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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Faut-il croire en une cause ?
05.01.2022, par Mathieu Gallais, Nicolas Gravel
Mis à jour le 11.01.2022
Si un individu souhaite contribuer à une cause (la réduction de la pollution plastique, la lutte contre la pandémie, une œuvre caritative...), son action aura-t-elle un impact ? Selon les économistes Nicolas Gravel et Anwesha Banerjee, augmenter l’optimisme des individus sur leurs actions individuelles conduit à une hausse des efforts collectifs.

 

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

« Le but de la société est le bonheur commun ». Voilà selon Étienne de Jouy pourquoi les êtres humains se rassemblent en communauté1. Au sein d’une société, nous, individus, interagissons constamment, par exemple en communiquant ou en échangeant des biens matériels ou immatériels. Ces interactions nous permettent d’obtenir de nombreux avantages individuels. Nous devenons ainsi capables d’envisager des objectifs globaux à atteindre qui participent à ce bonheur commun comme dans le cas de la réduction de la consommation globale de plastique ou du contrôle d’une pandémie mondiale.
Photo de déchets plastiques au sein de l'océan
La réalisation de ces objectifs passe par une contribution collective. Dans la théorie classique, l’hypothèse est faite que cette contribution se calcule en additionnant toutes les actions entreprises individuellement. Cette approche a toutefois ses limites, en ne prenant pas en compte les croyances que peuvent avoir les individus sur l’impact de leurs contributions à l’objectif global. Que se passe-t-il lorsque les membres d’une société ont des croyances différentes sur les possibilités d’atteindre ces objectifs ? Comment le résultat des courses est-il influencé ?
Ce sont les questions que se posent les économistes Nicolas Gravel et Anwesha Banerjee, à travers leurs travaux. Pour y répondre, ils ont imaginé un modèle théorique reprenant des concepts de la théorie des jeux. Ce modèle représente le cas simple d’une société composée de citoyens partageant deux croyances distinctes.

L’incertitude mise sur le tapis

Pour comprendre comment les croyances individuelles sont prises en compte dans les travaux des deux chercheurs, prenons l’exemple de Charles, Camille et Xavier. Parce qu’il sait qu’aujourd’hui seuls 9 % des déchets plastiques ont été recyclés dans le monde, Charles souhaiterait réduire sa consommation de plastique afin de limiter son impact environnemental. Charles comprend que cela signifierait changer fortement ses habitudes de consommation, ce qui impliquerait un coût pour lui. Pourquoi accepterait-il de payer ce coût ? Tout simplement parce qu’il croit qu’un effort collectif de réduction de l’usage des plastiques est susceptible d’avoir un impact conséquent sur l’environnement (en particulier les océans puisqu’au rythme de consommation de plastique actuel, les océans contiendront plus de plastique que de poissons d’ici à 2050, soit une masse d’environ 750 millions de tonnes). De plus, cette amélioration de l’environnement a une valeur plus grande à ses yeux que son confort personnel lié aux facilités des usages du plastique. Étant donné ses croyances envers l’impact potentiel de ces actions et la nécessité de diminuer la consommation globale de plastique, réduire sa consommation de plastique est donc une décision rationnelle pour Charles.
Camille et Xavier, de leur côté, ont plus de réserves. Bien qu’ils soient eux aussi soucieux de la préservation de l’environnement marin, ils sont moins convaincus que Charles que diminuer la consommation individuelle de plastique puisse avoir un impact notable sur la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans. Ils sont donc moins disposés à fournir des efforts de réduction d’usage du plastique que Charles.
Ici, la croyance de Charles est dite optimiste, tandis que celle de Xavier et Camille est dite pessimiste. Compte tenu de ses croyances, chacun de ces individus va choisir son effort de réduction d’usage de plastique. Le niveau d’effort individuel auquel on peut s’attendre est celui que chaque individu considère le meilleur pour lui, étant donné ce que font les autres. En théorie des jeux, cet état se nomme un équilibre de Nash2.
Infographie autour des convictions individuelles et collectives

L’homogénéité comme moteur

Plus tard, Charles évoque avec Xavier et Camille les conséquences de la consommation personnelle de plastique. Chaque année en France, 200 millions de bouteilles en plastique se retrouvent dans la nature. De plus, les thermoplastiques, que l’on retrouve notamment dans les emballages et les jouets, représentent 80 % du plastique consommé en Europe.
Charles parvient à augmenter les croyances de Xavier et Camille quant à l’impact des consommations individuelles de plastique sur l’environnement. Dans le modèle, on dira donc que l’optimisme de Xavier et Camille augmente, alors que celui de Charles reste inchangé. Ici, Xavier et Camille seront maintenant disposés à fournir des efforts de réduction d’usage du plastique plus importants. Du côté de Charles, les choses sont plus floues, car à optimisme inchangé, il sait désormais qu’autour de lui, plus d’efforts de réduction d’usage du plastique sont faits. Cette constatation pourrait l’entraîner à réduire légèrement ses propres efforts du fait des coûts qu’ils engendrent en se « reposant sur les autres ». Ce qui est cependant observé à travers le modèle sous des hypothèses générales3, c’est que l’effort collectif de réduction de l’usage du plastique sera, malgré la réduction de l’effort de Charles, supérieur à ce qu’il était avant l’augmentation de l’optimisme de Xavier et de Camille. Cela signifie qu’augmenter l’optimisme des gens quant aux conséquences de leurs actions sur le résultat visé conduit toujours à une hausse des efforts collectifs.
Illustration de deux hommes en train d'échanger autour d'un sujet, l'un présentant un cadenas et l'autre la l

Imaginons maintenant que la discussion entre Camille, Xavier et Charles soit beaucoup plus serrée et que les croyances des trois individus se rapprochent les unes des autres. L’optimisme de Camille diminue, celui de Xavier et Charles augmente : la communauté de ces trois individus devient plus « homogène ». Qu’arrive-t-il aux efforts globaux de réduction d’usage du plastique ? Le modèle montre que, là aussi, si le rapprochement des croyances ne se traduit pas par une baisse de l’optimisme moyen dans la population, son impact sera favorable sur l’effort collectif. Ce résultat tend donc à montrer que les sociétés plus homogènes en matière de croyances en l’impact des actions individuelles fournissent plus d’efforts globaux que les sociétés moins homogènes de même optimisme moyen.
Le modèle peut être transposé à plusieurs autres situations, comme celle de la vaccination contre la Covid-19 (les individus peuvent différer quant à leur croyance en l’efficacité de l’acte vaccinal), ou la contribution à des œuvres caritatives (où l’on peut avoir des doutes sur la qualité de l’organisme à but non lucratif auquel on fait des dons). Cependant, la plupart du temps, nous ne connaissons pas les croyances initiales des autres et cela crée une incertitude sur l’identité. C’est par exemple le cas lorsque nous interagissons sur les réseaux sociaux. Or, cette incertitude quant aux préférences ou aux croyances des autres participants à l’interaction n’est pas prise en compte dans ce modèle. Dans leurs travaux actuels, Nicolas Gravel et Anwesha Banerjee s’emploient donc à étudier cette nouvelle incertitude. La nature du modèle s’en voit modifiée : entre autres, on ne suppose plus que l’effort que chacun peut fournir est identique, mais qu’il est dépendant de l’identité. C’est le cas pour la contribution à une œuvre caritative : quelqu’un de riche pourra plus contribuer que quelqu’un de pauvre. Il ne s’agit plus alors d’un système avec équilibre de Nash, mais avec un autre type de solution.

Référence
Banerjee A., Gravel N., 2020. "Contribution to a public good under subjective uncertainty," Journal of Public Economic Theory, Association for Public Economic Theory, 22(3), 473-500

Notes
1. 
La morale appliquée à la politique, Étienne de Jouy, 1822.
2. L’équilibre de Nash est un type de solution — proposé par John Forbes Nash en 1950 — couramment utilisé en théorie des jeux. Il s’agit d’une généralisation de l’équilibre de Cournot qu’Antoine Augustin Cournot imagina en 1838 dans son analyse de la concurrence entre deux entreprises. Un équilibre de Nash repose sur l’idée que les agents sont rationnels, que leurs choix s'orientent vers la stratégie qui maximise leur objectif, compte tenu de l’interdépendance.
3. Cette observation est valable en supposant que le gain de bien-être collectif ne diminue pas avec l’augmentation du niveau d’effort. Il faut donc que lorsque plus d’effort est généré, le bien-être collectif augmente également ou du moins reste stable.
 

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