A., 2017, "Jobs and climate policy: Evidence from British Columbia's revenue-neutral carbon tax", Journal of Environmental Economics and Management, Elsevier, 83(C), 197-216.